Nous avons beaucoup échangé sur ce point avec nos voisins, notamment avec les allemands qui, parce qu'ils se sont fait imposer, pour des raisons juridiques, une obligation d'ouverture par la Commission, étaient très demandeurs d'une collaboration sur le sujet. D'un côté, cela peut constituer une opportunité de développer des énergies renouvelables qui seraient moins coûteuses dans certains pays, et donc finalement d'atteindre un même volume d'énergies renouvelables pour un coût moins élevé, ce qui est positif, et c'est ce que la Commission européenne a à l'esprit quand elle promeut ce système : c'est l'idée que chaque pays a des avantages géographiques en termes d'énergies renouvelables, et qu'il faut donc les utiliser au maximum. D'un autre côté, on sait que chaque filière d'énergie renouvelable a des avantages et des inconvénients qui lui sont propres, notamment en termes de création d'emplois au niveau local ou d'impacts paysagers et environnementaux qui, par hypothèse, affectent le pays dans lequel elles se trouvent. Dès lors, considérer - en poussant le raisonnement à l'extrême - qu'un État membre remplirait ses obligations via des installations situées dans d'autres pays qui seraient affectés négativement par ces installations pourrait poser des difficultés sur certaines filières. C'est pourquoi nous sommes favorables à un encouragement - envisagé un temps par la Commission - et non à une obligation, et à une discussion pays par pays et filière par filière, au cas par cas, pour être sûrs que chacun en tire un bénéfice, avant d'aller au-delà.
S'agissant des communautés énergétiques locales, les intentions réelles de la Commission sur ce sujet sont aujourd'hui assez peu claires. On constate qu'elle souhaite promouvoir des formes de décentralisation de l'énergie, et nous la soutenons sur cette voie, mais la question de savoir jusqu'où elle veut aller sur certains points, notamment sur le réseau, reste ouverte et il nous faudra travailler avec elle sur ce sujet pendant les prochains mois. La France a lancé de nombreuses initiatives visant à favoriser l'autoconsommation et la production décentralisée et nous sommes donc en mesure de proposer des solutions à la Commission dans ce domaine. Nous devons néanmoins avoir à l'esprit les deux principes que sont la péréquation tarifaire, via nos réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, et l'optimisation du système. Si l'on prend au pied de la lettre ce qu'écrit la Commission, il existe un risque assez important de désoptimisation et donc de surcoût pour les Français et les Européens, car l'on dupliquerait des parties de réseaux à côté du réseau public. À l'opposé, la France promeut bien l'autoconsommation collective mais celle-ci utiliserait le réseau public, ce qui préserve notre logique d'optimisation collective des coûts à l'échelle de la communauté nationale.
S'agissant de la sécurité d'approvisionnement, je reviendrai d'abord sur la tension que nous avons connue lors de la deuxième semaine de janvier, avec des températures en dessous des normales de saison d'environ six degrés. Pour y faire face, RTE a mobilisé l'ensemble des solutions qui étaient disponibles. S'agissant des interconnexions, en moyenne, entre 3 et 4 gigawatts ont été importés, notamment en provenance d'Espagne - il ne s'agissait pas du maximum technique car nos voisins connaissaient aussi des tensions dues soit au froid soit à des difficultés techniques, notamment en Belgique. À cet égard, RTE a souligné l'excellente collaboration qu'il a eue avec ses voisins gestionnaires de réseaux. Une optimisation maximale a été recherchée, y compris à travers le fait de bénéficier des réserves que chaque gestionnaire de réseaux conserve pour son système électrique. En bref, tout cela a bien fonctionné.
Les énergies renouvelables ont également apporté une contribution, certains jours plus que d'autres. À la pointe de midi, entre 6 et 8 gigawatts étaient fournis par le solaire et l'éolien au milieu de la semaine. Par ailleurs, l'hydroélectricité a très bien fonctionné car l'on avait pu reconstituer, en décembre, des stocks hydrauliques qui étaient très bas au début du mois. Enfin, les effacements de consommation ont également été particulièrement mobilisés. Il s'agit d'un sujet qui a notamment été porté par les parlementaires ces dernières années : on constate aujourd'hui que cela a porté ses fruits, RTE a pu mobiliser les contrats qui le lient avec les entreprises pour faire de l'effacement, ainsi que recourir à l'effacement diffus.
Finalement, cette tension nous a montré à quel point ces sujets d'approvisionnement sont importants, alors qu'ils sont parfois oubliés par rapport aux questions de libéralisation ou de transition énergétique.
S'agissant des critères de sécurité d'approvisionnement, autrement dit des critères de défaillance du système électrique, dans le cadre de la PPE, la France a acté le début des travaux sur une remise à plat des critères de défaillance du système électrique, notamment sur les marges. La question est de savoir de quelles marges nous avons besoin dans notre système électrique pour tenir compte des aléas, qu'ils soient climatiques ou techniques. Tout cela a un coût, c'est pourquoi il nous semble extrêmement difficile d'envisager une harmonisation européenne. L'aversion à la coupure électrique n'est pas la même selon les pays ; elle dépend de leur histoire comme de leur dépendance à l'électricité, notamment pour le chauffage. Un critère de défaillance plus strict engendre un plus haut degré de sécurité d'approvisionnement, et donc des coûts plus élevés. Il existe aujourd'hui des positions très diverses entre les États membres. L'harmonisation nous semble donc très difficile à envisager.
Nous continuerons à défendre, auprès de Bruxelles, l'idée que ces mécanismes doivent être préservés, sans remise en cause périodique, pour procurer de la visibilité à long terme. J'observe d'ailleurs que la direction générale de la concurrence a validé notre mécanisme de capacité, ce qui démontre sa contribution à l'objectif de sécurité d'approvisionnement sans inconvénients majeurs : en particulier, il est ouvert aux capacités étrangères et se base sur un système de prix de marché.
Nous souhaitons également convaincre la Commission de la nécessité d'appliquer les mêmes exigences de transparence et d'ouverture au marché à tous les États membres pour les dispositifs qui appartiennent à la même « famille » que les mécanismes de capacité : je pense par exemple au système des réserves stratégiques dont disposent les allemands et qui ont été mis en place en prévoyant un recours au charbon.
J'en viens au troisième volet de cette thématique consacrée à la sécurité d'approvisionnement qui porte sur les interconnexions : celles-ci ont rempli leur mission et nous sommes favorables à poursuivre leur développement. La Commission souhaite que le taux d'interconnexion soit porté de 10 à 15 % pour tous les États membres quand les projections de RTE prévoient que la capacité d'interconnexion de la France atteindrait, d'ici 2030, plus de 27 GW, soit 17 %. Nous pensons que ce système est globalement bénéfique pour le consommateur ; encore faut-il que l'évaluation des projets soit basée sur des analyses coûts/bénéfices au cas par cas et non pas sur un critère systématique et uniforme.
S'agissant de la protection du consommateur, un important travail a été réalisé sur les tarifs réglementés pour mettre en place un dispositif compatible avec le développement de la concurrence tout en facilitant l'accès de tous à l'électricité. Le débat, sur ce point, est constant avec la Commission. Je signale une échéance importante avec l'issue prochaine d'un contentieux sur les tarifs réglementés du gaz, aujourd'hui en cours d'examen par le Conseil d'État. Le juge administratif a été saisi par les opérateurs alternatifs et devrait nous donner sa position dans les mois qui viennent après une question préjudicielle posée à la Cour de justice de l'Union européenne. Celle-ci a défini un certain nombre de critères qui doivent être satisfaits par les tarifs réglementés et nous estimons que tel est bien le cas pour ce qui concerne les tarifs réglementés français.
En ce qui concerne la précarité énergétique, l'expérimentation du chèque énergie se déroule dans quatre départements et elle donne de bons résultats. Son objectif est non seulement d'augmenter le nombre des bénéficiaires mais aussi de leur permettre un accès plus systématique aux aides. Nous estimons que l'encadrement normatif défini par la Commission comporte des ambiguïtés, puisqu'elle renvoie à des dispositions relevant de la sécurité sociale. La France défendra sa position et plaidera la conformité du chèque énergie. Je fais d'ailleurs observer que si peu de nos partenaires pratiquent et soutiennent les tarifs réglementés, ils sont en revanche beaucoup plus nombreux à partager nos préoccupations en matière de précarité énergétique.
Enfin, les textes européens prévoient la généralisation des compteurs Linky, sauf pour les pays qui démontrent que le coût de ce déploiement est excessif. Les italiens sont, par exemple, très avancés dans ce processus tandis que les allemands sont un peu plus en retard.