Intervention de Dominique de Legge

Réunion du 7 février 2017 à 14h30
Lutte contre l'accaparement des terres agricoles — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un investisseur chinois a acheté 1 700 hectares de terres agricoles. La SAFER n’a pas pu les préempter, et voici que nous sommes invités à légiférer pour « lutter contre l’accaparement des terres agricoles », afin de proposer une nouvelle extension du droit de préemption des SAFER, après les lois de 1980, de 1990 et de 2014…

Soyons clairs, que la puissance publique dispose d’un outil d’intervention foncier est indispensable. Nul ne le remet en cause.

Toutefois, le temps me semble venu de se poser deux questions.

La première porte sur la gestion des SAFER elle-même.

La Cour des comptes ne cesse de dénoncer les dérives, allant jusqu’à évoquer des « opérations peu transparentes », ciblant notamment ce qu’il est convenu d’appeler « les opérations de substitution », qui prennent une place de plus en plus importante dans l’activité des SAFER. Ces opérations ne participent en rien aux missions initiales des SAFER, à savoir l’installation des jeunes, le remembrement du parcellaire ou l’agrandissement des exploitations familiales. Elles permettent simplement aux acquéreurs de ne pas s’acquitter des droits fiscaux dont les opérations réalisées par les SAFER sont exemptées et à ces dernières de toucher une commission en échange.

Selon la Cour des comptes, le coût fiscal de ces opérations, qui représentent 68 % de l’activité des SAFER en 2012, s’élève à plus de 45 millions d’euros. Les perdants en sont les départements, les communes – je tiens à le dire ici – et l’État. La Cour constate, par ailleurs, que cet avantage fiscal concerne de plus en plus d’opérations relatives à des biens ruraux bâtis et que la Fédération nationale des SAFER gère un site internet, www.proprietes-rurales.com, similaire à ceux des notaires et des agences immobilières…

La Cour des comptes dénonce également qu’en 2012, sur 29 668 hectares rétrocédés, seulement 10 %, soit 2 761 hectares, l’ont été au profit de l’installation de jeunes agriculteurs.

J’aurais apprécié que, alors que l’on donne de nouveaux moyens d’intervention aux SAFER, l’on puisse, pour reprendre l’expression de la Cour, « procéder à un indispensable recentrage ».

La seconde question a trait à l’évolution du contexte dans lequel évoluent les SAFER.

Lorsque celles-ci ont été créées, en 1960, il y avait 2 millions d’exploitations agricoles, dont 75 % comptaient moins de 20 hectares. Aujourd’hui, le nombre d’exploitations est inférieur à 500 000, avec une superficie bien supérieure.

En 1960, les régions étaient des établissements publics. Depuis les lois de décentralisation, elles sont devenues collectivités de plein exercice. Elles se sont dotées d’établissements publics fonciers régionaux, qui interviennent comme un outil d’aménagement territorial. Elles ont également vu leurs compétences renforcées dans le domaine économique. Parce que l’agriculture, malgré ses spécificités, est un acteur économique, non pas à part, mais à part entière, les régions, dans le cadre de leur politique économique, développent des dispositifs d’accompagnement ou de modernisation des exploitations. Il serait fâcheux que, sous prétexte d’une spécificité agricole, l’ensemble des acteurs s’exonèrent d’une réflexion sur les nécessaires adaptations de dispositifs et de pratiques qui datent de plus de cinquante ans !

Mes chers collègues, ces quelques réflexions n’ont pas pour objet de jeter le bébé avec l’eau du bain. Nous avons besoin d’un outil d’intervention. Cependant, les moyens et les objectifs des SAFER doivent être revisités, en tenant compte des défis du moment et de la nouvelle donne économique et administrative de nos territoires.

Certes, la maîtrise du foncier est un enjeu agricole, mais il devient de plus en plus un enjeu d’aménagement du territoire et un enjeu écologique. Le temps n’est-il pas venu d’appréhender le sujet de façon plus globale, sinon en réunissant en une même structure les établissements publics fonciers régionaux et les SAFER, en redéfinissant les missions, les objectifs et les moyens de chacun, afin d’aller vers plus de transparence et d’efficacité ?

L’un des enjeux majeurs pour l’agriculture réside dans sa capacité à attirer des capitaux. Je ne suis pas certain que la combinaison du droit de préemption, de la politique des structures et des mécanismes de fixation des loyers soit un élément d’attractivité pour les investisseurs. Ne pas être assuré de disposer librement du fruit de son investissement, ne pouvoir louer son bien ni à qui on le souhaite ni à un prix couvrant l’amortissement sont autant de freins pour un investisseur potentiel !

Mes chers collègues, j’appelle de mes vœux une réflexion sans tabous sur ces sujets et déplore que nous soyons invités, à la faveur d’un fait qui reste somme toute marginal, à légiférer par le petit bout de la lorgnette, sans vision d’ensemble.

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