Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le thème de notre débat – « Faut-il supprimer l’École nationale d’administration ? » –donne l’occasion à la représentation nationale de se pencher sur une école dont tout le monde a entendu parler, et dont beaucoup de parents, souvent issus eux-mêmes de la fonction publique, rêvent pour leurs enfants, parce qu’elle est dans leur esprit synonyme de réussite.
Il suffit, en effet, de se pencher sur le parcours de certains des responsables politiques ou cadres supérieurs de diverses entreprises en vue pour constater que l’ENA fait partie des écoles dont sont issus, depuis la fin de la guerre, un certain nombre de dirigeants de notre pays.
À l’inverse - et c’est sans doute la contrepartie des rêves que l’ENA a pu susciter dans certaines familles ou certains milieux -, l’ENA est aussi l’une des écoles, voire l’école qui suscite le plus de regrets ou de déceptions : déception de ne pas avoir réussi le concours, regret de ne pas être sorti avec un classement permettant d’accéder directement à un grand corps, sentiment que les candidats issus de certains milieux socioprofessionnels ont plus de chances que d’autres d’y accéder, etc. Il y a toujours une bonne excuse à faire valoir.
Comme disait ma grand-mère : « il vaut mieux faire envie que pitié ». Il est donc tout à fait naturel que cette école, dont beaucoup de parents rêvent pour leurs enfants, fasse l’objet d’autant de critiques que de louanges.
Faut-il pour autant supprimer l’ENA ?
Si oui, par quoi la remplacer ? Plusieurs des orateurs précédents ont soulevé la question en ne souhaitant pas le retour au système antérieur.
Si non, comment l’améliorer et gommer les reproches qui lui sont adressés, avec lesquels je suis parfaitement d’accord ?
Quels sont donc les reproches que l’on entend le plus souvent ?
D’abord, celui de ne plus jouer le même rôle de démocratisation de l’accès à la haute fonction publique qu’à ses débuts. Alors qu’avant 1945 chaque filière de la fonction publique organisait son propre recrutement et avait naturellement tendance à puiser dans le même milieu socioprofessionnel de génération en génération, force est de constater que la création d’une école unique d’accès aux diverses responsabilités de la « haute fonction publique » a constitué un vrai rempart au népotisme qui prévalait parfois, et une vraie prime au travail et aux qualités personnelles des candidats par rapport à leur origine sociale ou politique.
Il n’y a pas que des fils de préfets ou de conseillers d’État qui entrent à l’ENA, et je crois pouvoir dire que j’en suis un des nombreux exemples, moi qui suis le fils d’un couple de petits agriculteurs n’ayant chacun que leur certificat d’études. J’étais d’ailleurs le seul fils d’agriculteur dans ma promotion. Peut-être était-ce un alibi pour l’ENA ? Je n’en sais rien.
Alors oui, si la création de l’ENA a constitué une sorte de rempart au népotisme et, de manière générale, à la politisation de l’administration publique qui existait à l’époque, force est cependant de constater un paradoxe, celui de la faible diversification de son recrutement.
Si l’on se réfère à une étude menée par deux chercheurs de l’École des hautes études en sciences sociales sur les années 1985 à 2009, on constate que les enfants de cadres représentent de l’ordre de 72 % des élèves de chaque promotion de l’ENA, suivis par 12 % d’élèves issus de la catégorie des professions intermédiaires, 9 % de familles d’agriculteurs ou artisans, et seulement 6 % de familles d’employés et d’ouvriers.
Il faut aussi constater que l’on observe peu ou prou les mêmes répartitions d’origines socioprofessionnelles à Sciences Po, à l’École normale supérieure ou à l’École polytechnique. Sans doute n’est-ce pas tout à fait ce que l’on attend de l’accession par concours à une école, quelle qu’elle soit. Cependant, le système du concours pour accéder à une formation ou à un poste reste, me semble-t-il, quelles que soient ses limites, le moins mauvais que l’on ait trouvé, …