Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 1er février 2017 à 14h30
Obligations comptables des partis politiques — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Lorsque je me suis rendu à Moscou, en avril 2014, en tant que sénateur des Français de l’étranger, j’ai rencontré plusieurs de nos collègues russes, siégeant soit au Conseil de la Fédération, soit à la Douma. Lors de ce déplacement, au moment de la crise ukrainienne, j’ai appris que Marine Le Pen était également dans la capitale russe. J’ai demandé à mes interlocuteurs pourquoi elle était si bien accueillie. La réponse a fusé : « L’Union européenne agit contre nos intérêts. Marine Le Pen veut la fin de l’Union européenne ; donc, nous l’aidons. »

En septembre 2014, la First Czech Russian Bank, soumise à la législation bancaire russe, offrait au Front national un crédit de 9 millions d’euros.

Cela pose tout d’abord une question de dépendance. Il est d’ailleurs étonnant, de la part d’un parti politique qui se prétend souverainiste, de servir ainsi des intérêts étrangers.

Cette affaire pose ensuite une question de soumission. En effet, laFirst Czech Russian Bank, comme nombre de petites banques russes, a subi les effets des sanctions, s’est retrouvée en difficulté, puis a été placée sous la tutelle de la Banque de Russie, avec laquelle, finalement, le Front national a directement affaire. C’est pourtant un parti français qui prétend défendre une vision française ! En réalité, ce n’est pas du tout le cas…

Il faut, dans ce domaine, que la transparence soit absolue. C’est une question d’indépendance !

Pour cette raison, et quels que soient les débats que nous pourrons avoir sur les amendements déposés par Jean-Pierre Grand ou sur celui relatif aux flux financiers entre partis politiques, il convient d’adopter le plus rapidement possible, même a minima, cette proposition de loi. Il y a en effet urgence à informer les Français des situations de dépendance financière dans lesquelles se trouvent les partis politiques, lesquels bénéficient, je le rappelle, de fonds publics et de dons.

« A minima », dis-je, car l’application des dispositions de la proposition de loi est reportée à 2018, ce que je regrette. On parle de sécurité juridique, mais il ne s’agit là que d’une photographie : le texte ne prévoit aucune interdiction, mais une simple description ; soit les choses sont avouables, soit elles ne le sont pas ! Pourquoi repousser l’application de ces dispositions ?

Par ailleurs, si l’on avait voulu mener une réflexion plus large, il aurait fallu se poser la question, non pas seulement des emprunts souscrits, mais aussi des garanties liées à ces emprunts.

Enfin, il convient de se demander qui peut financer la vie politique française. Aujourd’hui, toute personne physique, quelle que soit sa nationalité, peut le faire. Si l’on veut véritablement s’assurer de la traçabilité des fonds, il faudrait prévoir que les donateurs aient leur résidence fiscale en France, ou bien soient de nationalité française. En tant que sénateur des Français de l’étranger, je veux insister sur un point : puisque nos compatriotes qui vivent à l’étranger ont le droit de voter aux élections françaises, ils doivent aussi pouvoir participer au financement de la vie politique, même s’ils n’ont pas leur résidence fiscale dans notre pays.

Si aucun de ces deux liens n’existe, la possibilité de financer une activité politique en France pose un problème, non seulement d’indépendance et de transparence, mais aussi de traçabilité, puisque la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques n’est pas en mesure de tracer l’origine des fonds dont bénéficient les partis politiques dès lors qu’ils sont versés par des contributeurs étrangers.

Je regrette l’amendement de notre collègue François Pillet, qui reprend des réserves émises par notre rapporteur, visant à supprimer une partie de l’article 2, celle relative à l’obligation de transmission des informations relatives aux flux financiers entre partis politiques. Cette suppression serait justifiée par des motifs d’ordre constitutionnel. On nous rappelle les termes de l’article 4 de la Constitution : « Les partis et groupements politiques […] se forment et exercent leur activité librement ». Pourtant – et c’est heureux ! –, nous avons pu interdire, sans que cela soit contraire à la Constitution, le fait que des personnes morales puissent financer des partis politiques. Pourquoi le fait de rendre publics les flux financiers entre partis politiques serait-il inconstitutionnel ?

En 1993, le Conseil constitutionnel avait jugé que ce type de dispositions visait un objectif légitime d’information des citoyens et de transparence de la vie publique. Quoi de plus normal que de telles mesures lorsque les structures concernées vivent de cotisations, de dons et de dotations publiques ? Je regrette donc que la commission soit favorable à un tel amendement.

Pour ce qui concerne la question, soulevée par Jean-Pierre Grand, des commissaires aux comptes, je considère que peuvent effectivement se poser des problèmes de conflits d’intérêts. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dispose de moyens limités pour contrôler les documents qui lui sont transmis. Il faut donc absolument s’assurer de la validité de cette vérification des comptes. Prévoir une rotation des commissaires aux comptes tous les six ans ne me semble donc pas aberrant.

Sous réserve de ces remarques, et compte tenu de l’urgence, ainsi que du souhait de parvenir à un vote conforme sur ce texte avant la suspension de nos travaux, nous accepterons les évolutions suggérées par le rapporteur. Nous regrettons cependant de ne pas pouvoir aller plus loin.

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