Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 1er février 2017 à 21h30
Faut-il supprimer l'école nationale d'administration — Débat organisé à la demande du groupe du rdse

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’écrivait Marc Bloch, dont la loyauté à la République est indiscutable : « À une monarchie, il faut du personnel monarchique. Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si les hauts fonctionnaires formés à la mépriser […] ne la servent qu’à contrecœur ».

Le sens de l’État est la première qualité du fonctionnaire. Dans une démocratie, le président Mézard l’évoquait, le sens de l’État implique de respecter le principe démocratique et de se mettre au service du pouvoir élu. Malheureusement, cette qualité est l’une des plus difficiles à déceler au moment d’un concours. Elle ne se révèle en réalité qu’au cours d’une carrière, au travers des choix individuels du fonctionnaire, et se mesure à l’aune de sa propension à faire primer le bon fonctionnement de son service et de l’administration sur son destin personnel.

On peut toutefois considérer que le fonctionnement actuel de l’ENA et le statut spécifique de la catégorie A+ présentent des défauts susceptibles d’affaiblir le sens de l’État de certains anciens élèves de cette école, comme celui des fonctionnaires d’autres catégories.

Dans la continuité des constatations faites par Jacques Mézard, j’évoquerai la question des modalités d’affectation des énarques dans les différents corps, puis les difficultés managériales liées à l’imperméabilité de ces corps.

En premier lieu, l’opacité qui entoure l’affectation de sortie des énarques dans les différents corps de l’administration est un facteur initial de frustration. Actuellement, tous les candidats d’une même voie – interne, externe, troisième voie – sont soumis aux mêmes épreuves, ce qui permet de recruter de bons généralistes. Chaque élève reçoit la même formation, malgré la différence des postes accessibles à la sortie de l’école : conseiller de tribunal administratif, administrateur civil au ministère de l’agriculture, conseiller des affaires étrangères ou inspecteur général de l’administration…

La cérémonie de l’« amphi-garnison » qui clôture la scolarité à l’école, au cours de laquelle les élèves choisissent leur affectation successivement en fonction de leur rang de sortie, ne permet pas d’aiguiller les élèves vers les carrières les plus adaptées à leurs compétences. Un individu ayant une formation d’économiste pourra ainsi être nommé au Conseil d’État.

Surtout, la performance de l’élève au cours de ses deux années d’école et son classement final auront un impact très fort sur le déroulement de toute sa carrière. Cela explique pourquoi le classement est très contesté : il repose sur l’attribution d’une seule note, établie à partir des évaluations des maîtres de stage et des résultats aux épreuves de management subies lors du cursus.

Jusqu’à présent, la réforme de ce système de classement, qui ne fonctionne pas toujours très bien, n’a jamais abouti. On pourrait pourtant imaginer différentes solutions : les candidats pourraient choisir une épreuve majeure en fonction du corps qu’ils souhaitent intégrer lors du concours d’entrée ou l’affectation par classement pourrait se faire dès l’entrée à l’École, sur la base des notes obtenues au concours. La formation des élèves pourrait ainsi être calibrée en fonction de leur future affectation.

Saluons néanmoins l’ouverture accrue de l’École aux entreprises. Cela étant dit, peut-être ne serait-il pas inutile que les futurs administrateurs civils et magistrats puissent effectuer un stage au sein du Parlement ?

En second lieu, l’existence d’une catégorie A+ implicite et rigide cause de nombreuses difficultés managériales.

Tout d’abord, cette catégorie s’est imposée hors de tout cadre législatif, puisque la loi du 11 janvier 1984 ne prévoit que trois catégories distinctes : A, B et C. Elle a seulement été définie dans le rapport annuel 2009-2010 de la DGAFP.

Il s’agit d’un frein considérable à la promotion de la performance au sein de la fonction publique, puisque, à travail égal ou supérieur, un cadre de catégorie A ne pourra jamais parvenir à un niveau d’intéressement égal à celui d’un cadre de catégorie A+, sauf à repasser des concours internes.

Pourtant, en raison du maintien de concours d’accès parallèles pour des fonctions nécessitant une certaine spécialisation, on constate l’existence de différences de traitement substantielles entre un énarque et un autre fonctionnaire à des postes similaires. C’est notamment le cas au ministère des affaires étrangères, dans les tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes. Un alignement des grilles de traitement doit être envisagé, dans un souci d’équité.

De façon plus ambitieuse enfin, la différenciation de la catégorie A et de la catégorie A+ pourrait être repensée. Il faudrait dynamiser les outils de promotion interne qui doivent être fondés non seulement sur l’expérience, mais aussi sur la performance. Il faut approfondir le travail accompli dans ce sens depuis la remise du rapport Diefenbacher.

Ainsi, l’existence même de l’accès direct aux grands corps pourrait être remise en cause en s’inspirant du fonctionnement de l’ordre judiciaire. Il serait peut-être bon de réserver en partie l’accès au Conseil d’État, à la Cour des comptes et à l’Inspection générale des finances aux fonctionnaires ayant fait preuve de leurs mérites dans le long terme, et non pas seulement lors du concours initial.

En conclusion, cette refondation doit être conçue en parallèle d’une réflexion sur la lutte contre le pantouflage. La création de commissions de déontologie ne semble pas suffisante.

Vous l’aurez compris, il s’agit dans tous les cas de valoriser la carrière des hauts fonctionnaires démontrant sur le long terme leur sens de l’État, la première et la plus indispensable des qualités que le jury devrait s’employer à rechercher en priorité chez tous les candidats admissibles à l’ENA.

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