Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens moi aussi à remercier le groupe écologiste, notamment Esther Benbassa, d’avoir pris l’initiative de ce débat.
Le sujet est difficile et grave. S’il nous faut, bien entendu, l’aborder avec beaucoup d’humanité, c’est aussi en tant que législateur que nous devons l’appréhender, pour améliorer la prise en charge des victimes, pour mettre fin à ces violences.
Nous devons donc étudier les obstacles sociaux et juridiques qui font qu’aujourd’hui, dans notre société, les victimes, adultes comme enfants, ont tant de mal à dénoncer leurs harceleurs et leurs agresseurs.
Quelques langues se sont déliées récemment pour rompre avec la loi du silence et du tabou. Je pense notamment aux collaboratrices parlementaires et élues ayant fait l’objet de harcèlement sexuel ou d’agressions sexuelles. Je songe aussi à l’animatrice Flavie Flament, qui a témoigné du viol dont elle a été victime. Toutefois, au regard de la réalité, rares encore, trop rares sont les victimes qui dénoncent leurs agresseurs, osent parler.
Permettez-moi de faire un « focus » sur le viol, forme la plus extrême de ces violences, en reprenant les chiffres des ministères de l’intérieur et de la justice.
En France, chaque année, 84 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol. Moins de 10 % de ces femmes déposent plainte, et seule une plainte sur dix aboutit à une condamnation. Au total, 51 % des femmes victimes de viol ou de tentative de viol ne font aucune démarche, ni auprès des forces de police ou de la gendarmerie, ni auprès de médecins, psychiatres et psychologues, ni auprès des services sociaux, associations ou numéros d’appel.
Ce sont là des chiffres, hélas ! relativement constants, qui ne diminuent pas au fil des années, malgré les politiques publiques déployées jusqu’à présent, notamment par vous, madame la ministre. Ce débat est donc bienvenu pour nous permettre de réfléchir ensemble aux mesures urgentes qu’il faut prendre, par le législateur comme par l’État.
On ne peut analyser ces violences qui gangrènent notre société sans insister sur le caractère « genré » de ce fléau : la très grande majorité des victimes sont des femmes. Malgré les luttes menées par les féministes et les progressistes, le patriarcat est un système de domination qui continue d’imposer sa loi.
Je tiens à dénoncer un premier obstacle qui empêche les femmes victimes de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle de parler, ou d’ailleurs de toute forme de violence : la honte, la culpabilité de ne pas avoir réagi et de devoir affronter incompréhension et jugement réprobateur.
L’expertise en matière de mémoire traumatique de Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue, peut nous être utile. Les victimes de violences sexuelles, majeures ou mineures, sont en état de sidération, ce qui empêche toute action. Je pense bien sûr ici au cas de Jacqueline Sauvage, dans lequel cette dimension n’a été que trop peu prise en compte.
Les travaux de Muriel Salmona démontrent également que les violences sexuelles accroissent fortement les risques de détresse psychologique et d’apparition de symptômes liés à un état de stress post-traumatique.
Avec la torture et les situations de massacre, les violences sexuelles font partie des violences les plus traumatisantes. Muriel Salmona préconise la mise en place d’un plan Marshall en santé publique pour former les professionnels de la santé et créer des centres de soins pluridisciplinaires de prise en charge des victimes de violences sexuelles. Je soutiens totalement cette demande.
Il faut en finir avec la présomption de responsabilité des victimes, …