Intervention de Patricia Morhet-Richaud

Réunion du 2 février 2017 à 10h30
Violences sexuelles : aider les victimes à parler — Débat organisé à la demande du groupe écologiste

Photo de Patricia Morhet-RichaudPatricia Morhet-Richaud :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui, sur l’initiative d’Esther Benbassa, pour aborder le délicat sujet des violences sexuelles et de la nécessité d’aider les victimes à en parler.

Je voudrais remercier le groupe écologiste de nous permettre d’avoir ce débat difficile mais ô combien utile.

En effet, même s’il est difficile d’avoir des chiffres fiables et représentatifs, une femme sur cinq et un homme sur quatorze interrogés dans le cadre de consultations médicales déclarent avoir déjà subi des violences sexuelles.

En se fondant sur les seuls dépôts de plainte, on peut estimer que près de 260 000 personnes seraient chaque année victimes de viols ou tentatives, dont plus de 125 000 filles et 32 000 garçons de moins de 18 ans, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes. Dans 81 % des cas, les victimes sont des mineurs. Dans 94 % des situations, les agresseurs sont des proches de la victime. Au moins 68 % des victimes ont subi un viol, et 40 % rapportent une situation d’inceste. Tandis que nous débattons, une, voire plusieurs personnes, seront agressées sexuellement dans notre pays.

Huit victimes sur dix déclarent que les faits se sont déroulés lorsqu’elles étaient encore mineures. Une sur deux avait moins de 11 ans, une sur cinq moins de 6 ans. Dans 96 % des cas, l’agresseur est un homme. Un enfant victime sur deux est agressé par un membre de sa famille. Dans un cas sur quatre, l’agresseur est lui-même mineur. Je rappelle que, à l’âge adulte, un viol sur deux serait un viol conjugal. Seulement 18 % des viols de personnes majeures seraient le fait d’un inconnu.

Ces agressions sont lourdes de conséquences pour les victimes, dont elles affectent la santé mentale et physique. Un rapport a montré qu’il en est ainsi dans 96 % des cas lorsque l’agression a été subie dans l’enfance. Ce rapport dresse une longue liste des pathologies somatiques associées aux violences sexuelles. En touchant à l’âme des victimes, les agresseurs font aussi des ravages dans leur corps. Plusieurs études scientifiques ont montré qu’avoir subi de tels faits serait un facteur de risque, parfois plusieurs décennies après, de développer des maladies cardiovasculaires, pulmonaires, endocrines, auto-immunes, neurologiques, des problèmes de sommeil et de douleurs chroniques, voire des atteintes épigénétiques pouvant être transmises à la descendance des victimes.

Les conséquences sont encore plus graves quand l’agression était incestueuse : plus la victime est jeune au moment des faits, plus l’agresseur est proche d’elle, plus il a d’autorité sur elle, et plus l’impact sur sa qualité de vie et le risque qu’elle tente de se suicider sont importants, nous disent les professionnels.

L’abus reste un secret absolu très longtemps, parfois toute une vie. En gardant le silence, la victime se fait, malgré elle, l’alliée de l’abuseur, puisque la seule chose que celui-ci redoute, c’est d’être dénoncé. Le fait de devenir ainsi, bien involontairement, son alliée, renforce le mépris que la victime a d’elle-même et son sentiment de culpabilité.

Pourtant, une personne sexuellement abusée n’est jamais coupable ni responsable. Mais parler est pour elle très difficile, et peu de victimes portent plainte. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’aider à améliorer la prise en charge et l’accompagnement des victimes.

Seules 4 % des victimes agressées dans l’enfance disent avoir été prises en charge par l’aide sociale à l’enfance, tandis que 70 % de ceux qui ont porté plainte pour des faits commis alors qu’ils étaient mineurs n’auraient jamais été protégés et que 70 % de l’ensemble des victimes se sont senties insuffisamment ou pas du tout reconnues comme telles.

C’est pourquoi la prise en charge médicale doit être améliorée, afin qu’elle soit plus rapide et mieux adaptée à l’état de stress post-traumatique des victimes.

Ces enseignements figurent au programme des épreuves classantes nationales d’accès à l’internat, mais de nombreux étudiants interrogés semblent l’ignorer. En effet, alors que 30 % d’entre eux ont été confrontés aux violences sexuelles lors de leurs stages en hôpital, moins d’un sur cinq indique avoir déjà reçu un cours ou une formation sur ce sujet, à l’issue de la réforme menée en 2012-2013. À ce jour, ces troubles restent mal diagnostiqués par les médecins. Ils sont souvent mis sur le compte de troubles de la personnalité, d’une dépression, voire d’une psychose.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, avoir subi des violences sexuelles est le facteur de risque principal d’en subir à nouveau… C’est pourquoi il faut libérer la parole. Un important travail d’information est d’ores et déjà mené auprès des personnes sexuellement violentées, notamment par les associations, qui sont très présentes et dont je tiens à souligner l’extraordinaire travail.

Idéalement, il faudrait réussir à créer, dans chaque ville moyenne, une consultation spécialisée en psycho-traumatismes associée à un réseau de professionnels formés et informés. Beaucoup de médecins généralistes hésitent à interroger leurs patients lorsqu’ils ont un doute. Or beaucoup de victimes ont envie d’être devinées et disent que, si on leur avait demandé si elles avaient subi des violences sexuelles, elles en auraient parlé beaucoup plus tôt.

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