Intervention de Mireille Jouve

Réunion du 2 février 2017 à 10h30
Violences sexuelles : aider les victimes à parler — Débat organisé à la demande du groupe écologiste

Photo de Mireille JouveMireille Jouve :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, force est de constater, comme vient de le faire Esther Benbassa, que les intervenants dans ce débat sont exclusivement des femmes, comme si le sujet ne concernait pas les hommes…

Au début du mois de janvier, l’académie des Césars annonçait en grande pompe sur Twitter que le réalisateur franco-polonais Roman Polanski, 83 ans, présiderait la quarante-deuxième cérémonie des Césars, le 24 février prochain. L’industrie du spectacle, qui n’aime rien tant que les anniversaires, choisissait Roman Polanski quarante ans exactement après qu’il eut été accusé de viol sur une jeune fille de 13 ans, ce qui l’avait poussé à fuir les États-Unis peu après s’être déclaré coupable de « rapports sexuels illégaux ».

Depuis, sous la pression des associations féministes, le réalisateur, dont personne ici ne nie le talent, a décidé de renoncer. Rappelons que Frédéric Mitterrand, en 2009, alors qu’il était ministre de la culture, avait eu ces mots terribles : « Si le monde de la culture ne soutenait pas Roman Polanski, ça voudrait dire qu’il n’y a plus de culture dans notre pays. » Si le monde de la culture absout des agresseurs sans nuance ni scrupule, au prétexte qu’ils débordent de talent, comment la société peut-elle espérer que les victimes, confrontées à de telles amnisties, libèrent leur parole ?

Car c’est un fait malheureusement avéré : très souvent, les victimes ne portent pas plainte parce qu’elles éprouvent un sentiment de honte ou de culpabilité, et elles s’enferment malgré elles dans cet état, parfois aussi pour épargner leurs proches. Elles craignent d’être tenues pour responsables de ce qui leur est arrivé, qu’on les soupçonne d’avoir été consentantes. C’est la funeste « culture du viol », en raison de laquelle, pendant longtemps, les questions de la pédophilie, du viol ou des agressions sexuelles ont été peu abordées, pour ne pas dire taboues.

Dans cette « culture », si peu éclairée, les victimes sont souvent mises en cause à la place de leur agresseur.

Publiée en mars 2016 – voilà donc moins d’un an, j’insiste sur ce point –, une enquête de l’IPSOS portant sur les représentations du viol et des violences sexuelles chez les Français donne des résultats effarants : 40 % des personnes interrogées estiment que la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a eu une attitude provocante en public ; pis, 27 % portent la même appréciation si la victime portait une tenue sexy ; enfin, quatre sur dix pensent que l’on peut faire fuir le violeur si l’on se défend vraiment… Ces chiffres donnent la mesure du travail de pédagogie et d’accompagnement restant à accomplir.

Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, en moyenne annuelle sur la période 2010-2015, 84 000 femmes âgées de 18 à 75 ans et 14 000 hommes déclarent avoir été victimes de viol ou tentative de viol. Mais, parmi ces personnes, 12 % seulement déposent plainte et seule une plainte sur dix aboutira à une condamnation. Ces données alarmantes font dire à la présidente du Collectif féministe contre le viol que, « dans le viol, la parole est le premier tabou ».

À ce titre, l’accueil des victimes est le premier enjeu. Si, dès ses premiers mots, une victime a le sentiment qu’elle n’est pas crue, que l’accueil manque de confidentialité et n’est pas bienveillant, elle renonce à porter plainte.

Pour remédier à cette situation, les policiers et gendarmes qui le souhaitent peuvent, depuis le début des années 2000, bénéficier d’une formation relative à l’accueil et à l’audition des femmes victimes de violences sexuelles.

Plus récemment, la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a instauré une obligation de formation pour tous les professionnels – depuis les personnels médicaux jusqu’aux magistrats et aux policiers – en contact avec des femmes victimes de violences.

L’intervention de ces professionnels est en effet capitale pour les victimes, et c’est aussi grâce à eux que de nombreuses femmes parviennent à aller au bout du processus et à se reconstruire.

La présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Danielle Bousquet, rappelle d’ailleurs que, en la matière, si des progrès indiscutables ont été faits, « il faut […] aller plus loin, en s’inspirant de l’expérience de la cellule d’accueil d’urgence des victimes d’agressions du CHU de Bordeaux : les victimes peuvent y accéder en direct, c'est-à-dire sans dépôt de plainte préalable. Du coup, parce qu’elles sont mieux accompagnées, elles portent davantage plainte –jusqu’à trois fois plus. »

Un tel accompagnement se pratique déjà au Québec, via la prise en charge des victimes, souvent dans un cadre hospitalier, au sein de ce que l’on appelle des « centres désignés ». Ces structures, accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, offrent aux personnes victimes d’agressions sexuelles différents services d’aide médicale et psychologique, assurés par une équipe d’intervenants sociaux, de médecins et d’infirmières. La victime y rencontre sans délai une équipe de professionnels formés pour la soutenir dans ses démarches. Ce dispositif est complété par les centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, dont la mission est de venir en aide aux victimes d’agressions sexuelles, particulièrement en les accompagnant durant tout le processus judiciaire si elles décident de déposer une plainte.

On le voit, la France gagnerait à s’inspirer de l’exemple du Québec, lequel a institutionnalisé l’ensemble du processus de prise en charge et d’accompagnement des démarches judiciaires, afin de sécuriser les victimes et, ainsi, de libérer leur parole.

Beaucoup reste à faire, et je remercie le groupe écologiste du Sénat d’avoir pris l’initiative de ce débat.

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