Intervention de Éric Doligé

Réunion du 26 janvier 2017 à 10h45
Accord multilatéral sur l'échange des déclarations pays par pays — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur de la commission des finances :

En toute indépendance, je tiendrai des propos assez proches des vôtres.

Au préalable, compte tenu des nombreux mécanismes de déclaration pays par pays proposés, je tiens à préciser le sujet dont nous traitons ce matin : il s’agit des déclarations pays par pays auxquelles sont soumises les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros et qui sont transmises à l’administration fiscale. Ce dispositif a été introduit en France par anticipation au travers de la loi de finances pour 2016. L’objectif est de connaître les différentes filiales des groupes d’entreprises multinationales et de révéler d’éventuelles discordances de localisation entre les activités et leur imposition. La lecture des déclarations pays par pays à destination des administrations fiscales intervient donc en amont d’une éventuelle enquête approfondie, afin de déterminer les dossiers prioritaires.

La déclaration pays par pays transmise à l’administration fiscale s’inscrit dans le cadre de l’action 13 du projet BEPS de l’OCDE, portant sur la documentation des prix de transfert. Afin de réduire les contraintes déclaratives pesant sur les entreprises, les États parties à la négociation sont convenus d’une déclaration unique auprès de l’administration fiscale du pays du siège pour un groupe d’entreprises, cette déclaration faisant ensuite l’objet d’un échange automatique entre autorités compétentes. Un accord international entre États parties est nécessaire pour parachever le fonctionnement du mécanisme et permettre aux services fiscaux français de récupérer les déclarations des entités ayant leur siège à l’étranger.

Tel est précisément l’objet de l’accord multilatéral signé à Paris le 27 janvier 2016. À l’instar de l’accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers du 29 octobre 2014, cet accord a été conclu sur le fondement de la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale de 1988. Les principes que celle-ci garantit en matière de protection des données et de confidentialité lui sont donc pleinement applicables.

L’accord avait été signé, à la fin de l’année 2016, par quarante-neuf États, parmi lesquels neuf des dix pays hébergeant le plus grand nombre de sièges sociaux des 500 plus grandes entreprises mondiales. Préférant conclure des accords bilatéraux, les États-Unis n’ont pas signé cet accord multilatéral.

Cet accord organise les modalités de l’échange automatique des déclarations pays par pays sous condition de réciprocité, sous l’égide du secrétariat général de l’OCDE. Il précise également les conditions d’utilisation des données contenues dans la déclaration. En particulier, si elle permet une évaluation générale des risques liés aux prix de transfert, la déclaration ne peut servir de base à des ajustements. Elle permet une analyse de risque préalable, afin de définir des priorités. Une enquête approfondie, conduisant notamment à analyser la documentation exhaustive des prix de transfert, doit ensuite être effectuée pour procéder à un éventuel ajustement.

Par ailleurs, l’accord définit des procédures de consultation en cas de difficultés de mise en œuvre, comme la non-transmission des déclarations par un État partie ou une utilisation inappropriée des données. Une suspension temporaire ou définitive de l’échange automatique peut également être décidée par un État partie soit à l’égard d’un autre État partie, soit à l’égard de tous.

Au-delà de ces précisions, j’approuve la conclusion rapide d’un accord équilibré qui permettra une application complète du mécanisme de déclaration pays par pays dès les premières déclarations sur l’exercice 2016, dix-huit mois après leur date de dépôt, soit à compter du second semestre de 2018.

Plus largement, concernant la portée du mécanisme et du projet BEPS, je tiens à formuler à votre suite, monsieur le secrétaire d'État, trois observations.

Premièrement, il ne constitue qu’un des trois accords internationaux pouvant prévoir l’échange automatique des déclarations, avec les conventions fiscales bilatérales et les accords bilatéraux d’échange de renseignements fiscaux. Je souligne également que l’échange automatique des déclarations entre administrations fiscales des États membres de l’Union européenne est déjà prévu. Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 25 mai 2016, la directive modifiant la directive de 2011 et prévoyant l’échange automatique des déclarations pays par pays entre administrations fiscales, la transposition des dispositions en droit national devant intervenir avant le 4 juin 2017. Chaque année, les États membres devront transmettre à la Commission européenne une évaluation de l’efficacité de l’échange automatique des déclarations pays par pays, ainsi que les résultats pratiques obtenus.

Ce matin, lors de l’examen en commission de l’amendement déposé par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, j’ai déclaré vouloir demander en séance à M. le secrétaire d'État qu’il s’engage à transmettre cette évaluation, en prenant pour base juridique l’article 136 de la loi de finances pour 2011, issu, d'ailleurs, de l’adoption d’un amendement dont MM. Sapin et Eckert étaient cosignataires. Je prends donc bonne note, monsieur le secrétaire d'État, de l’engagement à communiquer cette évaluation au Parlement que vous venez de prendre.

Deuxièmement, un enjeu particulier réside dans la conclusion rapide d’accords bilatéraux avec les États qui n’ont pas signé le présent accord multilatéral et qui hébergent le siège de nombreux grands groupes d’entreprises internationales.

Alors que le consensus né des négociations du projet BEPS, cristallisé dans les recommandations des rapports finaux d’octobre 2015, doit être transposé dans le droit, il convient que tous les États s’engagent. Je pense particulièrement aux États-Unis, qui ont introduit la déclaration pays par pays dans leur droit interne pour les exercices ouverts à compter du 30 juin 2016. Selon les informations qui m’ont été transmises, les États-Unis ont proposé à la France d’engager les négociations préalables à la conclusion d’un accord bilatéral d’échange. Mais cette matière relève des prérogatives du pouvoir exécutif : le renouvellement de l’administration américaine ne peut qu’accentuer nos incertitudes sur la position réelle des États-Unis sur ce dossier. Or leur implication est indispensable à deux titres : pour récupérer les données des groupes américains, mais aussi pour ne pas menacer le consensus né des négociations sur le projet BEPS.

Troisièmement, le projet BEPS prévoit une clause de réexamen en 2020. Grâce à une mise en œuvre rapide, un premier retour d’expérience sera possible. Pour autant, le clivage qui existait, notamment, entre les pays hébergeant le siège de nombreux groupes et les autres, concernant les données à inclure dans la déclaration ou le seuil de chiffre d’affaires à partir duquel les entreprises y seront assujetties pourrait à nouveau apparaître. Surtout, la volonté des États-Unis de privilégier la conclusion d’accords bilatéraux négociés au cas par cas par rapport à celle d’un accord multilatéral souligne la nécessité de faire preuve de vigilance dans la mise en œuvre de l’échange automatique. Cet aspect est d’autant plus important que le multilatéralisme, s’il symbolise une volonté commune, conduit à inclure des États pour lesquels l’étanchéité des barrières entre services fiscaux et entreprises publiques doit être encore éprouvée.

Sous le bénéfice des observations qui précèdent, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent projet de loi de ratification sans modification, afin d’éviter une navette qui nous ferait inutilement perdre du temps en l’occurrence.

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