Intervention de Daniel Chasseing

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 février 2017 à 9h05
Table ronde sur la problématique de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers avec des représentants des syndicats des praticiens hospitaliers

Photo de Daniel ChasseingDaniel Chasseing :

Aujourd'hui, les charges administratives rebutantes, l'éloignement des lieux de décision, le numerus clausus, le niveau des salaires ou encore le temps de travail affectent l'attractivité de l'hôpital pour les médecins. Les choses devraient pourtant s'améliorer et certains services fonctionnent bien, malgré tout. J'ai été surpris de voir que certaines souffrances ont explosé depuis 2000, alors qu'elles ne sont pas particulièrement mises en avant. Enfin, quel est le rôle de la commission médicale d'établissement en matière de recrutement, en particulier vis-à-vis du directeur ?

Docteur Jean-Marie Scotton. - Je ne vais évoquer que quelques-uns des sujets qui ont été soulevés. Tout d'abord, on constate tout de même une nette dégradation du pouvoir d'achat des praticiens. Pour attirer les jeunes, il faut mettre l'accent sur les mesures qui ont déjà été prises, mais il faut surtout appliquer les textes existants ! On constate par exemple que la manière de prendre en compte les gardes et les astreintes donne parfois lieu à des choses inadmissibles, qui sont contraires aux instructions. Il existe aussi un doute sur l'application du protocole d'accord par tous les établissements, ce qui n'est pas satisfaisant.

« Réenchanter » l'hôpital ? C'est une belle idée. Elle doit s'appuyer sur un projet et une équipe. La rémunération n'est pas la principale motivation pour les praticiens qui souhaitent d'abord construire quelque chose et se réaliser professionnellement. Pour cela, il faut un projet d'établissement clair, qui donne des responsabilités à chacun, ce qui n'est plus possible depuis la loi HPST.

Le rôle du président de la commission médicale d'établissement, comme celui du directeur, dépend largement de l'endroit et des personnes. Cela fonctionne bien dans nombre d'établissements, ceux où le dialogue social est fort.

La mise en place des groupements hospitaliers de territoire est un enjeu important, dans les prochaines années, pour la prise en charge de la population. Ils ne doivent pas aboutir à évincer les médecins qui ont bien travaillé. Dans ce cadre, le projet médical de territoire, qui doit associer et respecter les médecins, est essentiel.

Les risques médico-légaux sont prégnants - comme obstétricien, je le sais bien -, mais ils ne sont pas liés seulement à la technicité. Il y a eu des progrès en la matière.

Il faut un rééquilibrage des pouvoirs, notamment sur le rôle de nomination de la CME. Des médecins sont partis, car ils se sentaient écartés de tout pouvoir de décision.

Je suis confiant. L'hôpital peut assurer toutes ses missions de service public si on lui en donne les moyens et si l'on organise la concertation de tous les acteurs sur le territoire. Dans une équipe avec un projet, les jeunes praticiens se sentent intégrés et ils sont motivés. Ce ne sont pas des mesures financières qui régleront le problème de l'attractivité.

Docteur Alain Jacob. - La rémunération des médecins n'est jamais à l'origine de conflits ou de risques psychosociaux au sein des établissements. Elle varie d'environ 30 % entre les praticiens, selon la participation à la permanence des soins, l'exercice libéral à l'intérieur de l'hôpital, la spécialité, l'activité... Le principe de la rémunération statutaire, qui implique une « prime au vieillissement », mériterait d'être amélioré.

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt ! Nous ne pourrons pas occulter le débat sur les différences de rémunération entre les régions ou les spécialités. Il faut probablement revoir certains aspects du statut de praticien hospitalier, qui date de 1984 ; je pense notamment à la rémunération.

L'enjeu du management n'est pas de savoir qui a le pouvoir ; il est de faire fonctionner au mieux l'hôpital public, pour lui permettre de remplir ses missions. Le management à l'hôpital est de plus en plus complexe, du fait du nombre de métiers et des systèmes d'information. Il manque un management prospectif bienveillant de la carrière des praticiens à hôpital : introduisons une modularité de la carrière, qu'il s'agisse de l'activité ou de la formation continue, et réfléchissons à des possibilités de temps partiel ou de mobilité entre public et privé.

La seule restriction à la liberté d'installation réside dans la difficulté pour des médecins hospitaliers quittant l'hôpital de se réinstaller sur le même territoire. Le maintien de l'activité de l'hôpital public passe par l'attractivité hospitalière, pas par l'interdiction d'installation des praticiens.

Docteur Max-André Doppia. - La violence existe partout, y compris à l'hôpital public.

Mais ce qui inquiète les professionnels, ce n'est pas la peur de se faire agresser. C'est la violence institutionnelle, dont on ne parle jamais. Il est impossible pour les soignants de s'exprimer, de décrire le décalage croissant entre leurs aspirations et la faiblesse des moyens dont ils disposent.

La rémunération n'est pas le seul problème. Certes, les revenus des praticiens ne sont pas toujours suffisants. Mais, par expérience, la plupart de ceux qui quittent l'hôpital public le font parce qu'ils pensent avoir un espace professionnel plus adapté à leurs aspirations ailleurs. Nous devons chercher à comprendre leurs raisons. Je regrette qu'il n'y ait pas un entretien systématique entre la direction, le président de la CME et le praticien - il devrait alors être accompagné d'un responsable syndical - qui veut partir.

La personne qui, à tort ou à raison, se sent harcelée au sein de l'hôpital public ne dispose pas d'un espace pour exprimer son point de vue. Il faut lui offrir un tel cadre. La souffrance est d'abord subjective.

Nous devrions être mieux formés que nous ne le sommes pour assumer la technicité des soins. Notre pays souffre d'un retard considérable sur le nombre de laboratoires de simulation - il s'agit de simulations techniques ou de simulations relationnelles - implantés dans les territoires.

Le risque médico-légal est notre métier. Quand j'endors un patient, je sais que je prends un risque. Mais on ne nous donne pas les moyens d'exercer notre art, ce qui crée effectivement des situations de conflits au sein de l'hôpital public. L'institution se dédouane très facilement en disant que c'est le problème des praticiens.

L'Ondam et la définition de l'absence de progression de la marge pour les établissements publics, qui sont des décisions nationales, ont des conséquences sur le terrain au quotidien. Or il n'est pas possible d'en parler à l'hôpital ; on nous renvoie toujours à des schémas directeurs.

Le pointage n'est pas la solution. La véritable question est de savoir si le praticien hospitalier se sent bien dans un espace où il a encore envie donner quelque chose et où il peut s'exprimer comme il le souhaite. Si nous sommes à l'hôpital public, c'est parce que nous avons fait ce choix !

Il y a des archaïsmes. Suspendre « à titre conservatoire » pendant une longue durée un praticien hospitalier sans l'informer de ce qui lui est reproché, cela relève de la lettre de cachet ! Nous revendiquons l'abolition de ce système. Le directeur qui prend une décision aussi lourde de conséquences doit informer le praticien pour que celui-ci désigne immédiatement un responsable syndical chargé de recevoir les documents justificatifs. Comme ce n'est pas le cas aujourd'hui, cela finit parfois devant les tribunaux, voire en tentatives de suicide !

Le Centre national de gestion (CNG) gère les carrières des praticiens hospitaliers et des directeurs. Mais, lorsque des décisions de réintégration de praticiens dans leurs fonctions sont prises, personne ne vérifie l'effectivité de la réintégration. C'est un facteur de risques psychosociaux très important.

On nous dit, depuis des années, que le temps de travail des praticiens hospitaliers est, par principe, défini en demi-journées et, par exception, en temps dit « continu », pour ne pas dépasser quarante-huit heures. Mais on ne précise jamais le temps minimum. C'est vraiment problématique. Si la question du temps de travail a fait irruption chez les médecins hospitaliers, qui ne sont pourtant pas à une heure de travail près - quel professionnel de santé mégoterait pour quelques minutes, voire quelques heures ? -, c'est parce qu'ils ne se sentent plus suffisamment autonomes. Les praticiens ont besoin d'autonomie pour se sentir bien au sein d'une équipe qui s'est fixé une organisation avec des missions précises.

Le plan d'action pour l'attractivité de l'exercice médical à l'hôpital public, en cours de discussion, comporte un volet temps de travail. Il est insupportable de dénier aux médecins hospitaliers le droit d'être fatigué, de vaquer à leurs occupations sociales ou familiales, d'être malades ou même de faire une pause.

Lors d'une CME, j'ai exprimé mon regret de n'avoir pas pu assister un soir à une rencontre entre enseignants et parents d'élèves au lycée de ma fille pour des raisons professionnelles. Et le président de la CME m'a répondu violemment que l'on ne choisit pas l'hôpital public pour aller aux réunions entre enseignants et parents d'élèves ! Ce qui m'a le plus peiné, c'est qu'aucun de mes collègues ne prenne ma défense.

Aujourd'hui, le problème de l'hôpital est la perte du lien social. Il faut le restaurer, avec des dispositions législatives et réglementaires, mais aussi avec des dispositifs très concrets.

Docteur Jacques Trévidic. - Lorsque je m'étais exprimé sur la tarification à l'activité, ou T2A, devant votre commission voilà plusieurs années, j'avais déjà pointé un certain nombre de faiblesses. Depuis, deux tentatives de réforme, dont celle du comité de réforme de la tarification hospitalière, le Coreta, ont accouché d'une souris.

La T2A présente des défauts conceptuels. Si elle est certainement positive pour un certain nombre d'activités, elle a beaucoup moins de sens pour les maladies chroniques. Il aurait une réforme profonde, ce qui n'a pas été le cas, en raison de freins technocratiques, d'un manque de volonté politique et, peut-être, de considérations d'image : il est probablement plus gratifiant pour un manager de percevoir des recettes que de gérer des budgets.

C'est au Parlement qu'il appartient de voter l'Ondam. Cela relève de choix de société.

Le principal problème sur les rémunérations concerne l'entrée de carrière, qui n'est pas attractive. Les jeunes n'ont pas envie de devenir praticiens hospitaliers. Les résultats du récent plan lancé par Mme la ministre pour l'attractivité des carrières hospitalières ne sont pas nuls, mais ils restent en demi-teinte. Il y a eu des blocages technocratiques. Des mesures qui auraient été simples et visibles, comme la suppression des cinq premiers échelons, n'ont pas été prises.

Le fait que la participation à la permanence des soins soit obligatoire à l'hôpital public et facultative dans le privé crée une différence d'attractivité. Pourquoi la permanence des soins repose-t-elle seulement sur l'hôpital public ?

La loi HPST, a vidé les CME de leur pouvoir décisionnel et supprimé un certain nombre d'espaces de discussion. Depuis cinq ans, il y a eu des dispositions - ainsi, un décret de 2013 a restauré un certain nombre d'avis de la CME - pour revenir sur cette évolution ; mais ce n'est pas allé assez loin.

La CME n'a pas à se prononcer sur les nominations, comme c'était le cas auparavant. Ne confondons pas la CME et le président de la CME. Certes, ce dernier est bien élu, mais par un collège électoral dont la moitié des membres sont nommés par le directeur ; sa légitimité démocratique est donc limitée.

Le rôle du président de CME a évolué. Autrefois, il dirigeait les débats. Aujourd'hui, il a un rôle institutionnel incontestable ; représenter l'institution, avec, dans certains cas, des conflits d'intérêts possibles. Il est inadmissible que les syndicats de praticiens hospitaliers, censés défendre les intérêts matériels et moraux de leurs mandants, n'aient aucune place dans l'hôpital public aujourd'hui.

Sur le temps de travail, il y a une proposition consensuelle des cinq intersyndicales de praticiens : découper la journée de vingt-quatre heures non plus en quatre demi-journées, mais en cinq. Cela permettrait un rééquilibrage et pénaliserait moins le travail de nuit. Mais cette proposition a été refusée. Du coup, des jeunes demandent le décompte horaire, alors que nous aurions pu parvenir à un vrai consensus avec le découpage en cinq demi-journées.

Les cinq intersyndicales de praticiens hospitaliers, ici présentes, ont défendu la création des groupements hospitaliers de territoire, les GHT. Proximité des soins ne signifie pas nécessairement sécurité des soins. L'évolution technologique de la médecine ne permet pas de faire dans un espace réduit ce que l'on peut faire dans un espace plus sûr. Ce message est très difficile à faire passer aux élus et à la population. Mais, s'il y a des déserts médicaux, c'est parce que praticiens craignent de mettre leurs patients en danger ou se sentent eux-mêmes en danger professionnellement.

En France, nous ne savons pas gérer les ressources humaines à l'hôpital public ; nous ne savons pas gérer l'évolution des carrières dans le temps.

Docteur Rémy Couderc. - Ce sera difficile de « réenchanter la carrière médicale » avec la tarification à l'activité...

Il faut que les jeunes aient envie d'entrer dans les carrières médicales à l'hôpital public. Les mots « éthique » et « responsabilité », qui ont été prononcés, me laissent penser que c'est possible : le jeune praticien formé à l'hôpital public a une haute idée de son éthique et de sa responsabilité. Cela suppose une large autonomie : laisser des plages libres pour d'autres activités. Un urgentiste ne doit pas être cantonné aux urgences ; il doit avoir d'autres possibilités pour s'épanouir.

Le terme management pose effectivement problème ; il faudrait trouver un équivalent en français. Je préfère parler de gestion des ressources humaines. Il faut rétablir les occasions, voire les obligations de dialogue dans les directions, pour faire de la prévention en amont. Les conseils de service doivent reprendre l'habitude de se réunir régulièrement. Cela n'empêche pas l'autonomie du praticien.

Certes, la rémunération des praticiens hospitaliers peut être un facteur déterminant pour partir : si la qualité de vie au travail est pire dans le public, autant aller dans le privé pour gagner plus. Mais ce n'est pas l'élément primordial.

La mise en place de la tarification à l'activité a été parallèle à la prééminence du directeur à l'hôpital, dans le cadre de la loi HPST. Mais, avec la crise nationale et mondiale, les hôpitaux se sont beaucoup endettés, ce qui a joué un rôle très important dans la pression mise sur les directeurs.

La mise en place de l'échelle nationale des coûts a été faite sur un panel de cinquante hôpitaux dits « représentatifs ». Je pense que c'est imprécis. Certaines activités, comme la pédiatrie, ont été sous-évaluées. Les recettes sont insuffisantes et cela fait entrer dans une spirale infernale, avec l'injonction contradictoire à faire plus avec moins de moyens.

L'Ondam est réglé par les prix volume. L'augmentation de l'activité a pour effet pervers une baisse des prix.

La CME doit élargir son champ de prérogatives, notamment sur la politique médicale et la sécurité des soins. Les nominations de personnels médicaux devraient être conjointes entre le président de la CME et le directeur de l'hôpital.

Aujourd'hui, les activités de prévention représentent 3 % des dépenses courantes de santé, ce qui est très faible. Il faudrait les favoriser et les valoriser. De même, le progrès médical devrait être valorisé en dehors de la tarification à l'activité.

Le professeur Gérard Réach a animé une commission sur l'hospitalité à l'hôpital. L'hospitalité doit s'appliquer au patient que l'établissement accueille, mais également entre les professionnels de santé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion