Intervention de Daniel Gremillet

Réunion du 7 février 2017 à 14h30
Lutte contre l'accaparement des terres agricoles — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet, rapporteur :

J’ai ainsi procédé à quatorze auditions pour recueillir les avis les plus larges et les plus variés sur ce texte, car il est toujours important de s’enrichir de l’ensemble des avis.

La question centrale que ce texte aborde est celle de la préservation des terres agricoles. Cette question ne nous est pas inconnue, puisque nous l’avions traitée dans la loi Sapin II.

Lors de l’examen de ce texte, nous avions travaillé avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, Dominique Potier, et les services du ministère de l’agriculture pour trouver des solutions à la fois ambitieuses et réalistes. Nous y étions, je le crois, parvenus. D’ailleurs, si la commission mixte paritaire avait échoué, ce n’était pas sur les questions agricoles, car nous avions dégagé un accord qui est resté dans le texte final.

Malheureusement, le Conseil constitutionnel a estimé que ces dispositions constituaient des cavaliers législatifs et les a annulées. Il fallait donc reprendre tout ce travail. C’est ce qu’a souhaité faire Dominique Potier en déposant avec Olivier Faure, à l’Assemblée nationale, une proposition de loi reprenant, d’une part, l’intégralité des dispositions sur le foncier agricole contenues dans la loi Sapin II et introduisant, d’autre part, des dispositions sur le biocontrôle et les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques.

Vous devez reconnaître, monsieur le ministre, que les CEPP sont apparus au travers d’un amendement du Gouvernement lors du débat à l’Assemblée nationale.

En ce qui me concerne, j’ai fait un choix différent, en déposant une proposition de loi dans laquelle je m’en tiens au consensus trouvé lors de l’examen de la loi Sapin II sur le seul sujet du foncier agricole. Le dispositif avait en effet été fortement retravaillé au Sénat, car nous avions alors souhaité nous placer dans une démarche constructive. Je continue d’adopter cette attitude aujourd’hui sur une question très importante pour nos agriculteurs.

La question de la maîtrise des terres agricoles par les paysans eux-mêmes est tout à fait fondamentale pour l’avenir de notre agriculture. Des travaux du Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture publiés en mai 2016 montraient en effet que la propriété de leurs terres, ou d’au moins une partie d’entre elles, par les agriculteurs et leurs proches constituait un des critères majeurs du modèle de l’agriculture familiale que nous défendons.

Or l’acquisition de terres par des acteurs « hors agriculture » est un phénomène qui se développe rapidement. Le faire-valoir direct des terres par les agriculteurs, qui ne cesse de baisser depuis cinquante ans, est désormais minoritaire.

Des montages juridiques permettent de conserver la propriété des terres dans le cadre familial, par exemple à travers les groupements fonciers agricoles ou les groupements fonciers ruraux. Mais on assiste aussi à l’arrivée d’investisseurs, dans les terres agricoles comme dans les forêts. Le prix des terres est en effet plutôt bas en France par rapport à ceux qui se pratiquent chez nos voisins européens – 6 010 euros en France en 2014 pour les terres et prés libres, contre deux à trois fois plus au Danemark, en Allemagne ou en Italie.

Les fermages rapportent peu, mais la montée des prix des terres agricoles peut laisser espérer d’importants gains en capital.

La France s’est dotée d’un outil puissant d’intervention sur le foncier agricole : les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER. Bras armé du remembrement il y a plusieurs décennies, elles ont vu leurs missions confortées par la loi agricole de 2014, avec un objectif fort d’accompagnement de la consolidation des exploitations ou de l’installation de jeunes agriculteurs.

Pour atteindre les objectifs fixés par la loi, les SAFER disposent d’une prérogative exorbitante du droit commun : le droit de préemption en cas de vente de terres agricoles, ou encore de bâtiments en zone rurale.

Ce droit de préemption a été étendu par la loi agricole de 2014 aux cessions totales de parts de société, pour les exploitations agricoles constituées sous cette forme. Or cette disposition n’aurait pas suffi pour permettre à la SAFER de s’interposer dans l’affaire qui a défrayé la chronique et suscité les dispositions foncières de la loi Sapin II, à savoir l’acquisition par des investisseurs étrangers, en l’occurrence chinois, de 1 600 hectares de terres dans le Berry. En effet, la cession de parts sociales n’a pas été totale.

Le mécanisme mis en place par la loi Sapin II et repris dans l’actuelle proposition de loi repose sur deux piliers. D’abord, on oblige les sociétés à acquérir des terres à travers une société dédiée au portage foncier : c’est l’article 1er. Ensuite, on étend le droit de préemption des SAFER aux cessions partielles de parts sociales : c’est l’article 3.

Nous savons faire preuve de discernement dans l’application de ce mécanisme : la filialisation des acquisitions foncières ne sera pas obligatoire pour les groupements fonciers agricoles, les GFA, les groupements fonciers ruraux, les GFR, les groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC ou les entreprises agricoles à responsabilité limitée, les EARL.

Nous avons aussi ajouté en commission une exception pour les sociétés agricoles qui rachètent les terres dont elles sont déjà locataires : on n’est pas là pour déstructurer le monde rural !

La filialisation ne sera pas non plus obligatoire pour les petites acquisitions de terres, en deçà des seuils du contrôle des structures. Finalement, seules les opérations importantes y seront soumises, pour plus de transparence.

La possibilité pour les SAFER de préempter des parts sociales, même lorsque la cession ne porte pas sur la totalité des parts, est discutée par les juristes, car la rétrocession peut exposer au fait d’obliger des partenaires à travailler ensemble au sein d’une société alors qu’ils ne l’ont pas choisi. Mais je note que cette possibilité existe déjà pour les sociétés civiles immobilières, les SCI, dans le secteur de l’immobilier résidentiel. Pourquoi ne pourrait-on pas suivre le même raisonnement pour protéger les terres agricoles ?

Je suis conscient cependant que, si le mécanisme mis en place par la proposition de loi crée de nouvelles possibilités d’intervention pour protéger le foncier agricole, il ne règle pas tous les problèmes. Nous devrons probablement travailler avec tous les partenaires – agriculteurs, propriétaires ruraux, SAFER, collectivités locales – à l’élaboration d’un grand texte foncier qui permette de revoir les possibilités d’associer des apporteurs de capitaux extérieurs au monde agricole ; j’y travaille d’ores et déjà. Ces investisseurs sont en effet nécessaires et un partenariat de long terme doit être noué pour alléger le fardeau financier des agriculteurs et, en même temps, leur garantir un droit pérenne d’utilisation des terres de leur exploitation.

Outre les deux dispositions phares sur le foncier agricole concernant la filialisation des acquisitions de terres par les sociétés et l’extension du droit de préemption des SAFER, la proposition de loi réintroduit les autres dispositions foncières annulées de la loi Sapin II : l’obligation de conservation des parts sociales détenues à la suite d’apports de terre durant cinq ans ; la suppression du répertoire des valeurs des terres agricoles, qui n’avait jamais existé que sur le papier, au profit du barème, qui existe depuis de nombreuses années à titre provisoire ; ou encore la facilitation de l’attribution de conventions d’occupation précaire des réserves foncières des collectivités territoriales.

S’agissant du foncier, les députés avaient ajouté un article 7 bis qui supprimait la commission nationale paritaire des baux ruraux et les comités techniques départementaux. Or, si la simplification est un objectif louable, pourquoi supprimer ces comités dans les départements où « ça marche » ?

Par ailleurs, pourquoi se priver de la possibilité de saisir une commission nationale plutôt que de renvoyer la gestion des conflits sur les minima et maxima des fermages aux seuls préfets ?

Nous avons donc supprimé cette nouvelle disposition, qui ne fait pas consensus. Notre décision va dans le sens des intérêts des agriculteurs et permettra d’éviter l’engorgement des tribunaux.

La proposition de loi que nous examinons contient aussi une partie sur les produits phytopharmaceutiques et le biocontrôle.

Cette question n’avait pas été traitée dans la loi Sapin II, monsieur le ministre, et n’a strictement rien à voir avec le foncier agricole ! Je n’avais d’ailleurs pas intégré de telles dispositions dans ma proposition de loi.

Les articles 8 et 9 visent à encourager le développement des méthodes alternatives comme le biocontrôle et l’utilisation de préparations naturelles peu préoccupantes, les PNPP : l’article 8 dispense d’agrément les entreprises qui utilisent ces produits ; l’article 9 dispense de Certiphyto les personnels qui les utilisent.

Les auditions m’ont montré qu’il y avait un large accord sur cet assouplissement du droit, même si je souligne qu’il ne faut pas toujours considérer que les substances, parce qu’elles sont naturelles, seraient inoffensives. Attention à ne pas développer de fausses croyances dans le domaine de la protection des plantes !

L’article 10 concerne l’expérimentation des CEPP.

Prévus par la loi agricole de 2014, les CEPP ont été mis en place par une ordonnance de 2015, mais cette ordonnance a été annulée, là encore pour un motif de procédure, par le Conseil d’État.

J’ai l’impression que le volet sur les produits phytopharmaceutiques de la proposition de loi de Dominique Potier existe précisément pour réintroduire dans la loi le plus vite possible les dispositions annulées. Au final, un amendement du Gouvernement adopté en séance a restauré l’ensemble du texte de l’ordonnance.

La commission des affaires économiques n’a pas remis en cause le dispositif – je tiens à le préciser, monsieur le ministre, car nous aurions pu considérer qu’il n’avait pas sa place dans le texte –, même s’il y a été inséré « à la hussarde ». Cependant, elle a souhaité que l’encouragement à l’adoption de méthodes alternatives de protection des plantes passe par une logique plus incitative que punitive. Ainsi, nous avons supprimé la sanction financière prévue pour non-atteinte des objectifs d’acquisition de CEPP. Soyons honnêtes, monsieur le ministre, nous savons bien que si une pénalisation financière est prévue, c’est l’agriculteur qui la paiera au final !

La commission des affaires économiques est donc passée à une posture offensive d’encouragement à bien faire. Vous l’avez dit, les paysans et leurs fournisseurs savent travailler correctement et atteindre les objectifs fixés. Les CEPP restent utiles pour mesurer les efforts réalisés et, éventuellement, pour apporter des subventions aux projets les plus prometteurs en matière de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques conventionnels. Mais nous ne voulons pas qu’ils soient un instrument de contrainte pour les coopératives, les distributeurs ou les agriculteurs.

Enfin, j’ai fait évoluer la proposition de loi en introduisant un article 8 A qui vise à résoudre un problème que nous rencontrons actuellement, celui du dépérissement du buis.

En effet, les dernières lois votées ont supprimé toute possibilité de traitement phytopharmaceutique classique pour les collectivités territoriales depuis le 1er janvier 2017 et pour les particuliers en 2019. Or il n’existe parfois aucune technique alternative, comme c’est le cas pour le buis attaqué par une maladie redoutable due à un champignon. Devrait-on se résoudre à couper les buis, qui sont partie intégrante de notre patrimoine historique et constituent l’un des socles du jardin à la française ? La commission a pensé qu’il fallait permettre des assouplissements mesurés à la loi pour ne pas interdire aux collectivités ou particuliers de sauver une espèce végétale lorsqu’aucun traitement de substitution, comme le biocontrôle, n’est possible.

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