Il est important de débattre sereinement de ce sujet, dans le respect du travail approfondi déjà mené par la commission des lois : comment protéger les victimes de propos haineux, discriminatoires, injurieux sur internet ? Il s'agit d’une véritable préoccupation, à laquelle je souscris.
L’article 3, néanmoins, pose problème. Je m’en suis d'ailleurs déjà ouverte à plusieurs de nos collègues. Selon moi, en effet, les dispositions qu’il contient introduisent une discrimination injustifiée entre la presse imprimée et la presse numérique, entre les deux supports d’un même éditeur.
Je précise à ce titre que le directeur de la publication, que l’édition soit papier ou numérique, est toujours responsable pénalement de l’ensemble des textes publiés. Il ne saurait en aller autrement.
Il est prévu dans cet article que la durée du délai valable pour le support numérique ne s’applique pas si le contenu est également diffusé sur un support papier. C’est méconnaître la réalité du travail des journalistes et des rédactions modernes, qui tendent à publier de manière indifférenciée sur les deux supports. Les publications se font d’ailleurs, de plus en plus, sur un seul support, le numérique, pour des raisons ayant trait au modèle économique suivi. Je crains donc que cette mesure ne porte atteinte à la sécurité juridique, voire éditoriale, des entreprises de presse.
Je voudrais partager avec vous, mes chers collègues, une autre préoccupation, qui est peut-être la principale. La discrimination dans la durée de prescription est justifiée, selon ses défenseurs, par la nécessité de garantir aux victimes un délai plus long pour agir en justice, au motif que les textes restent plus longtemps sur internet.
Je voudrais appeler votre attention sur un point : grâce aux moteurs de recherche et aux algorithmes, il est possible de suivre, heure par heure, les textes vous mentionnant. Le résultat de vos recherches est beaucoup plus rapide qu’en feuilletant patiemment les quotidiens de la presse papier. Vous pouvez savoir plus vite si vous faites l’objet de discriminations, d’injures ou de propos haineux. Introduire un délai différencié ne me semble donc pas justifié.
Derrière ces questions, il y a celle de la neutralité d’internet et du droit à l’oubli. L’enjeu se situe donc à l’échelle des hébergeurs et des plateformes, dont je regrette que la loi pour une République numérique n’ait pas traité. Si les textes discriminatoires, haineux ou injurieux perdurent en ligne, s’ils se démultiplient même, c’est parce que l’écosystème des plateformes et autres hébergeurs le permet.
Le problème, selon moi, n’est donc pas tant celui du délai de prescription de tels propos que la nécessité de traiter en amont, de manière efficace, leur persistance sur internet. C’est un sujet complexe, qui exige que l’on se penche sur lui avec l’attention la plus grande.
Je voulais insister sur ce point, mes chers collègues, car j’ai moi aussi l’impression que l’on confond les corbeaux de l’internet avec la presse officielle, qui travaille en principe avec rigueur et déontologie.