Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 26 janvier 2017 à 10h45
Accession du monténégro à l'otan — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’exprime sur le temps de parole du groupe Les Républicains, mais à titre personnel.

Permettez-moi tout d’abord de saluer l’excellent rapport réalisé par notre collègue, Xavier Pintat, sur un sujet rendu complexe par un contexte diplomatique et stratégique difficile.

L’adhésion du Monténégro à l’OTAN peut paraître mineure au regard de la taille du pays et de son apport militaire et financier limité aux forces de l’Alliance atlantique. À titre d’exemple, seuls 1 850 hommes servent actuellement sous les drapeaux monténégrins. Sans vouloir sous-estimer les mérites de ses forces armées, on peut légitimement s’interroger sur la capacité réelle du Monténégro à contribuer à la sécurité de l’espace euro-atlantique, qui est pourtant, selon l’article 10 du traité de l’Atlantique Nord, l’un des critères devant présider à son élargissement.

Cela dit, au-delà de l’intégration du Monténégro en elle-même, qui ne changera évidemment pas la face de l’OTAN, c’est bien le contexte dans lequel elle s’inscrit qui la rend problématique ; je fais bien sûr référence à la dégradation des relations entre les pays occidentaux et la Russie.

À l’évidence, les agissements de Moscou en Ukraine exigeaient une réponse ferme et déterminée des Occidentaux, et tout particulièrement des Européens, car certaines lignes rouges ne sauraient être franchies sans conséquence. C’est pourquoi j’ai soutenu sans réserve la mise en œuvre et le maintien de sanctions à l’encontre de la Russie tant que les accords de Minsk ne seront pas intégralement appliqués sur le terrain.

Il n’est toutefois dans l’intérêt de personne de laisser perdurer des situations de tensions qui ne peuvent mener qu’à la surenchère et, finalement, à la montée des périls. La multiplication des démonstrations de force auxquelles nous assistons de la part de la Russie et de l’OTAN ces derniers mois en est le signe évident.

On le sait, la Russie a une opposition de principe à tout élargissement de l’Alliance atlantique, qu’elle perçoit comme un encerclement portant directement atteinte à sa propre sécurité. Qu’il s’agisse ou non d’une surinterprétation des menaces qui pèsent véritablement sur elle, l’expansion de l’OTAN est donc indéniablement une source de crispations avec Moscou.

Il ne s’agit bien évidemment pas de conférer à la Russie un quelconque droit de regard sur le processus d’élargissement de l’OTAN, qui appartient à ses États membres et à eux seuls, ni de souscrire à l’idée d’un partage de l’Europe en sphères d’influence. Cela dit, dans ce contexte tendu, les messages que nous envoyons sont particulièrement importants et l’adhésion du Monténégro, guidée par des considérations plus politiques que stratégiques, constitue bien un message fort. Dans l’esprit de ses promoteurs, cette démarche est avant tout destinée à la région des Balkans occidentaux, dont le cheminement sur la voie de la stabilité doit encore être consolidé.

Néanmoins, on ne peut pas ignorer que ce n’est pas de cette manière qu’elle sera interprétée par la Russie. Bien que le Monténégro ne représente pas pour elle le même enjeu stratégique et symbolique que des États tels que l’Ukraine, la Géorgie ou encore la Serbie, les liens économiques et culturels, mais aussi militaires qui lient ces deux pays sont anciens et puissants.

Même si les autorités russes ont déclaré qu’elles respecteraient la décision du Monténégro – c’est bien la moindre des choses, s’agissant du choix d’un État souverain –, cette adhésion est tout de même une étape supplémentaire dans l’expansion de l’OTAN et elle laissera nécessairement des marques dans notre relation avec la Russie.

À un moment où nous devrions avant tout chercher le rétablissement de relations constructives, cette initiative me paraît donc particulièrement inopportune. Par ailleurs, cette adhésion doit également nous interpeller du point de vue des perspectives qu’elle dessine concernant un autre processus d’intégration, l’adhésion à l’Union européenne.

En effet, l’adhésion à l’OTAN est généralement perçue comme un premier pas dans l’intégration à la communauté euro-atlantique, qui doit s’achever par une adhésion à l’Union européenne. Même s’il s’agit évidemment de deux processus totalement distincts juridiquement, force est de constater que les élargissements de l’OTAN menés depuis 1999 en Europe centrale et orientale ont tous débouché, sauf pour l’Albanie, sur une adhésion rapide à l’Union européenne.

Il serait tout à fait irresponsable que cette logique perdure et que le Monténégro interprète son éventuelle accession à l’OTAN comme le signal d’une accélération à venir de ses négociations avec l’Union européenne. Je pense que, sur ce point, nous sommes d’accord, mes chers collègues.

Disons-le d’emblée, nous ne pouvons donner aucune perspective d’adhésion au Monténégro, que ce soit à court ou à moyen terme.

La capacité d’absorption de l’Union européenne est aujourd’hui saturée, même s’agissant d’un petit pays. L’Union doit concentrer ses efforts sur la redéfinition de son projet et de son fonctionnement avant de songer à s’élargir. Évitons de reproduire les erreurs des années 2000 !

Surtout, le Monténégro est encore loin d’être prêt à une telle adhésion, aux niveaux démocratique, institutionnel, économique ou judiciaire. S’il est vrai qu’il s’est engagé sur la voie des réformes pour renforcer l’État de droit et lutter contre la criminalité organisée et la corruption, les progrès enregistrés à ce jour n’empêchent pas qu’il soit toujours très éloigné des standards européens en la matière. Le fait qu’il soit soumis, depuis le début des négociations d’adhésion, en 2012, à une « nouvelle approche », reposant sur des exigences renforcées, en dit long sur la réalité de ce pays, qui n’a connu aucune alternance politique depuis plus de vingt-cinq ans et qui reste marqué par des soupçons de collusion avec des réseaux délictueux.

Si la plus grande prudence doit prévaloir quant à la poursuite de la politique de la porte ouverte de l’OTAN, cela vaut donc encore davantage pour l’Union européenne. Je ne dis pas que le Monténégro ne pourra pas, un jour, rejoindre ces deux organisations, mais le contexte actuel, à la fois sur le plan international et sur le plan interne, devrait nous inciter à éviter toute précipitation.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, malgré toute la pertinence des analyses développées par notre rapporteur, je reste pour le moins circonspect quant à la perspective d’une adhésion du Monténégro à l’Alliance atlantique. Pour toutes les raisons que je viens de développer, je ne pourrai pas apporter mon soutien au projet de loi de ratification.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion