Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous rassemble ce soir n’est pas nouveau.
Faut-il supprimer l’ENA, une école jugée trop élitiste, conformiste, coupée des réalités ? C’est une question récurrente, qui réapparaît sur le devant de la scène politique et médiatique assez régulièrement. Cette récurrence traduit d’ailleurs le questionnement légitime de bon nombre de nos concitoyens sur la place et l’efficacité de cette école qui forme des fonctionnaires. Ce débat est souvent considéré, à tort, comme accessoire ou secondaire. L’ENA alimente pourtant de trop nombreux fantasmes.
Si la défiance vis-à-vis des élites trouve une résonance dans ce débat, il est de notre devoir, en tant que parlementaires, de nous en saisir tout en le dépassionnant.
Avant toute chose, il convient de revenir à la genèse de l’ENA, à ses fondements, à la volonté initiale de deux hommes, Michel Debré et le général de Gaulle, de créer cette grande école de l’administration française.
L’unité de l’État, son indivisibilité : voilà peut-être la première motivation du général de Gaulle quand il accepte la proposition de son conseiller, Michel Debré, de créer une grande école permettant de doter les ministères de fonctionnaires formés à l’exercice pragmatique du pouvoir. Tous deux ont en mémoire la récente débâcle de 1940 et l’effondrement de l’appareil de l’État. Tous deux pensent que l’unité d’une nation passe par une certaine homogénéité intellectuelle de ceux qui la servent.
En 1945, la création de l’ENA s’inscrira donc pleinement dans la grande réforme administrative du général de Gaulle, qui doit jeter les bases de l’État nouveau. Pourquoi, en près de quatre-vingts ans, l’ENA est-elle passée de ce statut d’école dépositaire de l’unité de la République à celui d’une école perçue comme endogame et totalement étanche au monde qui l’entoure ?
Il apparaît assez évident que l’ENA souffre, au minimum, d’un problème d’image. Elle est perçue par une partie de la population comme une machine à reproduire des élites, présidents de la République et ministres de préférence.
Critiquer les élites est facile, voire populiste. En revanche, s’interroger sur leur sélection et leur formation est utile.
L’ENA concentre le rejet d’une certaine caste, celle des gens qui savent, qui dirigent, qui servent tout en se servant. Cette rhétorique anti-élite, de plus en plus puissante, et entretenue parfois maladroitement, trouve dans l’ENA un catalyseur de premier choix.
Ce n’est pas la suppression de l’ENA qui estompera le décalage entre les politiques et la population. Pis encore, avec la suppression de l’ENA, nous pourrions imaginer une distribution de postes de la haute fonction publique en fonction des réseaux et du copinage. Finalement, parlons vrai : dans un pays comme la France, l’ENA est le seul moyen pour que les préfets, les ambassadeurs et les directeurs d’administration centrale soient désignés par le mérite intellectuel, et non par le piston ou les think tank s des partis politiques récompensant les plus fidèles soldats.
Supprimer l’ENA, ce serait détruire l’un des piliers de la République, ce serait affaiblir l’État !
Balayer d’un revers de main le débat que suscite cette école n’est pas la bonne réponse à cette défiance. Il semble néanmoins assez légitime que nos concitoyens se posent la question de savoir comment sont sélectionnés et formés ceux qui ont vocation, tôt ou tard, à diriger le pays.
Ne pas la supprimer ne veut pas dire, en revanche, ne pas la réformer.
Depuis plusieurs années, consciente de son image à redorer, l’ENA a entrepris d’ouvrir ses portes à des profils plus diversifiés, aux origines sociales différentes.
Par son concours interne, elle s’est ouverte aux fonctionnaires déjà en poste, qui peuvent désormais tenter leur chance. C’est, là aussi, un gage de diversité. Au-delà du débat médiatique sur la suppression ou non de l’ENA, je crois que la solution se trouve dans sa refonte profonde.
Cette ouverture souhaitée par différents gouvernements aux sensibilités politiques parfois éloignées a répondu, en partie, à l’exigence de plus en plus profonde de nos concitoyens d’avoir une classe dirigeante qui leur ressemble, moins fermée, plus en phase avec une certaine réalité quotidienne qui donne le sentiment d’être parfois méconnue.
Je crois cependant qu’un dernier blocage important n’a toujours pas été levé : « la botte » du classement de sortie de l’ENA, qui dirige, pour une vie entière, les meilleurs vers les grands corps de l’État. Elle est extrêmement mal perçue par la population comme par les élèves eux-mêmes. C’est une affectation à vie qui véhicule cette image de caste déconnectée de la réalité, bien au chaud sous les ors de la République.
L’ENA est une richesse française ; la question de sa suppression revient à poser un faux problème, ou plutôt à éviter d’en poser un vrai, celui de la fonction publique de demain, de son rôle et de son périmètre. L’ENA a su évoluer, incontestablement.
Pour conclure, mes chers collègues, je crois en l’ENA, je crois, à l’instar de Michel Debré et du général de Gaulle, en la nécessité impérieuse pour un pays de former correctement ses hauts fonctionnaires dans l’unité et l’amour du service de l’État.
Je ne crois pas en la suppression de l’ENA, qui ne ferait que déplacer le problème. Je crois en sa réforme, en son ouverture sur le monde et la société civile.
Je crois, surtout, à l’unité de notre nation, difficile équilibre qu’il convient de préserver en conservant un État fort et compétent, compris et accepté dans son fonctionnement et sa composition par nos concitoyens.