Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 13 avril 2006 à 9h30
Accès des jeunes à la vie active en entreprise — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi pour l'égalité des chances, le Gouvernement a voulu imposer, par la force, sa vision ultralibérale de la société. Monsieur le ministre, vous avez échoué ! Les jeunes et les salariés ont remporté une formidable victoire ! Les syndicats d'étudiants, de lycéens et de salariés ont, dans l'unité, conduit une juste lutte !

Tout au long des débats, nous, sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen avons dénoncé, point par point, les dispositions de ce texte et l'absence totale de concertation avec les organisations syndicales. Nous avons aussi opposé un nombre important de propositions pour répondre efficacement et justement aux enjeux prétendument soulevés par ce projet de loi dit pour l'égalité des chances.

Toutes nos propositions ont été rejetées, voire carrément ignorées par une majorité, qui, en bon soldat du Gouvernement, n'avait qu'un seul objectif : écourter le plus possible la discussion et passer en force devant le Parlement.

Après le 49-3 à l'Assemblée nationale, les procédures réglementaires douteuses n'ont pas manqué. Vous n'avez pas hésité à prendre quelques largesses avec le règlement du Sénat.

Pour l'anecdote, M. de Rohan a même bénéficié d'un passe-droit en recevabilité pour un amendement déclaré depuis inconstitutionnel.

Tout y est passé : réserve de pans entiers du projet de loi, déclarations très contestables d'irrecevabilité de dizaines d'amendements ou sous-amendements, demandes multiples de priorité sur d'autres et j'en passe.

Vous n'avez pas hésité, enfin, sur l'article relatif au CPE, à porter atteinte au droit constitutionnel d'amender, soutenus en cela par des parlementaires du groupe de l'UMP complaisants et responsables de la crise qu'ils ont imposée au pays.

Votre majorité, monsieur le ministre, qui a abusé de procédures inqualifiables, et vous-même devriez être affligés par nombre de vos propos figurant dans le compte rendu des débats.

Malgré cette tentative de passage en force devant la représentation nationale, c'est le pays lui-même qui s'est emparé du débat et c'est là l'essentiel ! Très vite, une majorité de nos concitoyens de toutes générations ont exprimé leur refus de la précarité et de la société libérale, inégalitaire et injuste, que le gouvernement Villepin - Sarkozy veut lui imposer.

À plusieurs reprises déjà, les citoyens vous ont alertés, ils ont su se mobiliser, par les urnes ou dans la rue, pour faire entendre leur voix et s'exprimer clairement contre vos projets.

Ce fut le cas le 29 mai dernier, lors du référendum, puisque les Français dans leur majorité se sont exprimés contre la vision ultralibérale de l'Europe, que vous vouliez réduire à un grand marché déréglementé et lorsque le Président de la République a répondu à un panel de jeunes un tristement célèbre « Je ne vous comprends pas » !

Le même constat d'opposition s'impose en ce qui concerne la directive Bolkestein sur les services. Enfin vous avez fait preuve de la même surdité à l'égard des très graves événements qui se sont déroulés aux mois d'octobre et de novembre dans tout le pays.

Chaque fois, c'est la société libérale et dérégulée, la même que celle qui est sous-entendue par le CNE et le CPE, qui est encore et toujours rejetée par nos concitoyens. Mais vous n'avez pas su, ni voulu, l'an passé, tirer les leçons du suffrage universel. Vous avez méprisé des millions de nos concitoyens !

Il vous aura malheureusement fallu voir descendre dans la rue plus de trois millions de personnes, à plusieurs reprises, pour revenir enfin sur la question du CPE. Aujourd'hui, le Gouvernement Villepin - Sarkozy se trouve confronté à un ras le bol des citoyens.

Parmi eux, les jeunes crient leur colère face à la situation qui leur est faite et à l'avenir que vous leur dessinez. Ils en ont assez d'être stigmatisés, d'être montrés du doigt et considérés comme une charge pour la société, ou encore d'être la tranche d'âge la plus touchée par la pauvreté - 8% contre 3, 5% pour les plus de 60 ans. Ils dénoncent cette situation où 56 % des jeunes ménages de moins de trente ans sont surendettés et où 50 % des 18 - 29 ans sont contraints de rester chez leurs parents.

C'est pour cela que le CPE leur a semblé particulièrement inacceptable, et c'est contre cela qu'ils ont lutté avec clairvoyance et responsabilité.

Depuis 2002, vous n'avez cessé de mettre en pièces le code du travail et de réduire comme peau de chagrin les droits sociaux des citoyens : en autorisant le travail de nuit des mineurs, ou encore en généralisant les dérogations à la limitation du temps de travail hebdomadaire de trente-cinq heures, ou bien en multipliant les possibilités de recours aux emplois précaires, aux temps partiels et aux emplois aidés. À tout cela, il convient d'ajouter des milliards d'euros d'exonération et de cadeaux fiscaux, pour un résultat lamentable.

Pour servir un patronat toujours plus demandeur de flexibilité et de profit, vous avez l'ambition, outre le contrat unique, de revenir sur l'ensemble des droits des travailleurs, gagnés par des décennies de luttes syndicales, sociales et politiques.

Vous dites vouloir sécuriser les parcours professionnels, mais c'est l'inverse que vous organisez : c'est au contraire la sécurisation des parcours des employeurs dans un environnement économique hyperconcurrentiel que vous défendez en faisant porter le risque « d'entreprendre » sur les seuls salariés, en particulier sur les jeunes. Avec le CPE, comme avec le CNE, vous souhaitiez clairement les condamner à la précarité et à l'exclusion et leur ôter toute possibilité d'intégration sociale, familiale et professionnelle.

Ainsi, le « non » au CPE est un « non » bien plus vaste qui s'adresse au prétendu modèle social prôné par MM. Blair ou Sarkozy, à une société où il faut cumuler deux ou trois emplois pour obtenir des revenus qui permettent à peine de subvenir à ses besoins, à une société où près de 10 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, comme c'est aujourd'hui le cas en Grande-Bretagne ; bref, à une société de la misère et de l'injustice sociale.

Nous rejetons en bloc ce modèle de société à l'anglo-saxonne qui voudrait nous faire croire que seuls les plus courageux réussissent et que les difficultés scolaires, sociales ou professionnelles sont le signe d'un comportement de fainéants, ou de profiteurs. Comment ne pas être scandalisé quand un député du groupe UMP, M. Mariton, se « lâche » dans une tribune du journal Le Monde publiée hier : « La part manifestante de la société a bien confirmé la préférence française pour le chômage. »

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