Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 2 février 2017 à 10h30
Violences sexuelles : aider les victimes à parler — Débat organisé à la demande du groupe écologiste

Laurence Rossignol, ministre :

On ne peut pas arguer, à mon sens, que corriger des enfants, utiliser la force physique à leur encontre, relèverait d’une quelconque liberté éducative.

Nous savons que la parole de l’enfant se libère dès lors que celui-ci connaît ses droits. L’enfant a des droits, à commencer par celui de ne pas être frappé ! Les enfants sont les seuls êtres vivants que l’on puisse encore légalement frapper dans notre pays – dès lors, je le concède, qu’il s’agit de ses propres enfants. Quand quelqu’un frappe son chien dans la rue, il n’est pas rare qu’un tiers intervienne pour défendre l’animal. Quand un parent frappe son enfant, en revanche, une telle intervention est très mal vécue, au nom de la liberté éducative.

Lorsque des associations se rendent dans les écoles pour expliquer aux élèves ce que sont les droits de l’enfant, il est très fréquent que, à l’issue de leur intervention, des enfants leur demandent si ce qu’ils vivent chez eux est normal, si les adultes ont le droit de se comporter avec eux comme ils le font. Je regrette d’autant plus la censure de l’article que j’évoquais à l’instant que son dispositif revêtait une grande importance en vue de la libération de la parole de l’enfant. Il est profondément hypocrite de prétendre vouloir lutter contre les violences faites aux enfants, y compris sexuelles, tout en prônant le maintien du droit de correction, donc de la domination des parents sur les enfants.

L’amélioration de la prise en charge des victimes est un élément fondamental.

L’enquête nationale réalisée l’an dernier par l’IPSOS pour l’association Mémoire traumatique et victimologie révélait que 78 % des victimes de viols ou de tentatives de viol n’avaient pas reçu de soins d’urgence et qu’une sur trois n’avait pu bénéficier d’une prise en charge psychologique adaptée.

Il s’agit là d’un enjeu majeur de santé publique, et il est impératif que nous puissions progresser rapidement. J’ai donc souhaité que le cinquième plan de lutte contre les violences faites aux femmes, présenté en novembre dernier, comporte un volet spécifique pour renforcer l’accès aux droits et aux soins des jeunes filles et des femmes victimes de violences sexuelles.

Fin 2016, le Gouvernement a engagé une large réflexion sur la prise en charge des traumatismes graves des adultes, des adolescents et des enfants victimes d’attentats. Les connaissances qui résulteront de ce travail de recherche-action seront mobilisables et transposables aux cas de violences sexuelles, en vue d’améliorer l’accompagnement des victimes, quel que soit leur âge.

L’objectif est que chaque victime, où qu’elle réside, puisse bénéficier d’une prise en charge psychologique adaptée à la spécificité des psychotraumas, grâce à un maillage territorial renforcé des unités de soin.

Conformément aux recommandations formulées par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son « avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et des agressions sexuelles », nous nous attachons également à simplifier le parcours judiciaire des victimes, selon les trois objectifs suivants : faciliter le dépôt de plainte, faciliter le recueil de preuves de violences en l’absence de plainte, avancer sur la question de l’allongement des délais de prescription pour les infractions de viol et d’agression sexuelle, notamment sur les mineurs.

Je m’arrêterai un instant sur ce point. Vous le savez, les amendements à la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, présentée par les députés Alain Tourret et Georges Fenech, ont été systématiquement rejetés. Comme l’actualité nous l’a récemment rappelé, ce projet de réforme n’épuise pas toutes les difficultés posées par les délais de prescription.

Les professionnels, tant de la justice que de la psychiatrie, sont divisés sur la question de l’allongement des délais de prescription en matière de viol sur mineurs. C’est pourquoi j’ai confié à Flavie Flament et à Georges Calmettes, magistrat honoraire, une « mission de consensus » qui associe spécialistes et victimes, celles-ci étant elles aussi, à mes yeux, des experts, du fait de leur vécu. L’objectif est que partisans et opposants à l’allongement des délais de prescription se parlent, croisent leurs regards. Cette mission me rendra ses conclusions au mois de mars. J’ai conscience que le calendrier électoral ne me permettra guère d’aller plus loin, mais au moins laisserai-je à mes successeurs une base de travail qui, je l’espère, leur permettra d’avancer sur ce sujet. Dans cette perspective, je garderai pour moi mon avis personnel sur la question de l’allongement des délais de prescription.

Les dispositifs d’écoute et de prise en charge ne trouveront leur pleine efficacité que s’ils sont accompagnés d’actions de prévention et de sensibilisation, l’enjeu étant de faire reculer la tolérance sociale à l’égard du viol et l’omerta sur violences sexuelles au sein de la famille et des institutions que fréquentent les enfants.

L’enquête de l’IPSOS de mars 2016 sur les représentations du viol et des violences sexuelles révélait que 40 % des Français estiment que « la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a eu une attitude provocante en public ». Il nous reste donc un travail important de déconstruction à mener… La même proportion de nos concitoyens soutient l’idée que l’on peut « faire fuir le violeur si l’on se défend vraiment », ce qui reflète une ignorance totale de ce qu’est l’état de sidération.

Déresponsabilisation de l’agresseur, mise en cause des victimes, méconnaissance de la réalité des viols… Ce sont aussi toutes ces fausses représentations des violences sexuelles qui empêchent les victimes de parler et de demander justice. Tous ces mythes, ancrés dans la « culture du viol », doivent être déconstruits. C’est une exigence, et une urgence !

Dans la majorité des cas, le viol ou l’agression sexuelle sur un mineur est commis par un membre de la famille ou par un proche. Il importe de sensibiliser les parents à l’idée que les personnes auxquelles ils confient leurs enfants ne sont pas forcément toutes bienveillantes. De même, les éducateurs et les médecins doivent être conscients du fait que la famille est, pour les enfants, le premier lieu d’exposition aux violences.

Une campagne de communication à destination du grand public a été lancée le 25 novembre dernier pour faire connaître le numéro 3919. Nous poursuivons, en lien avec le ministère de l’éducation nationale, la mise en œuvre d’outils spécifiques, dont les dispositifs d’éducation à la sexualité et de sensibilisation à l’égalité entre les filles et les garçons. Une fois encore, on ne peut pas prétendre vouloir lutter contre les violences sexuelles faites aux enfants et refuser, dans le même temps, que l’éducation nationale se mêle d’éducation à la sexualité. Celle-ci passe par la verbalisation de ce qu’est le respect du corps et du consentement. C’est une question de cohérence : l’éducation à la sexualité à l’école et la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants sont des sujets connexes.

Enfin, la mobilisation « Sexisme, pas notre genre ! », qui vise à mettre en lumière la dimension systémique du sexisme, de la misogynie et de la domination exercée par les hommes sur les femmes et sur les enfants, est aussi, à mes yeux, un outil pour lutter contre les violences sexuelles et libérer la parole des victimes.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’aurai grand plaisir à vous accueillir au ministère, en mars, pour la présentation du premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants.

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