Merci monsieur le président. Je trouve que le moment est opportun pour faire le point sur la situation et la stratégie d'Alstom, car nous fêtons le premier anniversaire du recentrage du groupe sur les activités de transport ferroviaire.
Vous l'avez évoqué, Alstom, c'est aujourd'hui un carnet de commande de plus de 34 milliards d'euros et c'est un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros par an. Nous sommes présents à tous les niveaux de la chaîne ferroviaire. Un peu moins de la moitié de notre activité est réalisée dans les matériels roulants, du tramway jusqu'au TGV, le reste dans des activités de service comme la signalisation, la maintenance, les systèmes (électrification, pose de voies...). La part de l'activité réalisée dans le matériel roulant est plus importante en France que sur nos autres marchés, puisqu'elle y dépasse 80 %. Cela s'explique par le fait que la SNCF et la RATP produisent elles-mêmes les différents services nécessaires à l'exploitation et à la maintenance du matériel que nous leur livrons. À l'export en revanche, nous sommes souvent amenés à livrer des projets de transport clé-en-main, qui comprennent de nombreux services autour du matériel lui-même.
Sur le plan géographique, l'Europe représente environ 60 % de nos marchés, le reste se partageant en parts sensiblement égales entre l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Asie et l'Afrique-Moyen Orient. 20 % de l'activité est à destination de la France. Toutefois, 30 % de l'activité du groupe est d'origine française, j'y reviendrai.
Le marché du transport ferroviaire au niveau mondial est un marché en croissance de 3 % par an. Le principal facteur de croissance est la tendance à l'urbanisation du monde. Plus de 50 % de la population mondiale vit aujourd'hui dans des villes. Cette urbanisation rend nécessaire la création de solution de transport ferroviaire pour décongestionner les villes. C'est la seule solution en termes capacitaires. Un métro, c'est en termes de débit l'équivalent de quinze voies de véhicules. Aujourd'hui, il y a un fort sous-équipement en transports urbains des métropoles des pays émergents. En outre, la polarisation du territoire entre de grandes métropoles crée un besoin pour des liaisons ferroviaires inter cités. Les facteurs et les objectifs environnementaux accompagnent certes ce mouvement, mais constituent en tant que tels un facteur de croissance secondaire : le marché du ferroviaire serait en croissance forte même en l'absence d'objectifs environnementaux. On peut noter que la croissance de l'activité d'Alstom, qui est de 5 % par an, est supérieure au rythme de croissance du marché ferroviaire mondial, ce qui est un signe du dynamisme de l'entreprise.
Dans ce contexte, la stratégie d'Alstom repose sur trois piliers.
Le premier est d'accompagner la croissance là où elle a lieu. Depuis une dizaine d'années, le marché du transport ferroviaire est devenu globalisé et nous avons donc cherché à mettre en place un outil de production adapté à cette globalisation. Cela implique deux choses : la proximité physique de l'outil de production par rapport aux marchés desservis, mais aussi la proximité partenariale qui permet de connaître les contraintes et les attentes spécifiques de nos clients pour mieux les satisfaire. Dans ce système, la France joue un rôle particulier. Elle est le pilier industriel et le coeur technologique d'Alstom. Nous y réalisons 80 % de notre R&D. La France est aussi une plateforme d'exportation où nous produisons les composantes stratégiques qui sont ensuite exportées pour servir nos différentes plateformes continentales : 40 % de l'activité française est destinée à l'export.
Le deuxième pilier est la transformation de nos solutions, depuis des produits simples, matériel ferroviaire, vers une offre complète dont les pays émergents sont demandeurs, qui intègre matériel et services. Quand nous livrons un métro clé-en-main, nous fournissons le matériel roulant, mais aussi l'électrification, la signalisation et la maintenance sur l'ensemble du cycle de vie du système. Nous allons vers une situation où les deux tiers de l'activité du groupe proviendront de ces services.
Enfin, le troisième pilier est l'innovation. Ce peut être une innovation technique, dont l'exemple est le train à grande vitesse pendulaire qui sera mis en oeuvre sur la ligne Boston-Washington, pour lequel nous avons remporté l'appel d'offres l'année dernière. Seul Alstom maîtrise cette technologie. Ce peut être une innovation touchant à l'efficacité énergétique, car nous cherchons constamment à réduire la consommation en énergie de nos trains, au travers par exemple de nouvelles chaînes de traction ou de nouveaux matériaux. Ce peut être enfin une innovation que je qualifierais de « disruptive », dans la mesure où elle introduit des solutions technologiques en rupture avec les solutions existantes, comme par exemple le projet de train utilisant des piles à combustibles que nous avons lancé en Allemagne. C'est un pays assez friand de ce type de solution, car, on l'ignore souvent, seule la moitié du réseau allemand est électrifié -ce qui pose des problèmes d'émissions de gaz polluants par des motrices diesel.
Pour terminer cette présentation liminaire, je dirai quelques mots du paysage concurrentiel. Il est de plus en plus tendu. Nous avons face à nous, sur les marchés internationaux et même en Europe, de nombreux concurrents forts, qui peuvent s'appuyer sur un marché domestique dynamique ainsi que sur l'appui des Etats. Je citerais les Chinois, les Coréens et les Japonais. Vous savez par exemple que les Japonais sont entrés récemment en Europe, ce qui soulève la question du caractère asymétrique des relations commerciales, avec d'un côté une Europe très ouverte et, de l'autre, des pays concurrents qui le sont beaucoup moins.
Concernant spécifiquement la situation française, je dirais que nous sommes à la croisée de deux défis, celui du transport en France et celui de l'industrie en France.
Sur le premier point, Alstom, qui réalise 20 % de son activité commerciale en France, a intérêt à ce que la France soit dotée d'un système de transport ferroviaire efficace, capable d'investir. Nous sommes très attentifs aux discussions stratégiques sur l'évolution du ferroviaire en France, par exemple en participant à Fer de France, où se discutent les enjeux du système ferroviaire français. Nous avons collectivement à faire face aux enjeux de financement, de stratégie et de gouvernance de notre système ferroviaire. Il faut mettre à profit la période électorale actuelle pour s'interroger sur notre vision du système ferroviaire. Par exemple, la place du fret. Comme vous le savez, le fret en France va très mal. Nous n'avons pas eu une seule commande de locomotive de fret en France depuis dix ans. Nous en avons exporté en Russie, au Kazakhstan, en Inde, mais nous n'en avons pas vendu en France. Cela a nécessairement des répercussions sur notre outil de production, notamment sur le site de Belfort.
Sur le second point, nous sommes évidemment concernés par l'enjeu de la qualité de la base industrielle française. Nous avons énormément de sous-traitants en France. 80% de ce que nous fabriquons en France est acheté en France, auprès d'un tissu de PME souvent fragilisées par des creux d'activité. Or, ce que je disais de l'impact négatif pour Alstom des difficultés du fret en France se répercute évidemment sur l'ensemble de nos sous-traitants. Il faut donc consolider ce tissu, en particulier avec des initiatives publiques comme le fonds Croissance Rail, où intervient BpiFrance. Alstom a besoin d'un tissu industriel compétitif pour pouvoir continuer à exporter à partir de la France. Car nous faisons face à des concurrents extrêmement agressifs, qui bénéficient d'un soutien fort des États, que ce soit au Japon, en Corée, en Allemagne ou Chine, sous forme de subventions ou de financements à l'exportation. Nous avons donc nous-aussi besoin d'un soutien de ce type. Il existe, mais il faut le renforcer.
Vous êtes sans doute tous, mesdames et messieurs les sénateurs, concernés sur vos territoires par un site d'Alstom. Nous en avons douze en France. Ils ne sont pas très gros, de l'ordre de 400 à 1 200 personnes, mais ils sont répartis sur tout le territoire. Chacun a évidemment son bassin de sous-traitants et je suis donc bien conscient de notre responsabilité dans ce domaine. Certains de nos sites sont des sites « intégrateurs », comme Belfort, Valenciennes ou La Rochelle : ce sont des sites d'assemblage, très dépendants du marché français. D'autres sont des sites « composants ». Ils sont le coeur technologique des trains : traction à Tarbes, bogies au Creusot, etc. Ces sites sont davantage liés à l'activité globale du groupe et exportent plus facilement.
En conclusion, nous sommes un groupe solide, plutôt prospère, en croissance, mais qui fait face à des défis liés à la situation du système ferroviaire français et la compétition intense en « G to G », c'est-à-dire où les négociations impliquent fortement les États.