Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces derniers mois ont été marqués par le retentissement médiatique du livre témoignage de Flavie Flament, La Consolation, qui dénonce un viol dont l’auteur présumé est un photographe de renom. Après ces révélations, l’animatrice a dû faire face à des accusations de diffamation. Une partie de l’opinion l’a même accusée d’être responsable de la mort de l’auteur présumé du viol.
Cet enchaînement de faits révèle, en raison de la notoriété des protagonistes, ce que vivent dans l’ombre des milliers, voire des millions, de victimes de violences sexuelles : l’horreur du drame et ses conséquences tout au long de la vie, la difficulté, voire l’impossibilité, d’en parler, d’être crue, le déchaînement de violences, de ruptures auquel de nombreuses victimes ont à faire face lorsque leur parole se libère. C’est la preuve, s’il en était besoin, que notre société n’entend pas ces victimes, pour plusieurs raisons.
Le huis clos dans lequel se déroulent ces abus et ces crimes muselle la parole des victimes. La violence physique et psychologique, la peur rendent le crime presque parfait, car l’enjeu pour l’auteur des faits, en plus d’abuser sexuellement sa victime, est d’empêcher la parole de celle-ci. Une double peine est ainsi infligée aux victimes. Comme nous le disent si justement les associations, c’est le seul crime dont la victime porte la honte. C’est insupportable !
Je tiens à saluer à mon tour l’initiative de mes collègues du groupe écologiste. L’enjeu est fort. La parole est le point de départ de la reconstruction des victimes et le point d’arrêt des criminels. Encore faut-il que la société accepte de regarder, d’écouter cette réalité et de mettre en œuvre les moyens d’accompagner cette parole, de la rendre audible. Au-delà de la révélation, il s’agit de proposer des lieux de réparation.
Commençons par regarder les choses en face : les violences sexuelles, qu’elles s’exercent sur des enfants ou sur des adultes, sont un phénomène d’ampleur dans notre pays. Selon l’enquête réalisée en 2006 par l’INSERM et l’INED, 16 % des femmes et 5 % des hommes déclarent avoir subi des viols ou des tentatives de viols au cours de leur vie. On estime que seulement 10 % des viols font l’objet d’une plainte.
Le Conseil de l’Europe estime qu’un enfant sur cinq est confronté à la violence sexuelle sous toutes ses formes : viols, abus sexuels, pornographie, sollicitation des enfants par le biais d’internet, prostitution et corruption. Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, à l’âge de 20 ans, une Française sur dix déclare avoir été agressée sexuellement au cours de sa vie, dans le cercle familial pour la très grande majorité d’entre elles. Ces chiffres sont effrayants.
Ce matin, nous parlons d’un type de violences bien spécifique, les violences sexuelles, mais je souhaite insister sur le fait que ces violences s’inscrivent dans un contexte social très permissif. Les auteurs se sentent tout-puissants, ce qui décourage les victimes de parler.
On peut évoquer un continuum des violences au niveau individuel et au niveau collectif.
Au niveau individuel, toutes les violences subies dans l’enfance meurtrissent, abîment profondément. Les violences sexuelles sont encore plus destructrices. La victime risque, plus que toute autre personne, d’être surexposée à d’autres violences à l’école, et plus tard au sein du couple ou au travail. Elle risque aussi de développer des comportements à risque contre elle-même ou contre les autres. Si la victime n’est pas prise en charge, elle peut souffrir de ce continuum de violences tout au long de sa vie.
Nous retrouvons ce continuum au niveau sociétal, car même si les garçons et les hommes sont aussi victimes de violences, sexuelles notamment, celles-ci s’inscrivent toujours dans un contexte de domination sexué. Les auteurs sont très majoritairement des hommes, et les victimes sont majoritairement des femmes et des enfants.
Toutes les formes de violences se conjuguent et se renforcent : mépris, insultes, harcèlement, violences sexuelles, violences conjugales, prostitution, inégalités salariales, remise en cause de l’IVG, inégalités politiques, etc. Ces violences révèlent que les femmes, les enfants subissent encore une forte inégalité et une stigmatisation dans notre société.
On peut aussi évoquer un continuum chez les auteurs de violences. Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue médicale, présidente de l’association Stop aux violences sexuelles, indique, en s’appuyant sur les travaux de la psychanalyste Alice Miller, que « la violence est racine de la violence ». Elle avance même que 80 % des agresseurs auraient eux-mêmes subi des abus dans leur enfance.
Il y a donc urgence à traiter ce fait social, de santé publique que sont les violences sexuelles, en agissant au niveau individuel et au niveau collectif.
La politique conduite ces dernières années en matière d’égalité entre les femmes et les hommes a permis de mettre en évidence, de mesurer les inégalités et de rechercher des moyens d’atteindre l’égalité réelle. Malgré des avancées, il reste beaucoup à faire. Nous devons centrer nos efforts sur les droits des enfants et opter pour une éducation bienveillante. Il faut informer davantage les mineurs sur leurs droits.
À cet instant, que l’on me permette de déplorer que certains de nos collègues sénateurs aient saisi le Conseil constitutionnel de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, adoptée à la fin du mois de décembre dernier. Son article 222, que les deux chambres avaient enfin fini par adopter, disposait que l’autorité parentale s’exerce à l’exclusion de « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Cette censure, pour une question de forme, permet à certains parents de continuer à user d’un archaïque « droit de correction » sur leurs enfants. C’est bien regrettable !
Au niveau individuel, il s’agit de créer un climat de confiance propice à la libération de la parole de la victime, de croire celle-ci et de l’accompagner.
Comme nous l’apprennent de nombreux témoignages, il est tout d’abord difficile de faire émerger ces événements à la conscience : la victime les enfouit pour survivre. On parle d’amnésie traumatique. Ce travail personnel peut prendre de nombreuses années, voire ne jamais se faire. La victime doit affronter la honte et l’emprise, mécanismes spécifiques aux agressions sexuelles.
Ensuite, la question est « en parler ou non ». En effet, pour les personnes victimes de violences sexuelles, le fait même d’en parler constitue une expérience redoutable. En parlant, en déposant plainte, elles vont revivre les épisodes douloureux. Elles prennent le risque de se retrouver face à leur agresseur, d’être exclues de leur famille, accusées de mensonge, menacées de mort. Pour tenir, il faut impérativement être accompagné.
Cet accompagnement pourrait être assuré au sein de centres de crise et de soin spécifiques et pluridisciplinaires pour les enfants et les adultes victimes de violences sexuelles, comme le propose la psychiatre Muriel Salmona : des lieux de soins, mais aussi des lieux ressources pour les intervenants professionnels et bénévoles.
Dans les cas où les faits ne sont pas prescrits, c’est alors « parole contre parole ». La victime s’expose à une nouvelle charge de violence de la part de l’agresseur. En l’absence de preuves, comme c’est très souvent le cas pour ces faits, le dossier est classé sans suite. La victime n’a pas obtenu la reconnaissance attendue. Parfois, lorsque les faits sont prescrits, le dépôt de plainte permet la découverte de nouvelles victimes, pour lesquelles les faits peuvent être poursuivis.
Il me paraît essentiel d’évoquer à mon tour la question des délais de prescription. Je sais que cette vision est, pour l’instant, loin d’être partagée, y compris au sein de ma famille politique ; pourtant, je ne désespère pas que les délais de prescription puissent être allongés et que l’on atteigne un jour l’imprescriptibilité pour ces faits. En effet, la victime qui parle après que les délais de prescription sont écoulés se retrouve dans une situation d’insécurité juridique. En témoignant, elle risque d’être poursuivie pour diffamation ; c’est inique !
Devant un fait social d’une telle ampleur, il faut prendre les moyens d’aider les victimes à se réparer.
Tout d’abord, il est essentiel de former les professionnels et les bénévoles à la réalité des violences sexuelles, à leur ampleur, à leurs mécanismes de destruction et à la reconstruction de la personne, que ce soit dans le champ médical, dans l’éducation ou dans le monde du travail.
Par ailleurs, nous devons poursuivre les travaux engagés ici sur l’initiative de notre collègue Colette Giudicelli en instaurant une obligation de signalement pour le personnel médico-social qui repère des violences sexuelles chez un patient. Aujourd’hui, une vision conservatrice demeure au sein des ordres médicaux, qui, sous couvert de respect du secret professionnel, s’opposent à l’obligation de signaler.
Si, à l’automne 2015, nous avions réussi à faire en sorte que le signalement ne puisse se retourner contre le soignant, nous devons aller plus loin, en assurant la confidentialité des informations transmises. En effet, dans certaines situations, le signalement profite à la défense du mis en cause, par exemple quand celui-ci est détenteur de l’autorité parentale et peut donc consulter les dossiers relatifs à la victime
La réponse judiciaire doit également évoluer. Les classements sans suite sont trop nombreux. Il faut former les personnels de la police, de la gendarmerie et de la justice à ces réalités, en vue tant du traitement de la plainte spécifique de chaque victime que de la prévention. En effet, la connaissance d’un prédateur sexuel peut permettre de l’empêcher de nuire à nouveau, et d’enrayer ainsi le cycle infernal des violences.
Pour conclure, mes chers collègues, je me réjouis que ce débat ait lieu. Il nous honore. Ces dernières semaines, en effet, nous avons pu entendre dire que députés et sénateurs se désintéressaient de la question des violences sexuelles. Il n’en est rien. Nous continuons le combat en faveur des victimes. Nous voulons une société plus juste, plus respectueuse de chaque être humain.
Continuons à dénoncer toutes ces formes de violences. Je pense notamment à un phénomène récent, celui des « viols à distance », sur commande et par internet, qui se répandent dans les réseaux pédophiles.
Continuons aussi à dénoncer toutes les inégalités et injustices desquelles se nourrissent toutes ces violences. Rien n’est inéluctable, et l’intervention de la loi en la matière est déterminante pour signifier quelle société nous voulons construire.
La mobilisation de l’opinion publique, les prises de position de personnalités du monde du spectacle, aux côtés de la comédienne Andréa Bescond, en faveur de l’imprescriptibilité, nous interpellent et nous servent d’aiguillon. Soyons attentifs à la souffrance des victimes et à l’attente forte de plus de bienveillance que notre société exprime ; je veux croire avec vous qu’il n’y a pas de fatalité de la souffrance !