Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi adoptée par les députés en première lecture qui porte sur deux sujets différents : la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et le développement des techniques de protection des plantes alternatives aux produits phytopharmaceutiques traditionnels, comme le biocontrôle.
La proposition de loi Faure-Potier a été déposée fin décembre en reprenant intégralement les dispositions votées en loi Sapin II sur la question de la protection du foncier agricole. Ces dispositions avaient été censurées par le Conseil constitutionnel qui estimait qu'il s'agissait de cavaliers législatifs. C'est dommage, car nous étions parvenus avec les députés à un certain consensus sur cette question et la solution, qui avait été trouvée au Sénat, convenait à tout le monde. Si la commission mixte paritaire sur la loi Sapin II n'avait pas abouti, ce n'était pas à cause des dispositions agricoles.
Dans le même esprit, j'ai déposé en décembre une proposition de loi sur la préservation du foncier agricole reprenant également les articles que nous avions voté en loi Sapin II sur ce sujet.
La proposition de loi Faure-Potier comprend ensuite un volet sur les produits phytopharmaceutiques visant à encourager le biocontrôle à travers une dispense d'agrément pour les entreprises assurant l'application de ces produits et une dispense de certiphyto pour les salariés intervenant en application de produits de biocontrôle. Un autre article proposait de ratifier l'ordonnance sur les certificats d'économies de produits phytopharmaceutiques (CEPP), dispositif expérimental prévu par la loi d'avenir agricole de 2014 pour encourager les méthodes alternatives aux pesticides. Ces dispositions ne figurent pas dans ma proposition de loi, tant les deux sujets sont éloignés. L'intégration dans le texte du volet phytopharmaceutique s'analyse plutôt comme une astuce de procédure, permettant, au cas jugé très probable au moment du dépôt de la proposition de loi le 21 décembre 2016 où le Conseil d'État annulerait l'ordonnance sur les CEPP, de reprendre l'intégralité des dispositions annulées dans une proposition de loi en cours de discussion, plutôt que de devoir reprendre une procédure parlementaire depuis le début. Et, comme prévu, le 28 décembre 2016, le Conseil d'État a annulé l'ordonnance sur les CEPP pour un motif de procédure : l'absence de consultation préalable du public.
Nous allons examiner les deux volets de la proposition de loi. Le volet foncier vise à instaurer quelques freins devant le phénomène inquiétant, qui se développe rapidement, d'acquisition de terres agricoles dans un but spéculatif.
La maîtrise des terres agricoles est indispensable à l'agriculteur pour assurer la pérennité de son exploitation. Certes la propriété des terres n'est pas le seul moyen à sa disposition car le statut du fermage est très protecteur pour le locataire. Le faire-valoir indirect n'a d'ailleurs pas cessé de progresser, passant de 50 % en 1980 à plus de 75 % en 2010. Si l'on exclut du calcul les mises à disposition de terres par des associés, le taux est plus faible : un peu plus de 60 %, mais le faire-valoir indirect reste prépondérant. Or, détenir au moins une part du foncier paraît indispensable à l'équilibre économique des exploitations, ne serait-ce que pour apporter des garanties réelles lorsque l'agriculteur doit solliciter les banques pour obtenir des emprunts pour son exploitation.
D'après une étude de la fédération nationale des SAFER, le prix des terres agricoles est plutôt bas en France par rapport aux pays voisins : 6 000 € par hectare pour les terres libres (si l'on ne prend pas en compte les vignes) contre 12 000 € environ au Danemark, 20 000 € en Italie ou même 50 000 € aux Pays-Bas. Nous sommes pratiquement au même niveau que la Pologne. Cette situation attire naturellement les investisseurs qui anticipent des gains dans le cadre d'un vaste mouvement de hausse des prix des terres agricoles. Ces investissements sont portés par des sociétés, qui achètent les terres bien au-dessus de leur valeur et contribuent au mouvement de hausse des prix, ce qui accroît les difficultés des agriculteurs, en particulier des jeunes, qui veulent acheter une partie de leur foncier.
D'après les SAFER, les achats de terres par des personnes morales ont été multipliés par quatre en 20 ans, et représentent aujourd'hui 13 % des surfaces et 26 % de la valeur des échanges. L'affaire de la vente à des investisseurs chinois, à travers une société, de 1 600 hectares de terres dans le Berry, sans possibilité d'intervention de la SAFER, a fait brutalement prendre conscience que nous n'étions pas dotés des instruments juridiques adaptés pour contrôler ce type d'opération. En effet, la loi d'avenir agricole de 2014 a étendu le droit de préemption des SAFER mais sans aller jusqu'à permettre une préemption partielle de parts sociales de sociétés agricoles. Au final, des montages sociétaires permettent d'échapper au contrôle des SAFER sur les cessions de terres agricoles, faisant échec à l'objectif de donner la priorité aux agriculteurs et en particulier à ceux qui s'installent. En l'occurrence, dans le dossier des investisseurs chinois, la cession de 99 % des parts sociales avait suffi pour empêcher l'intervention de la SAFER. En loi Sapin II, nous avions donc adopté un mécanisme permettant d'accroître le droit de regard des SAFER. Les députés avaient adopté en première lecture un dispositif assez bancal, obligeant les sociétés à distinguer dans leurs comptes les actifs fonciers des autres actifs. Au Sénat, nous avions privilégié un autre mécanisme qui repose, schématiquement, sur deux piliers : obliger les sociétés à acquérir des terres à travers une société dédiée au portage foncier puis étendre le droit de préemption des SAFER aux cessions partielles de parts sociales. C'est ce mécanisme qui est repris dans cette proposition de loi.
L'article 1er oblige en effet à passer par une société de portage foncier pour l'acquisition de terres agricoles par des personnes morales, avec plusieurs garde-fous : cette obligation ne s'applique pas aux GFA, GFR, GAEC ou EARL, pour ne pas pénaliser ces structures, qui ne sont pas des supports adaptés pour la spéculation foncière et ne présentent donc pas de risque. Ces sociétés ne sont donc pas obligées de créer une structure de portage et pourront acquérir des terres directement. Cette obligation ne s'applique pas non plus lorsque la surface totale détenue est inférieure au seuil du contrôle des structures.
L'article 3 étend le droit de préemption des SAFER aux cessions partielles de parts sociales, lorsque cette cession a pour effet de donner à l'acheteur une majorité ou une minorité de blocage. Ce choix répond au constat de l'insuffisance de la réforme de 2014, qui n'avait prévu de droit de préemption que pour les cessions totales de parts sociales. Dans l'affaire des 1 600 hectares du Berry acquis par des investisseurs chinois, il suffit d'acquérir 98 ou 99 % des parts pour échapper à ce droit de préemption.
Une préemption sur une cession partielle de droits sociaux fait l'objet de critiques par les juristes, dans la mesure où l'un des principes de base du droit des sociétés, l'affectio societatis, suppose que les associés fassent société sur la base d'une volonté commune. La préemption s'oppose à la volonté des parties lors des cessions de parts et peut conduire à des associations forcées au sein de la société lors de la rétrocession des parts. Pourtant, il existe d'autres types de droit de préemption en cas de cessions partielles de parts sociales : la loi MOLLE de 2009 avait ainsi permis l'exercice du droit de préemption urbain sur les cessions de la majorité des parts de SCI, hors SCI familiales. La loi ALUR permet aussi dans certaines conditions d'exercer le droit de préemption en cas de cession d'une minorité de parts d'une SCI. L'atteinte au droit de propriété que représente la préemption paraît donc justifiée par le but d'intérêt général que représente la préservation d'exploitations agricoles existantes ou l'encouragement de l'installation de jeunes agriculteurs, qui sont des objectifs majeurs pour l'agriculture française.
L'article 4 oblige les personnes qui apportent leurs terres agricoles au sein d'une société à conserver cinq ans les parts sociales correspondantes, pour éviter que des apports soient faits sur des durées courtes pour contourner le droit de regard des SAFER.
Les articles 2 et 5 sont de coordination : le premier article permet aux SAFER de monter au-delà de 30 % dans le capital des GFA et GFR et le second de conserver durant cinq ans maximum les parts sociales acquises par préemption, le temps d'organiser la rétrocession.
Les articles 6 et 7 reprennent des dispositions annexes votées en loi Sapin II et annulées par le Conseil constitutionnel. L'article 6 supprime le répertoire de la valeur des terres agricoles qui devait être établi par les commissions départementales d'aménagement foncier (CDAF) et qui n'a jamais vu le jour au profit du barème, établi par le ministère, et qui décline les prix par département et région naturelle. Il s'agit là d'une mesure de simplification qui ne pose pas de problème. L'article 7 assouplit les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent accorder sur leurs réserves foncières aux agriculteurs des concessions temporaires de terres à usage agricole. Il ne pose pas non plus de problème.
L'article 7 bis a été ajouté par les députés pour supprimer deux commissions qui interviennent en matière de baux ruraux. La simplification proposée ne paraissant pas très pertinente, je vous proposerai de supprimer cet article. En effet, le recours à la commission nationale des baux ruraux (CCPNBR) peut être utile pour ne pas laisser les préfets seuls trancher les litiges en matière de fixation des minima et maxima encadrant les prix des fermages. Des décisions prises par l'autorité administrative en dehors de consensus professionnels risquent de donner lieu à des contentieux sur les arrêtés préfectoraux, qui constituent autant de facteurs d'incertitude pour les agriculteurs.
Ensuite, le transfert des missions des comités techniques départementaux (CTD) aux commissions départementales des baux ruraux (CCPDBR) n'est pas très pertinent : les CTD doivent statuer sur les demandes de travaux sur les terres louées. Elles examinent des situations individuelles. A l'inverse, la mission des CCPDBR est plutôt de définir la politique départementale des baux ruraux et non de régler des cas particuliers. Par ailleurs, ces commissions réunissent plus d'une douzaine de participants, contre six pour les CTD. Enfin, des conflits d'intérêt pourront être soulevés en cas de saisine ultérieure du tribunal paritaire des baux ruraux (TPBR) sur des litiges dont a eu à connaître la CCPDBR, dans la mesure où les membres de cette commission sont souvent les mêmes que ceux des tribunaux.
J'en viens maintenant à la partie sur le biocontrôle et les produits phytopharmaceutiques.
Les articles 8 et 9 allègent les exigences qui pèsent sur les professionnels qui utilisent des techniques alternatives aux produits phytopharmaceutiques classiques, pour développer plus rapidement ces alternatives, en particulier le biocontrôle. Le biocontrôle a fait l'objet en 2014 d'une définition légale : il s'agit des « agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures ». Quatre catégories de produits de biocontrôle sont identifiées aujourd'hui : les macro-organismes, qui font l'objet d'une réglementation spécifique ; les micro-organismes ; les médiateurs chimiques, comme les phéromones et les kairomones et, enfin, les substances naturelles d'origine végétale, animale ou minérale.
L'article 8 supprime l'exigence d'un agrément pour les entreprises qui assurent l'application de produits de biocontrôle ne faisant pas l'objet d'une classification ou de produits considérés comme des substances de base, comme la prêle.
L'article 9 supprime l'exigence d'un certiphyto pour les personnes physiques chargées de l'application de ces mêmes produits. Ces solutions paraissent sages : on ne va pas demander une formation de deux jours pour un salarié temporaire chargé de poser des pièges à pyrales, que l'on peut trouver aussi en jardinerie. Je proposerai donc sur les articles 8 et 9 une adoption en l'état, sous réserve de deux amendements purement rédactionnels.
L'article 10 est plus substantiel, puisqu'il réintroduit les dispositions de l'ordonnance de 2015 sur les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), qui vient d'être annulée par le Conseil d'État pour un vice de procédure. Il est issu d'un amendement du Gouvernement déposé en séance.
Sur le fond, le texte met à la charge des distributeurs de produits phytopharmaceutiques destinés aux professionnels, une obligation de mettre en place des actions visant à réaliser des économies de produits phytopharmaceutiques. Cette obligation est exprimée en nombre de CEPP devant être détenus. Elle est calculée sur la base des ventes servant d'assiette à la redevance pour pollution diffuse (RPD) et proportionnelle aux quantités de substances actives dans les produits. En pratique, le ministère de l'agriculture a fixé un objectif global de réduction de 20 % des quantités de produits phytopharmaceutiques par rapport à la moyenne des ventes des cinq dernières années, soit 17,65 millions de CEPP à engranger d'ici la fin 2021.
Les modalités de distribution des CEPP ont été précisées par un décret de 2016 qui prévoit une procédure de reconnaissance des actions permettant d'obtenir des CEPP. Pour l'instant 20 fiches-action ont été validées et 50 autres sont en attente. Une pénalité sera appliquée en 2022 s'il manque des CEPP. Le décret fixe le montant de la pénalité à 5 euros par CEPP manquant et plafonne la pénalité à 5 millions par opérateur.
Les fabricants et distributeurs de produits phytopharmaceutiques ont exprimé leur désaccord avec le dispositif des CEPP. Ce mécanisme est d'abord contesté sur le plan des principes car il instaure une sorte de responsabilité du fait d'autrui aux distributeurs, alors même que la décision finale d'achat de produits phytopharmaceutiques relève des agriculteurs. Ensuite, le mécanisme des CEPP est contesté au nom de la distorsion de concurrence entre distributeurs français et étrangers, le calcul des obligations se basant sur la redevance pour pollution diffuse, qui ne s'applique pas aux distributeurs installés hors territoire national. Enfin, le mécanisme des CEPP fait l'objet d'une critique quant à la complexité du mécanisme et aux effets pervers qu'il pourrait entraîner.
Les critiques du mécanisme des CEPP ne sont pas toutes pleinement justifiées. En particulier, la mise en oeuvre des CEPP n'est pas si difficile : une fois validées, les fiches-actions donnent des indications claires permettant de savoir comment obtenir des CEPP et les procédures de distribution des certificats sont dématérialisées. Par ailleurs, lorsqu'on analyse finement le mécanisme des CEPP, on se rend compte que, certes, ils peuvent avoir pour effet de réduire les quantités de produits phytopharmaceutiques utilisés, ce qui est le but, mais ne l'imposent pas mécaniquement : l'obligation créée par l'article 10 porte seulement sur la mise en place des actions d'économie de produits phytopharmaceutiques, mais n'interdit pas d'utiliser ces produits, notamment si la pression parasitaire l'exige.
Ma préoccupation principale porte sur les effets économiques pour les agriculteurs et les distributeurs du dispositif des CEPP : la sanction pour non atteinte des objectifs pourrait conduire à renchérir le coût des produits utilisés, qui est toujours supporté in fine par l'agriculteur. Plutôt qu'une écologie punitive, je suis favorable à une écologie positive, qui donne des incitations par la récompense plus que par la sanction. Je doute de la pertinence du mécanisme de sanction prévu au nouvel article L. 254-10-4 du code rural et de la pêche maritime et je proposerai donc de le supprimer. En revanche nous conserverions le reste du dispositif des CEPP et en particulier les fiches-actions. Les ressources de la RPD pourraient d'ailleurs être utilisées pour inciter les agriculteurs à adopter ces actions sur leur exploitation.
Au final, je propose d'adopter cette proposition de loi, assortie des amendements que j'ai évoqués. À l'article 8, je présenterai un amendement pour permettre l'utilisation de produits de substitution lorsqu'il n'existe pas de produit de biocontrôle sur le marché : il faut en effet pouvoir utiliser des produits phytopharmaceutiques s'il n'existe pas de produits biocontrôle.
Je m'excuse d'avoir été un peu long sur un sujet complexe.