Intervention de Jacques Grosperrin

Réunion du 1er février 2017 à 21h30
Faut-il supprimer l'école nationale d'administration — Débat organisé à la demande du groupe du rdse

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, faut-il supprimer l’ENA ? La question est incongrue. Nous sommes-nous déjà demandé s’il fallait supprimer Polytechnique, créée en 1794, HEC, créée en 1881, ou Normale Sup, créée en 1826 ? Dès lors, pourquoi poser de façon récurrente la question de la suppression d’une école beaucoup plus récente, créée en 1945 par Michel Debré, dont l’objet était de doter la France de hauts fonctionnaires serviteurs de l’État – peut-être ces derniers sont-ils d’ailleurs trop serviteurs, et pas assez managers ?

Citoyens, politiques, ministres, et même anciens énarques s’accordent parfois pour demander sa suppression. Est-ce par opportunisme politique, par populisme ou par souhait de faire plaisir aux Français éloignés des élites et qui sont parfois en opposition avec l’establishment ? Est-ce parce que nos concitoyens jugent ceux qui les gouvernent responsables de leurs malheurs, et que les énarques font partie du paysage ?

Le terme occidental de mandarin était déjà employé pour désigner, dans la Chine antique, un haut fonctionnaire qui avait réussi ses examens impériaux. Nos énarques seraient-ils des mandarins intouchables, qui ne répondraient de leurs actes qu’à leurs pairs et ne seraient sensibles qu’à leur classement et à leur rang, une sorte de noblesse d’État identifiée par Bourdieu ? Je n’ose y croire.

En faisant un léger détour en Europe, on observe que certains pays tels que la Bulgarie, l’Estonie, la Grèce, l’Islande, les Pays-Bas, la Slovénie ou encore la Roumanie ont simplement un comité ad hoc de recrutement de leurs hauts fonctionnaires. La France, à l’instar de la Pologne, de l’Italie et de l’Espagne, a confié à une école le soin de les recruter, cherchant même à dupliquer ce modèle en Asie centrale.

On peut s’interroger sur le recrutement dès lors que, sur les 40 lauréats d’un concours récent, 33 provenaient de Sciences Po Paris, aucun d’un autre institut d'études politiques et quelques-uns de prestigieuses écoles de commerce comme HEC.

Chez nos voisins anglais, le fast stream permet à des docteurs en mathématiques ou en sciences sociales d’accéder aux postes de la haute fonction publique d’État ; en Allemagne, le recrutement des hauts fonctionnaires s’effectue à partir de l’université. Les résultats économiques de ces pays et de leurs hauts fonctionnaires n’ont pourtant rien à envier à ceux de la France.

Je ne peux passer sous silence l’ouvrage d’Adeline Baldacchino, La F erme des énarques, qui dresse un tableau sombre de son ancienne école, en soulignant son inadaptation aux enjeux du monde contemporain. Elle souligne combien les énarques sont en décalage avec le monde qui est le nôtre. Leur formatage les rendrait-il incapables d’inventer l’avenir de notre pays ? Les énarques manqueraient-ils de courage, prompts à glisser sous le tapis tout ce qui implique une prise de risques ? Où se trouve la réflexion critique de ces candidats à l’ENA, nécessaire pour accompagner un changement politique favorable pour nos concitoyens ? Car leur fonction future est bien de servir la France, et non de gérer leur quotidien et leur avenir.

I have a dream, celui d’une école où la consanguinité et la cooptation n’existeraient plus, d’une école où le classement de la botte, système archaïque, serait supprimé afin de ne plus permettre à un lauréat d’orienter toute sa vie professionnelle à partir de son rang de sortie, d’une école dont les élèves auraient plus de facilité à se reconvertir dans le privé – on leur préfère en effet souvent des candidats issus d’autres formations, plus stratèges, plus créatifs, plus managers –, d’une école où la culture d’équipe existerait, où les risques et les résultats primeraient les compétences, d’une école qui favoriserait l’optimisme de ses étudiants, leur foi en l’avenir et les préparerait à la réalité contemporaine, d’une école, enfin, qui répartirait mieux ses lauréats. En effet, sur les 4 300 énarques en activité, plus de 3 500 exercent dans les ministères, les inspections, les collectivités locales ou les organismes internationaux.

En résumé, faut-il supprimer l’ENA ? Non ! Faut-il la transformer ? Certainement !

En bon énarque que je ne suis pas, j’organiserai ma conclusion en trois points : il faut, premièrement, améliorer les conditions d’accès à cette école en diversifiant les profils, deuxièmement, revoir la formation pour la rendre plus professionnelle, plus opérationnelle, plus culturelle et moins déconnectée du terrain, troisièmement, éviter l’omniprésence de ses diplômés dans les cercles de pouvoir en les orientant différemment.

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