Je vous remercie pour vos nombreuses questions.
Le site de Belfort repose sur deux piliers essentiels : les locomotives, notamment de fret, et les motrices de TGV.
Comme vous l'avez très bien souligné, les difficultés du fret ferroviaire ne sont pas seulement liées à son coût assez élevé. Le problème est avant tout celui de la fiabilité et de la ponctualité. Or, ce problème de fiabilité du fret est lui-même la conséquence indirecte de la fiabilité sur le transport des passagers. Je rappelle en effet qu'en France, la priorité est accordée au trafic « passagers ». La situation est inverse aux États-Unis où le fret ferroviaire domine le transport de passagers. Lorsque surviennent des problèmes sur le réseau « passagers » en France, cela se répercute donc sur le fret. Tant que la fiabilité du transport « passagers » ne sera pas parfaite, le fret en sera affecté. Pour notre pays, les questions que vous soulevez ne sont donc pas simples à résoudre, car elles rejoignent celle de l'état général du réseau ferroviaire. Toujours est-il que cette situation a des conséquences sur la composante « fret » du site de Belfort.
Concernant le TGV, il reste le train le plus rentable en France. À la différence des trains régionaux, il n'est pas subventionné. Quand on s'interroge pour savoir s'il y a une crise sur le système TGV, je crois qu'il faut d'abord éclaircir ce qu'on veut faire du TGV. Aujourd'hui, il y a des questionnements sur la charge du TGV, de sorte que le site de Belfort est fragilisé sur ses deux piliers, fret et TGV. Tout ceci renvoie fondamentalement au débat existant entre deux modèles de TGV -le premier dans lequel le TGV se concentre sur certaines grandes lignes et le second où il irriguerait plus largement le territoire. Tant que ce débat de fond n'est pas tranché, cela a tendance à geler les ambitions -y compris d'ailleurs celles de la SNCF, qui doit se demander quel type de modèle promouvoir.
Ces sujets sont sur la table. S'il y a eu cette crise, entre guillemets, c'est aussi parce que nous avons cherché à anticiper l'avenir du site. Je tiens à souligner que la charge d'activité de Belfort ne tombe pas demain. Nous avons encore un an et demi pour traiter ces questions. D'où le plan mis en place par le Gouvernement. Aujourd'hui, je fais confiance au Gouvernement pour respecter ses engagements. De notre côté, nous respectons les nôtres. Nous avons commencé à diversifier les activités du site de Belfort, à la fois sur les services et sur les produits. Nous avons relancé la fabrication de locomotives dites « de manoeuvre » utilisées par exemple pour tracter les trains dans les dépôts ou comme locomotives de secours. Nous répondons, dans ce domaine, à une commande de la Suisse. Nous espérons aussi, cela fait partie des engagements de l'État, pouvoir produire des locomotives de secours pour le TGV. Nous réinvestissons dans cette gamme de produits. Le Gouvernement a prévu de faire le point sur ces sujets le 17 février prochain.
Sur la question de la séparation des activités transport et énergie, la division transport, qui constitue désormais l'activité d'Alstom, n'a pas été impactée négativement par la cession de la branche énergie du groupe. Au contraire, cela a permis de renforcer les finances du groupe et de lui donner un certain élan.
Pour ce qui concerne la question sur la communication, on a trop tendance à valoriser l'activité production. Il est vrai que les TGV américains ne vont pas être produits en France. Je rappelle d'ailleurs que le « Buy American Act » nous oblige à produire 95% de nos trains sur le sol américain. Je note au passage que, de façon étonnante, alors que l'Europe dispose d'un « Buy European Act », cette disposition juridique n'est jamais utilisée dans les appels d'offre. Je suis d'accord sur le fait que la communication devrait davantage valoriser l'aspect engineering, recherche-développement et innovation, car cela vient alimenter notre outil français. Sur les 9000 emplois du groupe en France, nous employons 4 000 ingénieurs. Je souligne d'ailleurs qu'Alstom possède une organisation de l'innovation particulière. Nous avons une activité R&D fondamentale située à Saint-Ouen, qui représente un peu moins de 200 millions d'euros et qui emploie environ 700 de nos 4000 ingénieurs ; mais nous avons aussi une innovation décentralisée : chacun de nos sites sur les territoires intervient dans le domaine de l'ingénierie et du développement. Prenons l'exemple de Tarbes : sur les 600 personnes sur ce site, environ 150 seulement travaillent dans la production proprement dite. Il nous faut donc mieux communiquer sur le lien entre les commandes et les emplois induits en France, même si ce ne sont pas des emplois dans la production mais dans l'innovation et dans l'ingénierie.
J'en viens à la question sur les liens noués avec la RATP, Keolis et les autres partenaires français, notamment les PME. Quand nous allons à l'export, nous nous efforçons au maximum de travailler avec l'environnement français. Systra joue un rôle extrêmement important pour nous. Dans le passé, la RATP était le « parrain » d'un certain nombre de métros dans le monde. Cela s'est un peu perdu. Systra a désormais repris l'activité engineering de la RATP et de la SNCF à l'export. C'est une entreprise florissante mais qui a un peu perdu ce rôle traditionnel de prescripteur de solutions françaises pour nos activités à l'étranger. Nous travaillons néanmoins avec eux compte tenu de leur rôle essentiel, qui est de spécifier les métros. La bataille des normes et des standards est extrêmement importante. Il faut exporter non seulement nos produits mais aussi nos standards.
Sur cette question des partenariats, il faut également garder en tête que la France a la particularité d'avoir trois opérateurs mondiaux urbains. RATP Dev, Keolis et Transdev sont présents en France. Donc les relations que nous pouvons avoir avec eux sont très diverses. Nous pouvons travailler en consortium, en proposant conjointement une solution d'exploitation et de système. Nous pouvons aussi travailler en parallèle lorsque le client achète le matériel d'un côté et les solutions d'exploitation de l'autre. Nous essayons de nous coordonner autant que possible, tout en sachant que ces opérateurs sont en concurrence les uns avec les autres. Dans des grands contrats internationaux, l' « équipe de France » a vraiment du mal à exister par rapport à ses concurrents coréens ou japonais : nous n'avons pas la structure financière et la taille suffisante. C'est un domaine où il faut progresser.
Sur les questions relatives aux innovations technologiques, je crois très fortement à la digitalisation du transport et à la multimodalité. Notre vision globale est que le « coeur » du transport public doit être ferroviaire, car ce moyen reste le plus efficace et le plus environnemental. Il existe cependant des obstacles au ferroviaire. Il reste en particulier à résoudre le problème du « last mile », à savoir celui du déplacement entre le domicile et la gare. C'est pourquoi nous sommes très attentifs à l'émergence de la voiture autonome et des « déplacements doux », qui sont des moyens de répondre à ce problème. Il faut travailler sur la question de l'intermodalité, qui doit accompagner le développement des solutions ferroviaires. Concernant la problématique de la sustentation magnétique, elle ne paraît pas prioritaire. Je rappelle que seul un centimètre carré de chaque roue d'un train est en contact avec le rail et le frottement est donc extrêmement faible ; nous sommes donc déjà quasiment en sustentation.
S'agissant des Haut de France, c'est un coeur historique du ferroviaire français, avec la présence à la fois d'Alstom et de Bombardier. Des alliances ponctuelles ont été conclues avec Bombardier, notamment pour fournir le marché des RER qui exigeait des capacités importantes, car nous voulions réitérer le succès du RER A, mais il n'y a pas d'accord global systématique. Ce territoire rassemble également des centres d'excellence, par exemple Railenium ou encore l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer aux compétences étendues par le quatrième « paquet » ferroviaire. Il y a aussi le centre d'essai ferroviaire dans lequel nous investissons. Dans le passé, on testait moins les trains avant leur mise en service, alors qu'aujourd'hui les opérateurs ont des exigences renforcées de fonctionnement immédiat des équipements livrés.
Comme vous l'avez signalé, le site de Valenciennes est un site intégrateur, assez tributaire de la commande française. Il subit aujourd'hui un chômage technique qui s'explique par le décalage entre la production du RER A, dont la production s'arrête en avril prochain, et le RER E dont la production ne commencera que dans deux ou trois ans. C'est cependant aussi un site exportateur présent notamment sur le marché d'Hanoï, sur celui du Venezuela, de la Belgique... Nous travaillons à donner une exposition globale au site de Valenciennes. Ainsi, c'est sur ce territoire que nous avons positionné le centre d'excellence destiné à concevoir l'intérieur de l'ensemble des trains, ce qui permet d'ailleurs de soutenir l'activité des PME. Nous avons tout intérêt à renforcer ces PME qui réalisent des éléments simples mais fondamentaux et soumis à des contraintes spécifiques dans le domaine ferroviaire : sièges, moquettes, plafonds....
Cela m'amène à la question sur les conditions et les délais de paiement. Nous rémunérons les PME de manière satisfaisante, car nous sommes aussi - contrairement à l'idée reçue - en situation de dépendance à l'égard de ces entreprises : tant qu'il manque un élément produit par nos sous-traitants, un train ne peut pas être livré. Nous avons donc intérêt à disposer d'un tissu de sous-traitants de qualité. Nous avons aussi une politique d'accompagnement, notamment quand un de nos fournisseurs se trouve en difficulté pour nous livrer. Cette approche concerne aussi la question de la globalisation de nos partenaires. Notre groupe s'internationalise et nous souhaitons donc que les PME suivent cette évolution. C'est ce que nous faisons notamment sur le marché sud-africain. Nous mettons en oeuvre des actions pour les soutenir et les accompagner là-bas. Sur les deux milliards d'euros que représente notre activité, 1,3 milliard sont achetés en France et, par conséquent les PME exportent à travers nos productions. Mais nous leur demandons également d'améliorer leur implantation à l'étranger.
J'en viens à des réponses à plusieurs questions spécifiques.
Tout d'abord, par définition, Alstom vit de la commande publique française et étrangère, puisque aucune personne privée n'achète de trains.
Concernant la provenance de l'acier que nous utilisons, il n'est pas économiquement opportun pour Alstom, d'acheter de l'acier ou de l'aluminium en Chine : nos matériels roulants, conçus pour fonctionner pendant 40 ans, nécessitent des composants et des matériaux extrêmement perfectionnés.
S'agissant des coûts de production, je rappelle que la concurrence est vive aussi à l'intérieur de l'Europe, où les concurrents polonais, tchèques ou même espagnols bénéficient de coûts moindres que les coûts français.
Enfin, sur la commande publique, nous devons résoudre un paradoxe : la commande publique, régie par des règles très précises, tend vers le moins disant, alors que dans notre domaine d'activité, il est essentiel de nouer des partenariats de long terme, où le facteur qualité est primordial. Le train que nous produisons est là pour quarante ans : il faut qu'il soit servi et entretenu pendant toute cette période, qu'il possède les qualités techniques et énergétiques adéquates. Or, les opérateurs sont parfois entrainés par la logique des procédures de commande publique à faire l'acquisition de trains qui, au final, ne sont pas conformes à leurs attentes. Il faut donc trouver le moyen d'évoluer du moins au mieux disant : c'est d'autant plus compliqué qu'on constate une très nette judiciarisation de l'action publique et des procédures.
S'agissant du RER, comme évoqué précédemment, Alstom s'est associé à Bombardier pour réitérer le succès du RER A. Quant aux commandes à venir, Alstom travaille notamment en Égypte et au Caire, en vue de la réalisation d'un métropolitain. C'est un marché difficile, car, comme sur d'autres marchés, nous devons faire face à la compétition frontale des coréens. Nous devons donc redoubler d'efforts pour obtenir ce marché. Le site de Reichshoffen a remporté une très belle victoire, en exportant à Dakar le premier train en Afrique de l'Ouest.
Quelques mots, maintenant, sur les implantations d'Alstom dans le monde. J'ai déjà exposé les éléments français. Dans le reste de l'Europe, nous avons un site en Allemagne qui réalise des trains régionaux à destination de l'Allemagne, mais également, dans une moindre mesure, à destination des pays nordiques. En Italie, un site d'Alstom produit des trains régionaux pour le marché domestique et notre fameux train pendulaire Pendolino. Le train qui sera fourni à Amtrak est la combinaison de la technologie française du TGV, notamment du TGV du futur - ce qui est très important, car nous n'aurions jamais remporté le contrat avec Amtrak si le TGV du futur n'avait pas été lancé, y compris pour la France - et la technologie pendulaire, héritée de l'Italie, car il n'y a pas, en France, de trains pendulaires. Nous disposons également d'un site à Barcelone, pour les transports urbains, tels que le métropolitain et le tramway. Enfin, pour terminer sur la zone européenne, je mentionnerai notre site en Pologne, spécialisé dans la sous-traitance de pièces primaires.
En dehors de l'Europe, nous sommes présents aux États-Unis, à travers un site de fabrication de métropolitains, situé dans l'État de New-York, qui sera chargé aussi de la réalisation du TGV pour Amtrak. Nous sommes également dotés d'une base industrielle au Brésil, qui réunit l'ensemble de nos compétences.
S'agissant de l'Asie, Alstom est présent en Inde, sur l'ensemble des compétences de l'entreprise. En revanche, le marché chinois ne nous étant pas ouvert, nous ne vendons en Chine que des composants, et ne disposons d'aucune usine. C'est pourquoi nous avons concentré notre outil industriel asiatique en Inde.
Enfin, nous sommes présents en Afrique subsaharienne, dont le marché commence à murir, et plus précisément en Afrique du Sud, où nous allons ouvrir une usine afin de servir le marché sud-africain.