Intervention de Jean-Claude Requier

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 26 janvier 2017 à 14h00
Audition de M. Patrick Augier contre-amiral secrétaire général adjoint de la mer

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier, président :

Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition du contre-amiral Patrick Augier, secrétaire général adjoint de la mer.

Le secrétariat général de la mer, institué par un décret de 1995 et placé sous l'autorité du Premier ministre, assure la coordination de la politique maritime de la France. Le secrétariat général de la mer assure la direction du centre opérationnel et interministériel de la fonction garde-côtes. Opérationnel depuis septembre 2010, ce centre est chargé d'informer le Gouvernement, d'observer et d'analyser les flux maritimes pour permettre aux autorités nationales d'adopter des priorités d'action tout en étant le point d'entrée des coopérations européennes et internationales en matière de situation maritime.

La lutte contre l'immigration illégale par voie maritime est devenue l'une des priorités de l'action de l'État en mer. Cette activité, conduite sous l'égide de Frontex, est assurée par le secrétariat général de la mer.

Quelles sont les spécificités des contrôles effectués en mer ? Selon quelles modalités sont-ils réalisés ? Comment est organisée la coopération avec la police aux frontières ? Quelles ont été les conséquences du rétablissement de certains de ces contrôles en France ? Comment se passe la coopération avec Frontex et les autres agences européennes ? La France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment le secrétariat général de la mer y a-t-il contribué ? Quelles sont ses conclusions ?

Avec cette audition, nous poursuivons notre travail d'investigation sous un angle très opérationnel, en abordant plus spécifiquement les frontières maritimes et leur contrôle. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions. Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Augier prête serment.

M. Patrick Augier, secrétaire général adjoint de la mer. - Merci de me recevoir.

Une précision liminaire : nous parlons de limites maritimes, non de frontières maritimes. En effet, dans chacun de nos espaces maritimes - mer territoriale, zone économique exclusive, zone définie dans le cadre d'une opération Frontex -, nous concédons toujours une part de notre souveraineté, en permettant un passage inoffensif non déclaré, par exemple. La notion de frontière n'a de sens qu'à terre. Cette distinction montre l'importance et la difficulté de la mutation de Frontex d'une agence de garde-frontières vers une agence de garde-côtes. Contrôler un espace maritime affecté de degrés de souveraineté variables invite de plus à travailler plus en amont sur l'origine des flux de migrants.

Les contrôles en mer prennent en premier lieu la forme d'une surveillance permanente, et d'une identification par le renseignement de tout navire suspect pouvant transporter des migrants - souvenez-vous des centaines de migrants kurdes qui ont débarqué près de Saint-Raphaël à la fin des années 1990 sur le navire « East Sea ». Notre stratégie de défense consiste à alimenter par tous types de renseignements des listes de navires suspects- souvent de vieux cargos - circulant en Méditerranée orientale susceptibles d'approcher les côtes européennes et à les suivre afin, le cas échéant, de les intercepter sur le fondement du protocole de Palerme.

Nous coopérons en second lieu avec Frontex, que nous accompagnons en tant qu'agence de garde-côtes. Le modèle français repose non sur un organe dédié, une agence, mais sur une fonction « garde-côtes », assurée par l'action conjointe de plusieurs administrations : la marine nationale, les douanes, la gendarmerie maritime, la gendarmerie nationale, la police des frontières, les affaires maritimes. Ces administrations sont coordonnées par le préfet maritime sur la façade maritime ou, dans les outre-mer, par le délégué du Gouvernement pour l'action de l'État en mer - le préfet - et, au niveau central, par le secrétariat général de la mer. Là, nous accompagnons la mutation de Frontex vers une fonction « garde-côtes » afin de juguler les flux de migrants, mais aussi de pouvoir réaliser d'autres missions en mer. Nous travaillons en outre avec les fonctions « garde-côtes » des pays du sud de la Méditerranée, afin de les aider à maîtriser les départs.

Nous aidons par exemple Frontex à se doter d'un système d'information unique qui pourrait être muni d'une intelligence artificielle permettant de détecter tout de suite les anomalies ou les comportements suspects. Les agences européennes se sont en effet dotées chacune de moyens propres et il est bien difficile de maîtriser l'information maritime sur la multitude de réseaux... Le projet européen Eucise 2020 (Common information sharing environment for maritime surveillance in Europe), adopté par la direction générale des affaires maritimes et de la pêche de la Commission européenne, vise à doter les quelque trois cents administrations européennes qui interviennent en mer d'un système commun. L'Italie préside le programme, la France en assure la vice-présidence et ce système pourrait permettre à tous de communiquer sur un même réseau.

Nous nous sommes en effet beaucoup impliqués dans l'audit Schengen, réalisé ces dernières semaines. Beaucoup de choses avaient été faites depuis le dernier audit, en 2009 : la création du centre opérationnel de la fonction de garde-côtes, le rapprochement des administrations... L'audit a donné lieu cette année à trois observations. D'abord, l'insuffisance des moyens du centre opérationnel, fondée sur le constat que les permanences ne sont assurées que par un représentant de chaque administration. Or, les effectifs du secrétariat général de la mer sont aussi composés en permanence d'un représentant de chaque administration, ce qui ne nuit pas à la continuité de nos activités, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.

La deuxième critique porte sur notre application du principe de subsidiarité. Il nous est en réalité imposé par la géographie : la diversité de nos façades maritimes explique l'autonomie donnée à chaque préfet maritime. Le centre opérationnel de la fonction de garde-côtes centralise les informations des trois préfectures maritimes hexagonales et des cinq zones maritimes outre-mer. Le cas de Mayotte, certes hors espace Schengen, nous préoccupe d'ailleurs aussi beaucoup : une intervention a lieu chaque jour dans le plus grand silence médiatique pour récupérer des migrants en difficulté...

Enfin, la question de la surveillance des navires de plaisance a de nouveau été soulevée. Les côtes françaises sont reliées par des sémaphores, et des brigades de gendarmerie littorale surveillent les navires de plaisance. Tous ne sont certes pas contrôlés - c'est matériellement impossible - mais ils sont suivis de près. De plus, tous les sémaphores sont reliés au centre opérationnel par le système « Spationav V2 », qui concentre toute l'information en matière maritime - en provenance également de la marine nationale ou des douanes - dont des extractions sont envoyées aux autorités européennes.

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