Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières années, nous avons eu de multiples occasions de débattre des moyens de restaurer la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions et de la nécessité de « moraliser » la vie publique.
Depuis 1988, la France s’est dotée d’un arsenal législatif parmi les plus rigoureux au monde au regard des critères érigés par l’OCDE. Durant ce quinquennat, une énergie considérable a été mobilisée pour ériger l’impératif de transparence à un rang quasi constitutionnel, s’imposant à la vie économique comme à la vie publique. Il faut faire attention toutefois aux effets pervers : trop de transparence ne peut-elle pas nuire à la transparence ou, du moins, à une vie démocratique sereine et apaisée ? Car on n’ira jamais assez loin dans la transparence et, dans ce cas, nous ne ferons qu’accroître la défiance envers les élus de la République !
Malgré toute l’énergie déployée ces dernières années, on constate que la construction de ces nouvelles normes n’a eu qu’un effet relatif sur la perception de la corruption par nos concitoyens. Si l’on analyse les travaux de l’organisation Transparency International, souvent présentée en référence par les défenseurs de la cause, cette perception s’est faiblement améliorée entre 2015 et 2016 et a stagné entre 2016 et 2017. Il faut donc s’interroger sur les effets réels de ces textes sur nos relations avec nos concitoyens.
Jusqu’à présent, le principe de transparence joue comme une présomption d’improbité contre ceux qui y sont soumis, dont la valeur serait supérieure à celle de la présomption d’innocence. Il en va de même pour la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui : la publication de l’identité et de la nationalité des établissements bancaires consentant des prêts aux formations politiques et aux candidats sans intermédiation d’un juge apportera-t-elle une information utile à nos concitoyens ? Quelle vérité révèle-t-elle de l’intention et de la sincérité d’une formation politique ?
Au contraire, cette proposition de loi méconnaît la réalité du financement de notre vie politique.
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ainsi que le Conseil constitutionnel ont déjà accès à un nombre considérable de documents permettant de vérifier la provenance des financements des partis politiques et des candidats. En 1995, le Conseil constitutionnel avait par exemple requalifié un emprunt contracté par le candidat Balladur dans son compte de campagne. Ces éléments font également déjà l’objet d’une publication.
En raison des différentes règles encadrant déjà les moyens de financement des partis politiques, on sait que ceux-ci sont aujourd’hui principalement financés par l’aide publique qui leur est versée a posteriori, en fonction de leur poids aux élections et au Parlement. Nous le savons, ce mécanisme a pour effet de renforcer les grandes formations.
On sait également que l’apport personnel constitue une part déterminante du financement de la candidature à une élection. En 2012, une étude publiée dans les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel estimait que les parts respectives moyennes des sources de financement des candidats à l’élection présidentielle sont de 47 % pour l’apport personnel, contre 26 % pour les dons des personnes physiques et 25 % pour la contribution des partis. Il faut en déduire que le recours à l’emprunt est devenu incontournable pour financer la participation de candidats aux campagnes électorales, a fortiori pour les petites formations politiques ou pour les formations nouvelles qui ne disposent pas du concours des aides publiques.
En outre, comme cela a été largement médiatisé, le rejet des comptes de campagne du président sortant en 2012 a créé un précédent : les banques, qui prennent désormais en compte cet aléa moral, se montrent beaucoup plus réticentes à accorder des prêts aux candidats. Les présidents de la Société Générale, de LCL, du Crédit mutuel ou encore de HSBC se sont clairement positionnés sur le sujet.
Dans ce contexte, il est à craindre que ces nouvelles exigences de transparence constituent un nouveau facteur de découragement des établissements de crédit. À terme, cette proposition de loi pourrait empêcher les petites formations politiques et les formations nouvelles de présenter des candidats aux élections, et donc s’ériger comme un obstacle à la représentativité. C’est totalement contraire à ce que nous défendons et incarnons au sein de notre groupe : nous sommes pour la prise en compte de la diversité des sensibilités politiques, car elles font la richesse de notre vie démocratique ; nous sommes contre le dualisme partisan, toujours artificiel et résultant de règles institutionnelles avantageuses pour les deux grands partis.
Mes chers collègues, la défiance des Français envers notre vie politique vient aussi beaucoup de là : la bipolarisation accrue et le dualisme partisan, qui verrouille le débat et empêche la construction de majorités d’idées… Soyons modernes ! Dépassons le vieux clivage droite-gauche, devenu totalement inopérant !
Enfin, j’ajoute qu’au-delà de nos interrogations sur la pertinence à publier de manière indiscriminée des données à valeur informationnelle variable, dans le seul but de restaurer la confiance de nos concitoyens dans nos institutions démocratiques, cette proposition de loi pose également la question de l’équilibre à établir entre le principe de transparence et celui de représentativité. Quel intérêt y aurait-il à accroître la transparence du fonctionnement de notre démocratie représentative si le principe représentatif n’était pas matériellement garanti ?
En conséquence, les membres du groupe du RDSE n’approuveront pas cette proposition de loi, qui, une nouvelle fois, sous un intitulé séduisant, recèle un réel danger de régression pour la diversité de notre vie démocratique.