La réunion est ouverte à 9h30.
Nous accueillons aujourd'hui M. Henri Poupart-Lafarge, PDG d'Alstom, qui est venu accompagné de plusieurs hauts responsables de son entreprise, notamment M. Jean-Baptiste EYMEOUD, Directeur Général France, ce qui montre l'intérêt porté à cette réunion.
Désormais recentré sur les activités de transport, Alstom se positionne comme un leader mondial des systèmes ferroviaires intégrés.
La santé économique du groupe a été au coeur de l'actualité nationale à l'automne dernier, lorsque des craintes ont couru sur la fermeture du site de Belfort. Toutefois, au cours des dernières semaines, on a assisté à l'annonce de plusieurs contrats importants non seulement en France (on peut citer à cet égard le « méga » contrat du renouvellement des lignes du RER francilien), mais aussi dans le monde (fourniture de trains régionaux au Sénégal ; fourniture d'un système de métro à Hanoï ; projet de tramway à Taïwan ; contrat auprès du mexicain Ferromex pour assurer la maintenance de locomotives...). Selon la presse spécialisée, le carnet de commandes d'Alstom atteindrait aujourd'hui près de 35 milliards d'euros, ce qui démontre que le groupe est dynamique, compétitif et très largement présent dans les zones émergentes où les perspectives de croissance sont les plus fortes.
Monsieur le Président-directeur général, la commission souhaiterait que vous l'éclairiez sur les atouts et la stratégie d'Alstom.
Nous savons par exemple que l'avenir de l'industrie, qui reste à notre sens le coeur d'une économie prospère, ne se joue plus seulement dans la capacité à fournir des biens physiques, mais un « paquet » global qui inclut, autour des matériels, un bouquet de services à haute valeur ajoutée. Comment Alstom se situe-t-il dans ces mutations de fond de l'industrie ?
Nous savons également que le secteur des transports est au coeur de la nécessaire transition écologique de l'économie mondiale. Comment Alstom aborde-t-il cet enjeu ? Quelles sont les innovations, les compétences, les partenariats, les spécialisations selon vous nécessaires pour relever le défi des transports durables ?
Autre question essentielle pour les parlementaires que nous sommes, celle de l'actionnariat : quelle place pour l'État dans Alstom ?
Enfin, au-delà de l'entreprise elle-même, notre commission souhaiterait que vous reveniez également sur le rôle et la capacité d'entraînement qu'Alstom peut et doit jouer sur la filière industrielle des transport dans son ensemble, sur le tissu des PME qui la constitue et sur l'impact qu'on peut en attendre en ce qui concerne l'activité et l'emploi dans nos territoires. Je peux d'ailleurs témoigner de l'importance de cette question pour le département que je représente, puisqu'y est implanté un des sous-traitants du groupe Alstom, en charge de fabriquer notamment les « nez » des TGV.
Monsieur le Président-directeur général, vous avez la parole.
Merci monsieur le président. Je trouve que le moment est opportun pour faire le point sur la situation et la stratégie d'Alstom, car nous fêtons le premier anniversaire du recentrage du groupe sur les activités de transport ferroviaire.
Vous l'avez évoqué, Alstom, c'est aujourd'hui un carnet de commande de plus de 34 milliards d'euros et c'est un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros par an. Nous sommes présents à tous les niveaux de la chaîne ferroviaire. Un peu moins de la moitié de notre activité est réalisée dans les matériels roulants, du tramway jusqu'au TGV, le reste dans des activités de service comme la signalisation, la maintenance, les systèmes (électrification, pose de voies...). La part de l'activité réalisée dans le matériel roulant est plus importante en France que sur nos autres marchés, puisqu'elle y dépasse 80 %. Cela s'explique par le fait que la SNCF et la RATP produisent elles-mêmes les différents services nécessaires à l'exploitation et à la maintenance du matériel que nous leur livrons. À l'export en revanche, nous sommes souvent amenés à livrer des projets de transport clé-en-main, qui comprennent de nombreux services autour du matériel lui-même.
Sur le plan géographique, l'Europe représente environ 60 % de nos marchés, le reste se partageant en parts sensiblement égales entre l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Asie et l'Afrique-Moyen Orient. 20 % de l'activité est à destination de la France. Toutefois, 30 % de l'activité du groupe est d'origine française, j'y reviendrai.
Le marché du transport ferroviaire au niveau mondial est un marché en croissance de 3 % par an. Le principal facteur de croissance est la tendance à l'urbanisation du monde. Plus de 50 % de la population mondiale vit aujourd'hui dans des villes. Cette urbanisation rend nécessaire la création de solution de transport ferroviaire pour décongestionner les villes. C'est la seule solution en termes capacitaires. Un métro, c'est en termes de débit l'équivalent de quinze voies de véhicules. Aujourd'hui, il y a un fort sous-équipement en transports urbains des métropoles des pays émergents. En outre, la polarisation du territoire entre de grandes métropoles crée un besoin pour des liaisons ferroviaires inter cités. Les facteurs et les objectifs environnementaux accompagnent certes ce mouvement, mais constituent en tant que tels un facteur de croissance secondaire : le marché du ferroviaire serait en croissance forte même en l'absence d'objectifs environnementaux. On peut noter que la croissance de l'activité d'Alstom, qui est de 5 % par an, est supérieure au rythme de croissance du marché ferroviaire mondial, ce qui est un signe du dynamisme de l'entreprise.
Dans ce contexte, la stratégie d'Alstom repose sur trois piliers.
Le premier est d'accompagner la croissance là où elle a lieu. Depuis une dizaine d'années, le marché du transport ferroviaire est devenu globalisé et nous avons donc cherché à mettre en place un outil de production adapté à cette globalisation. Cela implique deux choses : la proximité physique de l'outil de production par rapport aux marchés desservis, mais aussi la proximité partenariale qui permet de connaître les contraintes et les attentes spécifiques de nos clients pour mieux les satisfaire. Dans ce système, la France joue un rôle particulier. Elle est le pilier industriel et le coeur technologique d'Alstom. Nous y réalisons 80 % de notre R&D. La France est aussi une plateforme d'exportation où nous produisons les composantes stratégiques qui sont ensuite exportées pour servir nos différentes plateformes continentales : 40 % de l'activité française est destinée à l'export.
Le deuxième pilier est la transformation de nos solutions, depuis des produits simples, matériel ferroviaire, vers une offre complète dont les pays émergents sont demandeurs, qui intègre matériel et services. Quand nous livrons un métro clé-en-main, nous fournissons le matériel roulant, mais aussi l'électrification, la signalisation et la maintenance sur l'ensemble du cycle de vie du système. Nous allons vers une situation où les deux tiers de l'activité du groupe proviendront de ces services.
Enfin, le troisième pilier est l'innovation. Ce peut être une innovation technique, dont l'exemple est le train à grande vitesse pendulaire qui sera mis en oeuvre sur la ligne Boston-Washington, pour lequel nous avons remporté l'appel d'offres l'année dernière. Seul Alstom maîtrise cette technologie. Ce peut être une innovation touchant à l'efficacité énergétique, car nous cherchons constamment à réduire la consommation en énergie de nos trains, au travers par exemple de nouvelles chaînes de traction ou de nouveaux matériaux. Ce peut être enfin une innovation que je qualifierais de « disruptive », dans la mesure où elle introduit des solutions technologiques en rupture avec les solutions existantes, comme par exemple le projet de train utilisant des piles à combustibles que nous avons lancé en Allemagne. C'est un pays assez friand de ce type de solution, car, on l'ignore souvent, seule la moitié du réseau allemand est électrifié -ce qui pose des problèmes d'émissions de gaz polluants par des motrices diesel.
Pour terminer cette présentation liminaire, je dirai quelques mots du paysage concurrentiel. Il est de plus en plus tendu. Nous avons face à nous, sur les marchés internationaux et même en Europe, de nombreux concurrents forts, qui peuvent s'appuyer sur un marché domestique dynamique ainsi que sur l'appui des Etats. Je citerais les Chinois, les Coréens et les Japonais. Vous savez par exemple que les Japonais sont entrés récemment en Europe, ce qui soulève la question du caractère asymétrique des relations commerciales, avec d'un côté une Europe très ouverte et, de l'autre, des pays concurrents qui le sont beaucoup moins.
Concernant spécifiquement la situation française, je dirais que nous sommes à la croisée de deux défis, celui du transport en France et celui de l'industrie en France.
Sur le premier point, Alstom, qui réalise 20 % de son activité commerciale en France, a intérêt à ce que la France soit dotée d'un système de transport ferroviaire efficace, capable d'investir. Nous sommes très attentifs aux discussions stratégiques sur l'évolution du ferroviaire en France, par exemple en participant à Fer de France, où se discutent les enjeux du système ferroviaire français. Nous avons collectivement à faire face aux enjeux de financement, de stratégie et de gouvernance de notre système ferroviaire. Il faut mettre à profit la période électorale actuelle pour s'interroger sur notre vision du système ferroviaire. Par exemple, la place du fret. Comme vous le savez, le fret en France va très mal. Nous n'avons pas eu une seule commande de locomotive de fret en France depuis dix ans. Nous en avons exporté en Russie, au Kazakhstan, en Inde, mais nous n'en avons pas vendu en France. Cela a nécessairement des répercussions sur notre outil de production, notamment sur le site de Belfort.
Sur le second point, nous sommes évidemment concernés par l'enjeu de la qualité de la base industrielle française. Nous avons énormément de sous-traitants en France. 80% de ce que nous fabriquons en France est acheté en France, auprès d'un tissu de PME souvent fragilisées par des creux d'activité. Or, ce que je disais de l'impact négatif pour Alstom des difficultés du fret en France se répercute évidemment sur l'ensemble de nos sous-traitants. Il faut donc consolider ce tissu, en particulier avec des initiatives publiques comme le fonds Croissance Rail, où intervient BpiFrance. Alstom a besoin d'un tissu industriel compétitif pour pouvoir continuer à exporter à partir de la France. Car nous faisons face à des concurrents extrêmement agressifs, qui bénéficient d'un soutien fort des États, que ce soit au Japon, en Corée, en Allemagne ou Chine, sous forme de subventions ou de financements à l'exportation. Nous avons donc nous-aussi besoin d'un soutien de ce type. Il existe, mais il faut le renforcer.
Vous êtes sans doute tous, mesdames et messieurs les sénateurs, concernés sur vos territoires par un site d'Alstom. Nous en avons douze en France. Ils ne sont pas très gros, de l'ordre de 400 à 1 200 personnes, mais ils sont répartis sur tout le territoire. Chacun a évidemment son bassin de sous-traitants et je suis donc bien conscient de notre responsabilité dans ce domaine. Certains de nos sites sont des sites « intégrateurs », comme Belfort, Valenciennes ou La Rochelle : ce sont des sites d'assemblage, très dépendants du marché français. D'autres sont des sites « composants ». Ils sont le coeur technologique des trains : traction à Tarbes, bogies au Creusot, etc. Ces sites sont davantage liés à l'activité globale du groupe et exportent plus facilement.
En conclusion, nous sommes un groupe solide, plutôt prospère, en croissance, mais qui fait face à des défis liés à la situation du système ferroviaire français et la compétition intense en « G to G », c'est-à-dire où les négociations impliquent fortement les États.
Merci pour votre présentation et place maintenant aux questions des sénateurs.
Je vous remercie pour cette présentation de la situation d'Alstom. Je suis maire d'une commune proche de Belfort. Beaucoup de ses habitants travaillent à Alstom. La question de la préservation de ce site historique de l'entreprise est fondamentale. Alstom doit beaucoup à Belfort. Il y avait lundi la signature d'une convention entre l'État, les collectivités territoriales, la SNCF et Alstom pour financer les travaux d'une nouvelle voie d'essai, qui doit permettre la diversification du site de Belfort en en faisant le centre européen de référence pour les essais de TGV. La commande de 15 rames de TGV pour 400 millions d'euros a fait débat. Il convient de rendre cette commande euro-compatible. Le secrétaire d'État, M. Christophe Sirugue a donné des assurances à cet égard. Il convient de tout faire pour conserver et redynamiser le site Alstom de Belfort et les parlementaires que nous sommes veilleront à ce que les engagements pris soient tenus.
Je souhaite vous interroger sur la vente du secteur énergie d'Alstom, opération menée par votre prédécesseur. Cette décision n'a-t-elle pas été une erreur stratégique, au regard de l'impératif de diversification ? L'entreprise General Electric devait créer 1 000 emplois après le rachat de la branche énergie d'Alstom et annonce aujourd'hui la suppression de 800 emplois. Au final, l'abandon de la branche énergie, dans un secteur stratégique pour l'industrie du futur, n'a-t-elle pas été une défaite pour la France et pour le groupe ? Pourtant, votre prédécesseur est parti avec une retraite-chapeau de 4 millions d'euros après avoir vendu la branche énergie aux américains !
J'ai beaucoup apprécié la manière dont vous avez expliqué le travail du groupe Alstom en France et dans le monde. Mais pourquoi ne communiquez-vous pas aussi directement auprès des Français ? Vous avez remporté un nouveau contrat aux États-Unis, ce qui est très positif. Même si le bilan en termes d'emplois est faible pour la France, ce type de contrat est très utile car il permet de continuer à faire prospérer l'entreprise notamment en poursuivant ses efforts de recherche et développement, alors que le marché national est atone. Or, la presse n'a retenu que la faiblesse des retombées en termes d'emplois pour la France de ce contrat.
Vous n'avez pas fait part de vos relations avec la RATP, qui est parfois appelée à intervenir en amont pour conseiller les porteurs de projets d'infrastructures de transport. Mais la RATP peut aussi répondre à des appels d'offres, en partenariat avec d'autres acteurs, car elle est capable de gérer des métros, mais pas de les fournir. Travaillez-vous avec la RATP pour répondre à des appels d'offres ?
L'augmentation du taux d'urbanisation dans le monde entraîne une augmentation des besoins de transport. Les transports de pôles urbains à pôles urbains se développent aussi. Notre pays doit se poser la question de sa vision des transports. Mais cela est aussi vrai pour les territoires ruraux, qui sont éloignés des lignes à grande vitesse. La question des transports intra-régionaux est centrale. Certains pays s'intéressent à des modes de transport innovants, comme le projet « Skytran » développé par la NASA en partenariat avec Israël. Ces modes de transport sont plus économiques. Au-delà de l'exemple de la pile à combustible, l'entreprise Alstom, qui effectue 95 % de sa recherche et développement en France, s'intéresse-t-elle à ces nouvelles technologies de transport, en rupture avec les technologies ferroviaires traditionnelles, comme par exemple la lévitation magnétique ?
Merci pour votre bonne présentation de la manière dont Alstom organise son activité pour répondre à la fois au marché intérieur et aux demandes à l'international. Comment envisagez-vous l'avenir d'Alstom dans les Hauts-de-France, qui accueille surtout des sites destinés à répondre aux besoins du marché intérieur. Peut-on envisager une diversification, pour moins dépendre de carnets de commandes nationaux aléatoires, ce qui crée de grandes inquiétudes ? Par ailleurs, si vous faites appel à des sous-traitants français pour fournir vos différents composants, pouvez-vous aussi les rassurer sur les perspectives offertes pour leur activité ? Ces sous-traitants peuvent-ils se diversifier également et fournir les des composants pour les marchés internationaux ? Les élus et acteurs économiques du territoire sont vivement préoccupés par cette question.
On peut être fier de disposer en France d'une belle entreprise industrielle comme Alstom.
Je remarque qu'Alstom a bénéficié d'aides importantes : CICE, CIR. Par ailleurs, l'ancien président du groupe a pu bénéficier d'une retraite-chapeau de 6 millions d'euros, malgré l'opposition de l'Assemblée générale des actionnaires. Alstom distribue aussi des dividendes importants à ses actionnaires. Comment expliquez-vous que vous demandiez des soutiens à l'industrie, dans ce contexte ?
Je m'interroge aussi sur le manque d'anticipation de la situation sur le site de Belfort. La chute des commandes sur 2018-2021 était connue. Au passage, alors que l'État est actionnaire à 20 % de l'entreprise, il ne développe pas le fret et, au contraire, favorise le développement du transport en autocar pour les pauvres !
Je m'interroge également sur vos relations avec l'entreprise Bombardier ?
Pouvez-vous nous dire aussi dans quels délais vous payez vos sous-traitants, et en particulier les PME ?
Enfin, quelles sont vos perspectives en termes d'évolution des effectifs salariés d'Alstom ?
Comment expliquez-vous la crise récente connue par Alstom ? Quel est le montant du budget consacré à l'innovation ? Pourriez-vous préciser les termes de votre partenariat avec Bombardier ? Enfin, vous approvisionnez-vous en acier sur le marché chinois ?
S'il y avait une décision de l'Assemblée générale des actionnaires vous concernant, vous y conformeriez-vous ?
La conclusion par Alstom d'un contrat aux États-Unis pour déployer un train pendulaire à grande vitesse est une bonne nouvelle pour permettre le développement technologique de l'entreprise. Comment vous situez-vous en matière de recherche et développement par rapport à vos concurrents ?
Êtes-vous engagés en matière de développement de l'éolien offshore et de l'hydrolien et quelles sont les perspectives en la matière ?
Si la décision prise pour sauvegarder le site Alstom de Belfort est positive pour l'entreprise, ne risque-t-elle pas a contrario de fragiliser la situation financière de la SNCF ?
Vous réalisez 80 % de votre activité avec les sous-traitants et en particulier les PME : respectez-vous des délais de paiement à 45 jours ? Le rôle des donneurs d'ordre est important pour permettre aux PME de devenir, comme en Allemagne, des entreprises de taille intermédiaire. Mais pour cela, il faut aussi qu'elles ne dépendent pas d'un seul donneur d'ordre. C'est aussi l'intérêt d'Alstom.
Le fret est en panne en France et, en conséquence, Alstom n'a pas vendu une seule locomotive depuis 10 ans. Or, à Perpignan, je vois passer un trafic croissant de camions. On a aussi construit une ligne à grande vitesse pour le transport de passagers. À l'inverse, le fret ferroviaire ne se développe pas. Alors que nous disposons d'une plate-forme multimodale sur le marché Saint-Charles qui est le plus gros marché de fruits et légumes d'Europe, celle-ci n'est que très peu utilisée, d'abord parce que la ligne ferroviaire venant d'Espagne n'est pas adaptée et d'autre part du fait des tarifs élevés et des problèmes de fiabilité du fret ferroviaire proposé par la SNCF. Y aurait-il une solution pour reporter le trafic par camions vers le rail ? L'échec de l'écotaxe n'y a pas aidé.
En tant que présidente du syndicat mixte des transports pour le Rhône et l'agglomération lyonnaise (Sytral), j'ai mené deux appels d'offres de 200 et 100 millions d'euros pour l'acquisition de matériel roulant et l'automatisation d'une nouvelle ligne de métro en agglomération lyonnaise. Il existe une forte concurrence des entreprises sur la commande publique, venant d'Asie, mais aussi d'Espagne. Les entreprises non retenues dans les marchés contestent souvent en justice les décisions d'attribution. Dès le cahier des charges, nous avons besoin d'être accompagnés par des cabinets d'avocats. Par ailleurs, il est de plus en plus difficile de juger des offres, entre les situations de prix cassé et la complexité de l'analyse de la qualité technique des propositions faites aux collectivités. Quel regard portez-vous sur cette situation, qui me préoccupe ?
Vous avez confirmé des objectifs optimistes à long terme. Quelle est la place de la commande publique, en particulier de la commande publique française dans votre activité future ? Parmi les sites d'Alstom, quels sont ceux qui dépendent le plus fortement de la commande publique en France ? Concernant le marché avec le Vietnam, quels sont les sites français qui devraient en bénéficier ? Quels autres contrats à l'international pourraient bénéficier aux sites français ? Le contrat pour le RER parisien est positif pour Alstom et Bombardier, ce qui bénéficiera aussi aux deux usines des Hauts-de-France. Mais y aura-t-il pérennisation des emplois sur ces sites ? Plusieurs milliards sont investis sur les trains d'équilibre du territoire : ces commandes sont bonnes pour les territoires ruraux mais aussi pour les entreprises. Avez-vous chiffré l'impact de ces commandes pour Alstom ? Enfin, l'opération de sauvetage du site de Belfort d'Alstom, qui est plutôt une entreprise en bonne santé, est portée financièrement par la SNCF, plus en difficulté. Quel regard portez-vous sur cette opération ?
Vous avez rappelé l'importance de la concurrence internationale dans le secteur des matériels de transport. Il faut toujours avoir une capacité d'innovation dans ce secteur, pour offrir des solutions innovantes. Or, on constate un besoin croissant en transports d'une part dans les métropoles et d'autre part dans le milieu rural. Le ferroviaire a de plus en plus de difficultés à répondre à cette demande, car on s'oriente vers une personnalisation des réponses aux besoins de transport. Une expérimentation de transport personnel rapide (TPR) avait été menée avec le projet Aramis dans les années 70. La technologie du filaire redevient aussi pertinente. Ma conviction est que la demande de personnalisation va croître. Anticipez-vous cette demande ?
Monsieur le Président-directeur général, le nombre et la pertinence des questions qui vous ont été posées démontrent l'intérêt que suscite votre audition ; elle rassemble aujourd'hui la quasi-totalité des effectifs de la commission des affaires économiques. Pour ma part, je trouverais utile de pouvoir disposer d'un aperçu géographique des sites Alstom dans le monde : pourriez-vous nous fournir une carte récapitulant les implantations industrielles avec les effectifs et les chiffres d'affaires concernés ?
Merci monsieur le Président de me permettre, bien que je sois membre de la commission des affaires étrangères, de poser une brève question qui porte sur la concurrence et la commande publique dans le domaine ferroviaire. Je reste convaincu que l'Europe doit continuer à produire des trains pour couvrir les besoins de son marché intérieur. Or, au cours des dernières années, Alstom semble avoir perdu un certain nombre de marchés sur des segments que l'entreprise ne jugeait peut-être pas suffisamment intéressants à produire dans ses implantations nationales. En toute logique, pour maintenir la compétitivité-prix de nos chaines de fabrication de trains, il faut produire des volumes suffisamment élevés. Afin de redonner du travail aux entreprises situées en France, votre stratégie prévoit-elle de « reprendre la main » sur ce type de commande qui, je le rappelle, s'était traduit par des achats de trains allemands par la SNCF, essentiellement pour des raisons de coûts.
Je vous remercie pour vos nombreuses questions.
Le site de Belfort repose sur deux piliers essentiels : les locomotives, notamment de fret, et les motrices de TGV.
Comme vous l'avez très bien souligné, les difficultés du fret ferroviaire ne sont pas seulement liées à son coût assez élevé. Le problème est avant tout celui de la fiabilité et de la ponctualité. Or, ce problème de fiabilité du fret est lui-même la conséquence indirecte de la fiabilité sur le transport des passagers. Je rappelle en effet qu'en France, la priorité est accordée au trafic « passagers ». La situation est inverse aux États-Unis où le fret ferroviaire domine le transport de passagers. Lorsque surviennent des problèmes sur le réseau « passagers » en France, cela se répercute donc sur le fret. Tant que la fiabilité du transport « passagers » ne sera pas parfaite, le fret en sera affecté. Pour notre pays, les questions que vous soulevez ne sont donc pas simples à résoudre, car elles rejoignent celle de l'état général du réseau ferroviaire. Toujours est-il que cette situation a des conséquences sur la composante « fret » du site de Belfort.
Concernant le TGV, il reste le train le plus rentable en France. À la différence des trains régionaux, il n'est pas subventionné. Quand on s'interroge pour savoir s'il y a une crise sur le système TGV, je crois qu'il faut d'abord éclaircir ce qu'on veut faire du TGV. Aujourd'hui, il y a des questionnements sur la charge du TGV, de sorte que le site de Belfort est fragilisé sur ses deux piliers, fret et TGV. Tout ceci renvoie fondamentalement au débat existant entre deux modèles de TGV -le premier dans lequel le TGV se concentre sur certaines grandes lignes et le second où il irriguerait plus largement le territoire. Tant que ce débat de fond n'est pas tranché, cela a tendance à geler les ambitions -y compris d'ailleurs celles de la SNCF, qui doit se demander quel type de modèle promouvoir.
Ces sujets sont sur la table. S'il y a eu cette crise, entre guillemets, c'est aussi parce que nous avons cherché à anticiper l'avenir du site. Je tiens à souligner que la charge d'activité de Belfort ne tombe pas demain. Nous avons encore un an et demi pour traiter ces questions. D'où le plan mis en place par le Gouvernement. Aujourd'hui, je fais confiance au Gouvernement pour respecter ses engagements. De notre côté, nous respectons les nôtres. Nous avons commencé à diversifier les activités du site de Belfort, à la fois sur les services et sur les produits. Nous avons relancé la fabrication de locomotives dites « de manoeuvre » utilisées par exemple pour tracter les trains dans les dépôts ou comme locomotives de secours. Nous répondons, dans ce domaine, à une commande de la Suisse. Nous espérons aussi, cela fait partie des engagements de l'État, pouvoir produire des locomotives de secours pour le TGV. Nous réinvestissons dans cette gamme de produits. Le Gouvernement a prévu de faire le point sur ces sujets le 17 février prochain.
Sur la question de la séparation des activités transport et énergie, la division transport, qui constitue désormais l'activité d'Alstom, n'a pas été impactée négativement par la cession de la branche énergie du groupe. Au contraire, cela a permis de renforcer les finances du groupe et de lui donner un certain élan.
Pour ce qui concerne la question sur la communication, on a trop tendance à valoriser l'activité production. Il est vrai que les TGV américains ne vont pas être produits en France. Je rappelle d'ailleurs que le « Buy American Act » nous oblige à produire 95% de nos trains sur le sol américain. Je note au passage que, de façon étonnante, alors que l'Europe dispose d'un « Buy European Act », cette disposition juridique n'est jamais utilisée dans les appels d'offre. Je suis d'accord sur le fait que la communication devrait davantage valoriser l'aspect engineering, recherche-développement et innovation, car cela vient alimenter notre outil français. Sur les 9000 emplois du groupe en France, nous employons 4 000 ingénieurs. Je souligne d'ailleurs qu'Alstom possède une organisation de l'innovation particulière. Nous avons une activité R&D fondamentale située à Saint-Ouen, qui représente un peu moins de 200 millions d'euros et qui emploie environ 700 de nos 4000 ingénieurs ; mais nous avons aussi une innovation décentralisée : chacun de nos sites sur les territoires intervient dans le domaine de l'ingénierie et du développement. Prenons l'exemple de Tarbes : sur les 600 personnes sur ce site, environ 150 seulement travaillent dans la production proprement dite. Il nous faut donc mieux communiquer sur le lien entre les commandes et les emplois induits en France, même si ce ne sont pas des emplois dans la production mais dans l'innovation et dans l'ingénierie.
J'en viens à la question sur les liens noués avec la RATP, Keolis et les autres partenaires français, notamment les PME. Quand nous allons à l'export, nous nous efforçons au maximum de travailler avec l'environnement français. Systra joue un rôle extrêmement important pour nous. Dans le passé, la RATP était le « parrain » d'un certain nombre de métros dans le monde. Cela s'est un peu perdu. Systra a désormais repris l'activité engineering de la RATP et de la SNCF à l'export. C'est une entreprise florissante mais qui a un peu perdu ce rôle traditionnel de prescripteur de solutions françaises pour nos activités à l'étranger. Nous travaillons néanmoins avec eux compte tenu de leur rôle essentiel, qui est de spécifier les métros. La bataille des normes et des standards est extrêmement importante. Il faut exporter non seulement nos produits mais aussi nos standards.
Sur cette question des partenariats, il faut également garder en tête que la France a la particularité d'avoir trois opérateurs mondiaux urbains. RATP Dev, Keolis et Transdev sont présents en France. Donc les relations que nous pouvons avoir avec eux sont très diverses. Nous pouvons travailler en consortium, en proposant conjointement une solution d'exploitation et de système. Nous pouvons aussi travailler en parallèle lorsque le client achète le matériel d'un côté et les solutions d'exploitation de l'autre. Nous essayons de nous coordonner autant que possible, tout en sachant que ces opérateurs sont en concurrence les uns avec les autres. Dans des grands contrats internationaux, l' « équipe de France » a vraiment du mal à exister par rapport à ses concurrents coréens ou japonais : nous n'avons pas la structure financière et la taille suffisante. C'est un domaine où il faut progresser.
Sur les questions relatives aux innovations technologiques, je crois très fortement à la digitalisation du transport et à la multimodalité. Notre vision globale est que le « coeur » du transport public doit être ferroviaire, car ce moyen reste le plus efficace et le plus environnemental. Il existe cependant des obstacles au ferroviaire. Il reste en particulier à résoudre le problème du « last mile », à savoir celui du déplacement entre le domicile et la gare. C'est pourquoi nous sommes très attentifs à l'émergence de la voiture autonome et des « déplacements doux », qui sont des moyens de répondre à ce problème. Il faut travailler sur la question de l'intermodalité, qui doit accompagner le développement des solutions ferroviaires. Concernant la problématique de la sustentation magnétique, elle ne paraît pas prioritaire. Je rappelle que seul un centimètre carré de chaque roue d'un train est en contact avec le rail et le frottement est donc extrêmement faible ; nous sommes donc déjà quasiment en sustentation.
S'agissant des Haut de France, c'est un coeur historique du ferroviaire français, avec la présence à la fois d'Alstom et de Bombardier. Des alliances ponctuelles ont été conclues avec Bombardier, notamment pour fournir le marché des RER qui exigeait des capacités importantes, car nous voulions réitérer le succès du RER A, mais il n'y a pas d'accord global systématique. Ce territoire rassemble également des centres d'excellence, par exemple Railenium ou encore l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer aux compétences étendues par le quatrième « paquet » ferroviaire. Il y a aussi le centre d'essai ferroviaire dans lequel nous investissons. Dans le passé, on testait moins les trains avant leur mise en service, alors qu'aujourd'hui les opérateurs ont des exigences renforcées de fonctionnement immédiat des équipements livrés.
Comme vous l'avez signalé, le site de Valenciennes est un site intégrateur, assez tributaire de la commande française. Il subit aujourd'hui un chômage technique qui s'explique par le décalage entre la production du RER A, dont la production s'arrête en avril prochain, et le RER E dont la production ne commencera que dans deux ou trois ans. C'est cependant aussi un site exportateur présent notamment sur le marché d'Hanoï, sur celui du Venezuela, de la Belgique... Nous travaillons à donner une exposition globale au site de Valenciennes. Ainsi, c'est sur ce territoire que nous avons positionné le centre d'excellence destiné à concevoir l'intérieur de l'ensemble des trains, ce qui permet d'ailleurs de soutenir l'activité des PME. Nous avons tout intérêt à renforcer ces PME qui réalisent des éléments simples mais fondamentaux et soumis à des contraintes spécifiques dans le domaine ferroviaire : sièges, moquettes, plafonds....
Cela m'amène à la question sur les conditions et les délais de paiement. Nous rémunérons les PME de manière satisfaisante, car nous sommes aussi - contrairement à l'idée reçue - en situation de dépendance à l'égard de ces entreprises : tant qu'il manque un élément produit par nos sous-traitants, un train ne peut pas être livré. Nous avons donc intérêt à disposer d'un tissu de sous-traitants de qualité. Nous avons aussi une politique d'accompagnement, notamment quand un de nos fournisseurs se trouve en difficulté pour nous livrer. Cette approche concerne aussi la question de la globalisation de nos partenaires. Notre groupe s'internationalise et nous souhaitons donc que les PME suivent cette évolution. C'est ce que nous faisons notamment sur le marché sud-africain. Nous mettons en oeuvre des actions pour les soutenir et les accompagner là-bas. Sur les deux milliards d'euros que représente notre activité, 1,3 milliard sont achetés en France et, par conséquent les PME exportent à travers nos productions. Mais nous leur demandons également d'améliorer leur implantation à l'étranger.
J'en viens à des réponses à plusieurs questions spécifiques.
Tout d'abord, par définition, Alstom vit de la commande publique française et étrangère, puisque aucune personne privée n'achète de trains.
Concernant la provenance de l'acier que nous utilisons, il n'est pas économiquement opportun pour Alstom, d'acheter de l'acier ou de l'aluminium en Chine : nos matériels roulants, conçus pour fonctionner pendant 40 ans, nécessitent des composants et des matériaux extrêmement perfectionnés.
S'agissant des coûts de production, je rappelle que la concurrence est vive aussi à l'intérieur de l'Europe, où les concurrents polonais, tchèques ou même espagnols bénéficient de coûts moindres que les coûts français.
Enfin, sur la commande publique, nous devons résoudre un paradoxe : la commande publique, régie par des règles très précises, tend vers le moins disant, alors que dans notre domaine d'activité, il est essentiel de nouer des partenariats de long terme, où le facteur qualité est primordial. Le train que nous produisons est là pour quarante ans : il faut qu'il soit servi et entretenu pendant toute cette période, qu'il possède les qualités techniques et énergétiques adéquates. Or, les opérateurs sont parfois entrainés par la logique des procédures de commande publique à faire l'acquisition de trains qui, au final, ne sont pas conformes à leurs attentes. Il faut donc trouver le moyen d'évoluer du moins au mieux disant : c'est d'autant plus compliqué qu'on constate une très nette judiciarisation de l'action publique et des procédures.
S'agissant du RER, comme évoqué précédemment, Alstom s'est associé à Bombardier pour réitérer le succès du RER A. Quant aux commandes à venir, Alstom travaille notamment en Égypte et au Caire, en vue de la réalisation d'un métropolitain. C'est un marché difficile, car, comme sur d'autres marchés, nous devons faire face à la compétition frontale des coréens. Nous devons donc redoubler d'efforts pour obtenir ce marché. Le site de Reichshoffen a remporté une très belle victoire, en exportant à Dakar le premier train en Afrique de l'Ouest.
Quelques mots, maintenant, sur les implantations d'Alstom dans le monde. J'ai déjà exposé les éléments français. Dans le reste de l'Europe, nous avons un site en Allemagne qui réalise des trains régionaux à destination de l'Allemagne, mais également, dans une moindre mesure, à destination des pays nordiques. En Italie, un site d'Alstom produit des trains régionaux pour le marché domestique et notre fameux train pendulaire Pendolino. Le train qui sera fourni à Amtrak est la combinaison de la technologie française du TGV, notamment du TGV du futur - ce qui est très important, car nous n'aurions jamais remporté le contrat avec Amtrak si le TGV du futur n'avait pas été lancé, y compris pour la France - et la technologie pendulaire, héritée de l'Italie, car il n'y a pas, en France, de trains pendulaires. Nous disposons également d'un site à Barcelone, pour les transports urbains, tels que le métropolitain et le tramway. Enfin, pour terminer sur la zone européenne, je mentionnerai notre site en Pologne, spécialisé dans la sous-traitance de pièces primaires.
En dehors de l'Europe, nous sommes présents aux États-Unis, à travers un site de fabrication de métropolitains, situé dans l'État de New-York, qui sera chargé aussi de la réalisation du TGV pour Amtrak. Nous sommes également dotés d'une base industrielle au Brésil, qui réunit l'ensemble de nos compétences.
S'agissant de l'Asie, Alstom est présent en Inde, sur l'ensemble des compétences de l'entreprise. En revanche, le marché chinois ne nous étant pas ouvert, nous ne vendons en Chine que des composants, et ne disposons d'aucune usine. C'est pourquoi nous avons concentré notre outil industriel asiatique en Inde.
Enfin, nous sommes présents en Afrique subsaharienne, dont le marché commence à murir, et plus précisément en Afrique du Sud, où nous allons ouvrir une usine afin de servir le marché sud-africain.
Je m'étais interrogé, il y a trois ans, dans le cadre de la rédaction de l'avis budgétaire de notre commission portant sur les participations financières de l'État, sur l'opération de restructuration entre General Electric et Alstom. Pouvez-vous nous dire quelles sont les conséquences de cette opération, si vous avez des regrets, bref si vous pensez qu'elle était positive pour votre entreprise et pour le pays ?
Je vous poserai une question très courte, à laquelle j'aimerais que vous répondiez en toute franchise : estimez-vous que le fait que l'État figure parmi vos actionnaires constitue plutôt une aide ou un frein à l'évolution de votre entreprise ?
Je vous interrogerai sur le site de Reichshoffen : où en est la commande de trains d'équilibre du territoire, en principe soumise, comme pour les TGV, à une décision du conseil d'administration de la SNCF qui devrait intervenir à la fin du mois de février ?
Sur la vente de l'activité énergie d'Alstom à General Electric, à nouveau, je ne peux que vous répondre en rappelant que notre activité de transport n'a subi aucune conséquence négative suite à cette opération. Je n'étais pas président-directeur général à cette époque. Cette décision a été longuement discutée et commentée. Il appartient à chacun de juger. Personnellement, je n'ai pas d'avis particulier sur la question.
S'agissant de l'État actionnaire, en toute franchise et personnellement : que l'État soit notre actionnaire ou pas, cela ne change rien. Car notre activité nous amène, quoi qu'il arrive, à traiter avec l'État tous les jours. L'État est notre premier client ; il est le régulateur du système ferroviaire ; c'est également l'État qui nous aide pour exporter via le financement de l'export. Prenons l'exemple de Belfort : sa présence au conseil d'administration n'a eu aucun effet. Il en irait différemment si l'État contrôlait Alstom. Mais ce n'est pas le cas : notre entreprise n'est pas une entreprise publique ; elle est gérée comme n'importe quelle entreprise privée. Elle est par ailleurs cotée en bourse. L'État n'a pas besoin de siéger au conseil d'administration pour connaître notre stratégie. Vous savez par ailleurs que l'État doit adopter une décision en octobre sur ce sujet. Il est donc un peu tôt, eu égard aux échéances que nous connaissons tous, pour en parler.
Sur le site de Belfort, le rôle de l'État a été déterminant, à travers sa présence au conseil d'administration. Sans son intervention, le site aurait peut-être été fermé !
Nous pouvons en débattre, mais je ne le crois pas. L'Etat serait intervenu de la même manière s'il n'avait pas été actionnaire.
Ce qui a sauvé, entre guillemets, le site de Belfort, ce n'est pas un veto de l'État au conseil d'administration, mais des commandes, la diversification de l'activité, etc. Par ailleurs, nous n'avions pas l'intention de fermer le site.
S'agissant du site de Reichshoffen, il y a effectivement les commandes des fameux trente trains d'équilibres du territoire. Ces commandes sont déjà passées devant le conseil d'administration. Le prochain conseil d'administration portera sur les commandes de TGV, pas sur les trains d'équilibres du territoire. Il faut maintenant finaliser ces commandes. Nous restons confiants, car elles sont aujourd'hui bien engagées, même si elles ne sont pas encore notifiées. Cette notification dépend des relations entre l'État et la SNCF.
Parce que l'État ne s'est pas engagé à payer ces trains à la SNCF, est-ce bien cela ?
Je ne suis pas en mesure de vous répondre à ce niveau de détails, je vous renvoie donc vers les principaux concernés.
Je souhaite être certain de votre réponse : suivrez-vous la décision de l'assemblée générale des actionnaires concernant votre rémunération ? Ce n'est pas une question anodine.
Ma rémunération est déjà passée en assemblée générale et elle a été approuvée, il me semble, à 97%. J'ai donc suivi sa décision. De façon générale, l'assemblée générale est l'organisme souverain d'une entreprise, il faut donc évidemment se conformer à ses décisions. Les dispositions législatives en matière de contrôle de la rémunération des dirigeants, corrigées par la loi dite « Sapin II », souffraient néanmoins de quelques incohérences : faire voter une assemblée générale a posteriori plutôt qu'en amont, de façon purement consultative et non contraignante, créait des situations complexes, comme on a pu l'observer dans le cas d'Alstom : on ne peut pas revenir sur des paiements effectués et légaux. À titre personnel donc, oui, je me conformerai au vote de l'assemblée générale, mais il est souhaitable que le dispositif soit plus cohérent et plus transparent. En effet, la démocratie des assemblées générales n'est pas toujours évidente : les actionnaires qui la composent peuvent changer d'avis, mais ils peuvent également changer eux-mêmes ! Les actionnaires votent aussi avec leurs pieds. Ma réponse est donc claire : oui, mais il y a matière à réfléchir sur la question, même si cela ne relève pas de mes compétences.
Afin de vous éclairer sur l'attention particulière de mes collègues et moi-même concernant la situation du département de l'Orne, je souhaite préciser que ce département est le siège d'une entreprise située dans une petite commune rurale du nom de Mauves-sur-Huisne qui fabrique, à la main, en matériaux composites, les « nez » des locomotives de TGV, de même que la plupart des cabines des tramways, RER et autres TER. Monsieur le Président-Directeur général, je vous remercie d'avoir accepté de venir répondre aux questions de notre commission.
La réunion est close à 11 h 15.