Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, faut-il supprimer l’École nationale d’administration ? Voilà une question qui revient régulièrement dans le débat public et qui transcende les clivages politiques.
Depuis sa création en 1945 par le général de Gaulle, cette grande école créée pour former les hauts cadres chargés de reconstruire la France au lendemain de la guerre n’a cessé d’être contestée.
L’École nationale d’administration a connu une trentaine de réformes, mais les plus audacieuses ont toujours été abandonnées, au nom de l’intérêt de l’État. Encore récemment, Bruno Le Maire proposait de la faire disparaître. Délocalisée à Strasbourg, l’ENA a résisté à tous les assauts ; elle est toujours là.
Dans un sondage paru dans Le Figaro le 1er septembre dernier, 82 % des 47 753 personnes interrogées se disaient favorables à sa disparition.
À ce jour, les énarques sont à 70 % dans les grandes administrations d’État, 23 % dans les collectivités territoriales, 7 % dans les grandes entreprises privées. Cette élite de la fonction publique, recrutée dès l’âge de 25 ans, et classée à la sortie de l’école entre « super-élite » et « élite », accède au statut « à vie » de haut fonctionnaire.
La « super élite » intègre les grands corps de l’État grâce à des procédures de recrutement spécifiques vers des postes clés qui sont systématiquement occupés par des personnes issues de la même filière.
Leurs compétences sont-elles remises en cause ? Certainement pas, mais la question de l’absence d’expérience et de la diversité des profils se pose, même si l’ENA se revendique aujourd’hui comme une école d’application. L’État ne devrait-il pas être exemplaire dans le recrutement de ses hauts fonctionnaires ?
On peut se demander si cette école n’est pas, en fait, un bouc émissaire facile. En effet, l’ENA a permis à des personnes issues de milieux divers de s’élever au sein de la fonction publique, à force de travail. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’école favorise-t-elle la mixité sociale ? À en croire les chiffres, tel n’est pas le cas.
Par exemple, la proportion de femmes est largement inférieure à celle des hommes. En 2012, la nomination de Nathalie Loiseau à la tête de l’ENA avait pourtant suscité l’espoir d’une ère nouvelle, plus favorable aux candidates. La nouvelle directrice avait clairement exprimé son souhait de « corriger » au concours ce qui relève « implicitement d’une discrimination positive en faveur des hommes ». Statistiques à l’appui, il est prouvé que les femmes obtiennent de bons résultats aux écrits du concours, mais qu’elles sont plus souvent éliminées que les hommes aux épreuves orales.
De nombreuses propositions de loi visant à supprimer l’ENA ont été déposées. Faut-il y voir de la part de nos collègues une défiance à l’égard de la haute fonction publique française ? Je ne le crois pas.
Chacun s’accorde à reconnaître les grandes qualités professionnelles et le dévouement au service de la Nation de ces hauts fonctionnaires, mais le mode de formation et de recrutement des élites administratives, de même que la place dominante qu’elles détiennent dans les rouages administratifs et politiques, ne compteraient-ils pas parmi les principaux obstacles à la modernisation de notre pays ? Le système « énarchique », la structuration en grands corps ont-ils toujours leur utilité à l’heure de la mondialisation ?
Les énarques détiennent tous les leviers de commande de la haute administration et ont, peu à peu, investi la vie politique. Notre pays détient le record absolu du nombre de fonctionnaires passés de l’administration à des fonctions électives ou gouvernementales. On peut donc légitimement s’interroger sur la capacité d’un haut fonctionnaire devenu ministre à réformer son administration d’origine.