Monsieur le Président, merci de cette audition sur cet important paquet législatif du 30 novembre 2016, intitulé « une énergie propre pour tous les européens », qui comprend sept textes législatifs, quatre communications et de nombreux rapports, pour un millier de pages au total.
Les textes législatifs de ce paquet ont plusieurs objets :
- l'atteinte de l'objectif d'efficacité énergétique de l'Union européenne pour 2030, que la Commission européenne propose de fixer à 30 %, au lieu des 27 % initialement prévus par le Conseil européen, ces économies d'énergie étant appréciées par rapport à des scénarios de référence. Cela implique la révision de la directive « efficacité énergétique » de 2012 et de la directive sur la performance énergétique des bâtiments ;
- la révision de la directive sur les énergies renouvelables, afin d'inclure notamment l'objectif contraignant de 27 % d'énergies renouvelables pour l'Union européenne en 2030, tel que défini par le Conseil européen d'octobre 2014 ;
- présenter de nouvelles dispositions sur l'organisation du marché de l'électricité, pour en réformer le fonctionnement, ainsi que sur la sécurité d'approvisionnement ;
- prévoir un règlement sur la gouvernance, sujet de débat important au Conseil européen, qui instaure l'obligation de plans nationaux « énergie climat » pour la période 2020-2030, couvrant différentes dimensions de l'Union de l'énergie.
La présidence maltaise de l'Union européenne n'a pour le moment engagé les discussions que sur les textes relatifs à l'efficacité énergétique, les autres volets devant être abordés dans un deuxième temps. Dès lors, l'objectif d'une adoption du paquet à la fin de l'année 2017, d'abord évoqué par la Commission européenne, semble difficile à atteindre, d'autant qu'il y a des interférences entre le volet climat du paquet et d'autres dossiers en cours, notamment la proposition de réforme du système centralisé d'échanges de quotas dit « ETS » et la question du partage de l'effort de diminution des gaz à effet de serre.
Pour détailler les différents éléments du paquet en commençant par son volet « efficacité énergétique », nous soutenons l'ambition du projet de directive, qui permet de placer l'Union dans la dynamique de l'accord de Paris, et en particulier la proposition d'un objectif renforcé de 27 % à 30 %.
Il peut d'ailleurs être utile de le comparer aux objectifs nationaux, notamment ceux fixés pour la France dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, c'est-à-dire une réduction de la consommation d'énergie finale de 20 % entre 2012 et 2030, qui implique pour la France une baisse de la consommation énergétique finale d'environ 23 % en 2030 par rapport à 2005. Ainsi, avec ses propres objectifs, la France irait au-delà de l'objectif européen, car celui-ci correspond à une baisse de la consommation énergétique finale de 17 % en 2030 par rapport à 2005.
Le texte prévoit également la prolongation des principaux outils existants depuis 2012 et conforte ainsi, dans son article 7, le dispositif français des certificats d'économie d'énergie (CEE).
Néanmoins, globalement sur la directive « efficacité énergétique » et sur la directive « performance énergétique des bâtiments », nous avons à ce stade des réserves d'examen, notamment sur les infrastructures de recharge des véhicules électriques, et plus généralement sur des objectifs techniques. Il faudra veiller à ce qu'il existe une flexibilité suffisante pour la mise en oeuvre des outils. Certains objectifs semblent en effet à ce stade trop souvent énoncés sur la base de l'utilisation de moyens technologiques, et non au regard d'un résultat à atteindre. En particulier, les textes comportent des obligations spécifiques et parfois très précises pour les bâtiments neufs ou existants et la formulation de certains objectifs techniques ou certaines installations techniques, par exemple s'agissant du précâblage ou des prises, nous semble très perfectible. Il faut, de manière générale, favoriser la flexibilité et faire jouer la subsidiarité.
S'agissant du volet prévoyant la révision de la directive « énergies renouvelables », il faut rappeler qu'au terme d'un grand débat, le cadre « énergie climat » adopté par le Conseil européen d'octobre 2014 a fixé un objectif d'au moins 27 % d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique de l'Union à l'horizon 2030, contraignant au niveau européen, mais ne l'a pas décliné en objectifs nationaux. Et ce, contrairement à la législation antérieure qui prévoyait notamment en 2020 un objectif de 23 % en France.
La proposition de directive vise à intégrer la période postérieure à 2020. Si la Commission s'est abstenue de décliner nationalement l'objectif de 2030, elle y reprend en revanche les objectifs nationaux définis pour 2020 et en fait des seuils minimum au-dessous desquels chaque État membre ne peut pas descendre, ce qui paraît être de bonne politique Dans le cas où cet objectif n'est pas atteint, un mécanisme de pénalité incitative est proposé : l'État membre concerné devrait contribuer à un fonds européen géré par la Commission européenne pour financer des appels d'offres. Cette disposition est prévue dans le règlement sur la gouvernance.
Il nous semble que les dispositions sur les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables devraient être revues pour permettre d'atteindre nos objectifs tant nationaux que collectifs. La question fait l'objet d'un débat depuis plusieurs années. Si l'Europe veut atteindre ses objectifs, elle doit s'en donner les moyens. Nous considérons donc que la directive devrait explicitement indiquer que les mécanismes de soutien auxquels les États membres ont recours doivent être adaptés aux spécificités de chaque État membre et en particulier, devraient reconnaître la nécessité pour les États membres de pouvoir recourir à des appels d'offres par technologie, afin d'atteindre leurs objectifs, et non imposer une obligation d'appel d'offres technologiquement neutres.
Le projet de directive introduit un nouvel article sur l'autoconsommation afin de favoriser son développement, l'orientation d'un renforcement de la décentralisation irrigant la directive. Les mesures proposées sont globalement en ligne avec le cadre mis en place en France dans le cadre de la loi pour la transition énergétique pour la croissance verte et de l'ordonnance relative à l'autoconsommation, à l'exception, toutefois, de la disposition consistant à rémunérer systématiquement l'énergie injectée, qui est en opposition avec l'ordonnance qui permet aux petits consommateurs d'injecter leur surplus à titre gratuit.
Vous avez évoqué, Monsieur le Président, la question des communautés énergétiques locales. Il faut en effet bien examiner les incidences concrètes du texte, notamment par rapport à nos règles nationales relatives à l'autoconsommation collective, à l'expérimentation de dispositifs de flexibilité locale et aux réseaux fermés de distribution. Nous avons donc déjà des dispositifs destinés à favoriser la flexibilité et la décentralisation mais le réseau est un élément important de sécurité, de développement économique et de solidarité territoriale. Les principes fondateurs de péréquation sur le réseau électrique devront, en tout état de cause, être préservés. Néanmoins, notre questionnement ne porte pas sur la philosophie du dispositif de la Commission, mais sur ses modalités de mise en oeuvre.
En ce qui concerne les garanties d'origine, qui a fait l'objet de discussion au Sénat dans le cadre de la loi ratifiant l'ordonnance « autoconsommation », la proposition de la Commission prévoit que les producteurs d'installations bénéficiant de dispositifs de soutien ne puissent pas valoriser leurs garanties d'origine, ce qui évitera toute double rémunération. Mais, dans le même temps, pour assurer la traçabilité de l'électricité verte soutenue, la Commission propose que ces garanties d'origine reviennent à chaque État membre, qui sera responsable de les vendre aux enchères. Les autorités françaises soutiennent ces dispositions, qui sont en ligne avec le texte adopté par le Sénat.
Le texte de la Commission comprend également des dispositions nouvelles pour la production de chaleur et de froid. C'est un des secteurs auquel la France accorde la plus grande importance depuis de nombreuses années, et nous nous félicitons de cette reconnaissance. Toutefois, il faudra veiller à ce qu'il permette une grande flexibilité aux États membres afin de garantir que les mesures prises soient bien adaptées aux spécificités locales.
Le texte prévoit notamment l'augmentation de 1 % par an du taux d'énergies renouvelables pour la chaleur. Cette augmentation correspond à la fourchette basse de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et est cohérente avec les objectifs nationaux pour 2030. En revanche, l'ouverture proposée des réseaux de chaleur à des nouveaux producteurs peut constituer une difficulté de mise en oeuvre : il faudra en particulier veiller à l'équilibre économique des concessions déléguées par les collectivités locales.
En ce qui concerne les transports, la Commission européenne propose une obligation d'incorporation des énergies renouvelables dans les carburants pour les fournisseurs. Cette obligation viserait l'incorporation de biocarburants avancés ou de carburants renouvelables avancés, avec en parallèle une sortie progressive des biocarburants de première génération. Il est également prévu d'élargir l'assiette au transport aérien, voire maritime.
La priorité donnée au développement des biocarburants avancés est cohérente avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. L'élargissement aux carburants avancés renouvelables peut être soutenu. En revanche, la sortie progressive des biocarburants en concurrence alimentaire est une question complexe qui peut faire réagir, compte tenu du volume important qu'ils représentent aujourd'hui et de la filière industrielle et agro-industrielle qui s'est développée. De même, l'incitation à l'utilisation d'énergies renouvelables dans les secteurs aérien et maritime peut être soutenue, des initiatives se développant déjà en France.
S'agissant de l'organisation du marché de l'électricité, le paquet inclut une directive et deux règlements sur le marché de l'électricité et la sécurité électrique, à un moment charnière pour ce marché.
Le fonctionnement actuel des marchés de l'électricité, caractérisé par des prix très bas ces dernières années et une faible visibilité, interroge en effet sur sa capacité à susciter les investissements requis, et même à rentabiliser les capacités existantes nécessaires à la sécurité d'approvisionnement. Le nouveau cadre doit répondre à cet enjeu. Nous partageons l'ambition de la Commission de définir une architecture de marché rénovée, mieux adaptée aux enjeux de la transition énergétique, mais il nous semble qu'elle privilégie les signaux de court terme, et peut-être pas suffisamment les outils de long terme.
Cette proposition va redonner vigueur au débat qui agite le système électrique autour des instruments les mieux à même d'assurer la sécurité d'approvisionnement, notamment les mécanismes de capacité : faut-il privilégier un système centralisé ou décentralisé, recourir à des réserves stratégiques, à quel niveau faut-il les mettre en oeuvre - national, bilatéral, par grande région européenne -, etc. ? Il faut développer la flexibilité tout en renforçant les signaux de long terme, et lorsque les études d'adéquation en démontrent le besoin, permettre aux États membres de prendre les mesures qui s'imposent car, au final, ce sont bien les États qui sont responsables de la sécurité d'approvisionnement de leurs citoyens.
Il convient aussi de tenir compte des réalités physiques et économiques ; on ne peut pas tout régler par un « master plan » européen, même s'il existe des collaborations à renforcer. L'analyse de la direction générale de la concurrence de la Commission, d'ailleurs divergente de celle de la direction de l'énergie, a montré que, dans certains cas, les mécanismes de capacité peuvent être nécessaires pour garantir la sécurité d'approvisionnement. À cet égard, les niveaux européen et régional sont complémentaires du niveau national lorsqu'il s'agit d'analyser les risques et de décider de la mise en place d'un mécanisme de capacité, mais ne peuvent s'y substituer.
Il y a un désaccord sur la révision des mécanismes. Il est nécessaire de prévoir des révisions, notamment pour éviter toute surrémunération. La direction générale de la concurrence s'est prononcée sur un principe de validité pendant dix ans, qui pourrait d'ailleurs être réduit à huit ans. Mais la proposition de la Commission envisage un réexamen annuel des mécanismes qui représenterait un travail considérable s'il était fait de manière approfondi, et créerait une incertitude néfaste aux investissements de long terme en capacités de production, d'effacement ou de flexibilité.
J'ajoute que nous sommes favorables à l'ouverture aux capacités étrangères des mécanismes nationaux, prévue par le paquet. Par cohérence avec nos autres objectifs, nous accueillons favorablement l'idée de la Commission que les mécanismes ne permettent pas de soutenir les centrales émettant plus de 550 grammes de CO2 par kilowattheure, ce qui exclurait de fait les centrales à charbon non dotées d'un système de captage ou les centrales à gaz très peu performantes. Les contrats de long terme peuvent également faciliter l'investissement dans de nouvelles capacités de production et répondent au fort besoin de visibilité exprimé par les consommateurs industriels.
La Commission souhaite par ailleurs remettre le consommateur au centre du dispositif. À cet égard, certaines des dispositions proposées concernent les effacements de consommation, afin de renforcer l'émergence d'une nouvelle offre de service pour les consommateurs.
Il existe cependant une divergence ancienne entre la Commission et la France sur les tarifs réglementés de vente. La Commission propose de les supprimer dans un délai rapide - cinq ans - en gardant des dispositions en faveur des consommateurs vulnérables. Nous sommes d'avis contraire. Nous considérons que si les tarifs réglementés sont bien conçus, c'est-à-dire contestables par les fournisseurs alternatifs, s'ils sont clairs et transparents, ce qui est le cas en France, ils ne s'opposent pas au développement de la concurrence mais contribuent au contraire à renforcer la confiance dans le marché. Nous les avons certes éteint progressivement pour les consommateurs professionnels mais une suppression pour les consommateurs domestiques, outre ses effets négatifs propres, représenterait un travail considérable, avec une probabilité de ratés de 100 %, dès lors que des millions de clients seraient concernés. Nous avons donc un double désaccord avec la Commission, pratique et de fond.
Nous souhaitons également avoir des outils efficaces de lutte contre la précarité énergétique, en tenant compte des spécificités nationales.
Enfin, sur la sécurité d'approvisionnement, il existe un débat sur les interconnexions électriques. Pour la France, c'est un sujet important et nous soutenons leur développement, mais il est nécessaire de conserver une approche rationnelle, fondée sur une analyse coûts/bénéfices au cas par cas, plutôt que de retenir un objectif uniforme d'interconnexions, qui a pu être utile mais est sans doute moins pertinent aujourd'hui.
Sur la gouvernance, la proposition de règlement de la Commission repose sur deux piliers : des obligations de rapportage (reporting) et la définition d'un processus politique entre les États membres et la Commission en vue d'atteindre les objectifs de l'Union de l'énergie, y compris ceux du cadre 2030.
La Commission propose des plans nationaux énergie-climat pour la période 2020-2030 qui couvrent les cinq dimensions de l'Union de l'énergie. S'ils intègrent bien les différentes obligations de rapportage existantes sur les gaz à effet de serre, l'efficacité énergétique et les renouvelables, la simplification espérée n'est pas au rendez-vous.
Le périmètre des plans correspond à peu de choses près aux dispositifs introduits par la loi relative à la transition énergétique et à la croissance verte : stratégie nationale bas carbone, PPE, stratégie nationale de mobilisation de la biomasse et stratégie nationale de recherche énergétique. Si nous avons tous les outils pour répondre à la demande de la Commission, cette dernière demande cependant un projet de plan pour le 1er janvier 2018, après évaluation environnementale et consultation du public, ce qui suppose du temps pour être réalisé correctement.
Selon la Commission, ces plans devront lui être soumis, dans le cadre d'un processus itératif, et feront l'objet d'une consultation des États membres voisins. Il y a là un débat car autant nous sommes favorables à l'élaboration d'un plan et à sa communication, autant nous estimons qu'un processus itératif de validation par la Commission n'est pas souhaitable puisqu'il reviendrait à nier les spécificités nationales et le principe de subsidiarité et créerait de la bureaucratie, voire des phénomènes de rejets préjudiciables. En outre, le calendrier proposé n'est pas tenable. Il conviendra de laisser aux États plus de temps pour la co-construction avec les parties prenantes et la consultation du public. Il sera important enfin de trouver un équilibre entre la nécessaire qualité de ces documents et la recherche d'une charge administrative supportable.