Si vous le voulez bien, nous allons nous répartir les réponses, avec Virginie Schwartz, par grandes thématiques.
Sur le prix du carbone, lors de ma présentation, j'ai rappelé que la réforme du marché de quotas européen était en cours. Cette discussion s'inscrit dans une réflexion plus globale sur le prix du carbone et l'idée qui le sous-tend, c'est-à-dire un objectif ambitieux de réduction des gaz à effet de serre imposé d'une manière ou d'une autre. Cette question fait l'objet de travaux européens et nationaux pouvant prendre plusieurs formes. Aujourd'hui, la forme la plus connue, c'est le système central d'échanges de quotas auxquels sont soumis les gros émetteurs de carbone, qu'ils soient producteurs d'électricité ou industriels.
Une proposition de la Commission européenne est sur la table depuis l'année dernière. Elle apporte des éléments positifs, comme la création d'une réserve de stabilité dans laquelle on pourra loger les quotas en cas de surcapacités, ce qui permettra au signal-prix de conserver son efficacité. De même, les allocations de quotas se feraient sur la base de la production réelle plutôt que par rapport à la production historique.
Néanmoins, les détails doivent toujours être précisés. Et il est important d'y être vigilants car ils peuvent en réalité déterminer le véritable niveau d'ambition. Les principaux points en discussion sont les suivants : le volume de quotas et la manière dont on le gère ; le volume de quotas gratuits pour les entreprises exposées aux fuites de carbone, voire la possibilité de remplacer, pour certains secteurs, le système de quotas gratuits par un mécanisme dit « d'inclusion aux frontières », dans lequel les importateurs paieraient le prix du carbone - cette proposition figure notamment dans la position actuelle du Parlement européen sur le sujet ; enfin, un certain nombre de questions se posent sur le rythme de l'ambition, autrement dit, sur le pourcentage de baisse annuelle du plafond de quotas attribués.
Diverses propositions sont sur la table. Au niveau européen, d'abord : il existe une proposition de la Commission, et une autre du Parlement européen. Au niveau national, ensuite, c'est par exemple le cas de l'Allemagne avec son « paquet énergie-climat » interne.
En termes de calendrier, l'objectif est d'obtenir un accord au niveau européen sur le sujet, soit au Conseil dans sa formation environnement du 28 février, soit au plus tard à la fin du semestre. Nous avons fait des contre-propositions pour dynamiser le système et trouver des points d'équilibre. La question des mécanismes de solidarité avec les pays de l'Est de l'Europe fait toujours débat. Il faut, sur ce sujet, un mécanisme robuste, équitable, c'est-à-dire, par exemple, que ceux qui produisent reçoivent des quotas alors que ceux qui ferment n'en reçoivent plus.
Mais il faut également souligner qu'il ne s'agit pas de la seule façon de promouvoir un prix du carbone. Une politique de taxation de l'énergie peut également être mobilisée en ce sens. Mais l'approche purement européenne, qui s'était matérialisée par une proposition de directive, a échoué en raison de l'exigence d'unanimité imposée, en matière de fiscalité, par les traités européens. Cette directive prévoyait, entre autres, d'introduire un minimum de composante carbone dans la fiscalité de l'énergie.
Il faut donc, dans ce domaine, se tourner vers des approches nationales. La France a introduit en 2014 la composante climat-énergie (CCE) dans ses taxes sur l'énergie. Une trajectoire a été fixée dans la loi relative à transition énergétique pour la croissance verte et un vote intervient régulièrement en loi de finances - on en est aujourd'hui à 30 euros la tonne en 2017.
L'Europe peut également établir des critères en matière d'émissions de carbone dans les prises de décision des acteurs publics et privés. C'est par exemple l'approche retenue dans un décret d'application de la loi de transition énergétique à paraître sur la prise en compte des émissions de gaz à effets de serre dans les investissements publics. Il faudra évidemment que ce décret soit appliqué. Cette approche renvoie également aux obligations nouvelles de reporting imposées aux entreprises et aux investisseurs institutionnels, qui les incitent à prendre en compte le prix du carbone, qu'elles fixent parfois du reste en interne, dans leurs décisions.
Sur l'objectif du Conseil en matière d'efficacité énergétique, celui-ci était de 27 % en 2014. Il était cependant précisé que cet objectif pourrait faire l'objet d'une révision. Le Parlement européen souhaite un objectif plus ambitieux. La Commission européenne propose 30 %. La France propose d'accepter ces 30 %. Des débats sur ce sujet vont avoir lieu au sein du Conseil.
Sur les technologies et la recherche, en matière de stockage et de biocarburants notamment, il s'agit d'un élément important des politiques internationales, européennes et nationales. Internationales, car dans le cadre de la mission innovation mise en place en application de l'Accord de Paris, un certain nombre de pays se sont engagés à doubler leurs efforts de recherche pour l'énergie verte. Au niveau européen, un certain nombre d'outils existent déjà, qui devraient d'ailleurs être révisés. On peut mentionner le SET plan, qui est un programme de recherche stratégique sur l'énergie en général et sa durabilité. Je pense également au mécanisme de soutien, dit « NER 300 », dans le cadre duquel 300 millions de tonnes de quotas de CO2 ont été mis de côté pour soutenir, par le produit de leur vente, des projets de démonstrateurs industriels. Il est prévu, dans le système de quotas pour la période 2021-2030, de porter ce volume de quotas dédiés au financement de la recherche à 400 millions de tonnes. S'agissant des politiques nationales, le programme des investissements d'avenir (PIA) soutient de nombreux projets en matière de stockage d'énergie ou de biocarburants mais aussi de réseaux intelligents et de technologies d'efficacité énergétique.. S'agissant du stockage, l'on peut notamment mentionner le « power to gas », qui transforme l'électricité en gaz pour le stocker ensuite dans le réseau. Tout cela est à poursuivre.
J'en viens au nucléaire. Il n'y a pas d'objectif en la matière. Il y a un objectif européen sur le renouvelable à l'horizon 2030, et un souhait des États membres de disposer d'une latitude suffisante, en vertu du principe de subsidiarité, tenant compte de leur historique et de leur contexte national, sur la part du nucléaire dans leur mix énergétique. Il n'y aura donc, sur le nucléaire, aucune contrainte, ni dans un sens, ni dans l'autre. En revanche, les États membres devront rendre compte, dans les plans énergie-climat nationaux, des moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs en matière d'efficacité énergétique, d'émissions de carbone et d'énergies renouvelables. Un sujet pouvant toucher au nucléaire, mais qui n'est pas propre au nucléaire, concerne la faisabilité des contrats longs d'investissement dans les grandes infrastructures de production. Aujourd'hui, financer un petit parc éolien ne pose pas de difficultés. Il en va autrement du financement d'un parc d'éoliennes en mer, par exemple, comme du renouvellement ou de la prolongation d'un parc nucléaire.
Sur les énergies renouvelables, je souhaite d'abord confirmer que figure bien, dans le paquet qui nous est soumis, l'idée d'une contribution obligatoire d'un État membre à un fonds, géré par la Commission, en cas de non atteinte de ses objectifs en matière d'énergies renouvelables. Il faudra évidemment en étudier la mise en oeuvre opérationnelle mais ce n'est pas forcément une mauvaise idée. Puisque les États membres sont seulement contraints d'atteindre l'objectif national fixé à l'horizon 2020 et non 2030, il ne serait pas totalement illogique qu'un manquement soit sanctionné. J'espère simplement qu'on ne fera pas partie de ceux qui paieront ! Cependant, si le produit des amendes payées est réinvesti dans la transition énergétique, ce n'est pas plus mal, mais c'est une position personnelle, qui n'engage pas le Gouvernement.
Le deuxième sujet évoqué en matière d'énergies renouvelables était celui de la priorité d'injection réservée aux petites installations, aux installations existantes et aux démonstrateurs. C'est un sujet important, mais il l'est probablement moins pour la France que pour d'autres pays, en raison de la manière dont ils gèrent le système électrique. Pour répondre à la question posée, il faut d'abord rappeler la signification technique de la priorité d'appel. Celle-ci est aujourd'hui effectuée par RTE dans le cadre du mécanisme d'ajustement, auquel participent assez peu les énergies renouvelables. Par ailleurs, indépendamment de toute priorité d'appel, un grand nombre d'installations d'énergies renouvelables sont déjà naturellement sélectionnées au titre du prix marginal (ou du merit order), sauf celles qui utilisent de la biomasse, qui ont des coûts fixes bas et des coûts variables élevés. Néanmoins, celles qui sont soutenues par le mécanisme dit du complément de rémunération peuvent aller sur le marché et être rémunérées. En somme, cela ne paraît pas un sujet majeur pour nous.
S'agissant des départements et collectivités d'outre-mer, il faudra que nous fassions valoir leur spécificité. D'ailleurs, un projet de décret prévoit d'étendre la priorité d'appel dans ces territoires, sauf pour quelques installations particulières. En l'espèce, le marché européen n'est de toute façon pas affecté et, si le seul critère du prix était retenu, on produirait à partir de sources d'énergies fossiles, car il n'y a aucune autre solution décarbonée, en dehors du renouvelable. Il faut donc y veiller. D'autres pays peuvent avoir des problèmes plus importants sur ce sujet.
La question de la priorité de raccordement au réseau aurait pu inquiéter mais son principe est inscrit dans les directives et il existe déjà des dispositions en droit national, renforcées par la loi de transition énergétique.
Sur l'ouverture partielle des appels d'offres aux capacités étrangères, nous ne sommes pas opposés à l'idée de l'expérimenter avec un certain nombre de pays, sous condition de réciprocité, car en matière d'énergie, lorsqu'un appel d'offres est organisé, il y a un soutien national pour atteindre les objectifs en matière d'énergies renouvelables. À la différence d'autres pays, notre stratégie repose donc clairement sur la réciprocité. Autrement dit, si l'on finance à l'étranger, il faudrait que l'étranger finance également chez nous. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas que les États membres soient contraints de le faire systématiquement. Et ce d'autant plus que la Commission a justifié son souhait d'imposer une telle ouverture par le fait que les mécanismes de soutien aux producteurs nationaux s'apparenteraient à des droits de douane qui s'appliqueraient à l'électricité, d'où qu'elle vienne, mais financeraient uniquement les énergies renouvelables nationales. Or, avec la réforme française du mode de soutien aux énergies renouvelables, notre système n'est nullement assimilable à de tels droits. Nous ne sommes donc pas dans le cadre de cette obligation imposée à d'autres pays. Enfin, il n'est pas simple d'imaginer comment, techniquement, des appels d'offres communs et réciproques pourront être organisés.