Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voilà de nouveau réunis afin d’examiner la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale. Le texte initial prévoyait trois mesures phares : l’allongement des délais de prescription de droit commun ; l’imprescriptibilité des crimes de guerre ; enfin, la clarification des modalités de calcul des délais de prescription de l’action publique.
Lorsque nous nous étions réunis le 13 octobre dernier afin de discuter du texte, le groupe de l’UDI-UC s’était opposé aux dispositions qui prévoyaient l’imprescriptibilité de l’action publique pour les crimes de guerre connexes à un crime contre l’humanité.
En effet, nous avions défendu l’idée que le droit à l’oubli était un outil fondamental concourant à la pacification de notre société. Il est parmi les fondements mêmes de ce qui rend notre vivre ensemble possible. De plus, nous avions fait valoir que ces dispositions risqueraient de banaliser le crime de génocide et les crimes contre l’humanité en rompant le caractère absolument exceptionnel de l’imprescriptibilité.
Outre cette modification très symbolique, notre commission avait amélioré le texte de la proposition de loi sur d’autres points.
Le texte de l’Assemblée nationale prévoyait ainsi d’intégrer les plaintes simples parmi les actes interruptifs de la prescription, contrairement aux solutions retenues jusqu’à présent par la jurisprudence. À juste titre, notre commission a supprimé cette possibilité, qui aurait pu ouvrir la voie à des manœuvres abusives.
Si nous sommes de nouveau réunis aujourd’hui, c’est parce que l’adoption définitive de la proposition de loi a achoppé le 12 janvier dernier, en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale.
Alors que les députés avaient choisi de ne pas modifier le régime de prescription dérogatoire prévu par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le Sénat a porté, en première lecture, sur l’initiative de François Pillet, le délai de prescription de l’action publique et de l’action civile des abus de la liberté d’expression commis sur internet de trois mois à un an. Au nom de la défense de la liberté de la presse, le groupe socialiste et républicain s’est opposé à cette extension du délai de prescription du délit de presse.
Pourtant, cette disposition s’expliquait par le constat dressé par MM. Pillet et Mohamed Soilihi, dans leur rapport d’information relatif à l’équilibre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à l’épreuve d’internet, au sujet de l’insuffisante protection des victimes des abus de la liberté d’expression commis sur ce nouveau média. Le délai de prescription de trois mois apparaît aujourd’hui excessivement court et inadapté à la répression de ces abus.
Comme le confirme une nouvelle fois notre commission, un allongement à un an maintiendrait un délai de prescription dérogatoire et bien inférieur aux délais de droit commun fixés à six ans, tout en accordant aux victimes un plus long délai pour agir en justice. Cet allongement resterait également conforme à la jurisprudence constitutionnelle, tout en répondant à un débat désormais régulier depuis 2004.
En effet, à la différence d’un écrit paru dans un périodique publié sur un support papier ou d’une parole, un message peut être publié une première fois sur un réseau social par une personne, puis reproduit par une autre à l’influence plus grande sur le même réseau des mois plus tard, sans que la jurisprudence puisse considérer de manière distincte ces infractions. Je rappelle que la commission des lois a eu l’occasion de produire des rapports sur la question des traces laissées sur internet par un utilisateur, lesquelles peuvent ressurgir des années plus tard.
Dès lors, une personne pourrait être victime de diffamations, d’injures ou de provocation à la haine ou à la discrimination qui, tout en étant réelles et actuelles, sont en réalité prescrites, les messages litigieux ayant été publiés pour la première fois plus de trois mois auparavant.
La modification du délai de prescription des abus de la liberté d’expression commis sur internet apparaît donc essentielle pour permettre aux victimes de disposer du temps nécessaire pour constater l’infraction, identifier le responsable des propos et mettre en mouvement l’action publique ou civile.
Ces délits sont généralement commis par des particuliers, de manière anonyme, et requièrent plusieurs actes d’enquête, notamment des réquisitions auprès des opérateurs de communications électroniques ou des hébergeurs de contenus sur internet, situés le plus souvent à l’étranger.
Actuellement, la courte prescription trimestrielle porte atteinte au droit des victimes à un recours effectif. Une évolution de la loi du 29 juillet 1881 apparaît donc nécessaire pour permettre une répression plus efficace des messages litigieux publiés sur internet.
Éclairé par l’excellent travail de François-Noël Buffet, le groupe UDI-UC maintiendra la position exprimée en octobre dernier par notre commission des lois, puis par le Sénat, en accord avec les députés.
Nous appelons donc à rétablir le délai de prescription d’un an pour les messages litigieux publiés sur internet, en lieu et place du délai actuel de trois mois, de manière que le plaignant puisse engager les procédures nécessaires.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe de l’UDI-UC, dans sa grande majorité, votera en faveur de la proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, afin d’aller au bout du travail qui a été engagé en 2015, en totale cohérence avec les avis et les votes formulés depuis la première lecture du texte.