Intervention de Michel Forissier

Réunion du 9 février 2017 à 15h00
Établissement public chargé de la formation professionnelle des adultes — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel ForissierMichel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui devrait clore une longue période d’incertitude sur l’avenir de l’AFPA, principal opérateur de la formation professionnelle en France, qui accompagne les mutations de l’économie de notre pays depuis la Libération.

Le présent projet de loi ratifie l’ordonnance du 10 novembre 2016 qui a transformé l’AFPA, au 1er janvier dernier, en établissement public à caractère industriel et commercial. Cette ordonnance est conforme à l’habilitation que le législateur a conférée au Gouvernement à ce sujet dans la loi Rebsamen du 17 août 2015. Pour autant, cette nouvelle agence reste confrontée aux mêmes difficultés que celles qui avaient conduit l’association au bord de la faillite en 2012. Il est donc urgent de saisir l’opportunité offerte par ce changement statutaire pour réinventer un organisme de formation compétitif sans renier l’utilité sociale qui a fait sa force.

Au cours de mes travaux, j’ai eu l’occasion de rencontrer l’ensemble des acteurs clés de ce dossier. J’en ai acquis une conviction unanimement partagée : l’inaction aurait à court terme condamné l’AFPA. Au vu du déclin de son activité et de sa situation financière très dégradée, elle n’aurait bientôt plus été en mesure de faire face à ses obligations.

Depuis plus de dix ans, l’AFPA est en effet victime d’un double phénomène qui a bouleversé son modèle économique : d’une part, l’entrée dès 2008 des activités de formation dans un champ purement concurrentiel, d’autre part, la décentralisation aux régions des subventions de l’État qui finançaient des formations en faveur des demandeurs d’emploi. Malgré le délai dont elle bénéficiait, l’association n’a pas été en mesure de s’adapter à ce nouvel environnement juridique.

En conséquence, l’AFPA a connu un déclin marqué de son activité : entre 2007 et 2015, son chiffre d’affaires est passé d’un milliard d’euros à 710 millions d’euros, tandis que le nombre de stagiaires a chuté de 25 %. Cette baisse est encore plus prononcée s’agissant des seuls demandeurs d’emploi : elle est de l’ordre de 35 % sur cette même période. Quant à la part de marché de l’AFPA dans les commandes de formation des conseils régionaux, elle est passée de 42 % en 2010 à 25 % l’an dernier.

Le plan de refondation engagé en 2012 a eu des résultats mitigés et n’a pas permis de redresser la situation. S’il témoigne d’une réelle prise de conscience des difficultés structurelles de l’association, il ne les a pas résolues. Ainsi, les pertes de l’AFPA ont continué à se creuser, passant de 91 millions d’euros en 2012 à 152 millions d’euros en 2015.

Le caractère hybride de l’association, à la fois opérateur du service public et organisme de formation évoluant dans un marché concurrentiel, la desservait et son organisation était source d’inefficience. La transformation de l’AFPA en EPIC s’est alors imposée comme la seule solution envisageable compte tenu des contraintes juridiques pesant sur elle.

Respecter la réglementation communautaire en matière d’aides d’État et de services d’intérêt économique général, ou SIEG, tout en assurant le transfert à l’Agence des biens jusqu’à présent mis à la disposition de l’AFPA par l’État : tel était l’objectif de l’ordonnance du 10 novembre 2016. Force est de constater qu’elle offre de solides garanties en la matière. La ligne de crête était très étroite, mais le Gouvernement, dans le cadre d’un dialogue approfondi avec la Commission européenne et le Conseil d’État, a su trouver un équilibre satisfaisant entre des attentes parfois divergentes.

Les tutelles et la nouvelle direction de l’Agence devront rapidement définir des critères pour calculer les compensations qui lui sont attribuées pour l’exercice de ses missions de service public. Ces dernières ont d’ailleurs été étoffées, dans le prolongement de celles qui sont historiquement attribuées à l’AFPA. Il est essentiel que l’État ne se désengage pas financièrement de son nouvel opérateur : le risque serait qu’il ne puisse plus alors assumer l’intégralité de ses missions. À l’inverse, un niveau de subvention trop élevé pourrait être qualifié de surcompensation par la Commission européenne et contraindre l’Agence à rembourser le surplus en raison des distorsions de concurrence que cette dotation entraînerait.

C’est en effet au nom du droit européen de la concurrence que l’ordonnance met en place une organisation originale de l’activité de l’EPIC, avec l’obligation de créer des filiales consacrées à la formation des demandeurs d’emploi et des salariés. Il a en effet été estimé que seule la filialisation permettrait d’éviter que ces activités concurrentielles bénéficient en partie de la subvention pour charge de service public que l’État versera à l’EPIC.

Plusieurs conditions doivent maintenant être remplies pour assurer la pérennité de ces filiales. Un dialogue social fructueux et serein doit être mené à son terme pour rassurer les salariés sur cette nouvelle architecture.

Un choix semble avoir d’ores et déjà été fait : seuls les personnels commerciaux seront employés par les filiales, tandis que les formateurs resteront employés par l’EPIC. Il sera donc essentiel de définir une méthodologie de calcul incontestable des coûts que l’Agence devra facturer aux filiales pour la mise à disposition des formateurs et des locaux, faute de quoi la concurrence sur le marché de la formation sera faussée au détriment des organismes privés.

Il faudra également que les filiales définissent une nouvelle offre pédagogique, adaptée aux demandes des prescripteurs, qu’il s’agisse de la région, de Pôle emploi ou des entreprises, et aux besoins des stagiaires. Elles devront résolument privilégier les outils numériques, accentuer la modularisation de leurs formations sans négliger les attentes des TPE-PME, trop rarement prises en compte aujourd’hui. Elles devront enfin adopter un pilotage de leur activité par le résultat et non par le chiffre d’affaires, comme c’était encore trop souvent le cas à l’AFPA, ce qui a pu parfois conduire dans le passé à des pratiques commerciales très contestables.

Enfin, l’ordonnance règle l’imbroglio juridique relatif au patrimoine immobilier utilisé par l’AFPA qui empêchait l’assainissement de sa situation financière et obérait son développement depuis 2009, car la très grande majorité des sites de l’AFPA étaient mis à sa disposition par l’État, dans des conditions financières très avantageuses.

Le Gouvernement a tout d’abord cherché, dans la loi du 24 novembre 2009, à lui transférer à titre gratuit et sans contrepartie l’intégralité de ce patrimoine. Cette disposition a été censurée l’année suivante par le Conseil constitutionnel en raison de l’absence de garanties quant au maintien de l’affectation des biens concernés à des missions de service public. La loi du 5 mars 2014 permettait quant à elle aux régions volontaires de devenir propriétaires des sites mis à la disposition de l’AFPA, sans que cette mesure rencontre néanmoins un franc succès, une seule région ayant fait ce choix.

Dès lors, parmi les nombreux scénarios alternatifs élaborés, la création d’un EPIC est apparue comme la solution la plus adaptée pour tenir compte des contraintes constitutionnelles mises en lumière en 2010. De fait, le transfert des biens de l’État à une personne publique n’est pas soumis aux mêmes contraintes juridiques qu’un tel transfert à une personne privée.

Ce patrimoine a toutefois été trop longtemps délaissé et mal entretenu, le propriétaire et l’occupant se renvoyant les responsabilités à ce sujet. Il convient maintenant d’évaluer précisément les besoins de rénovation et de mise aux normes et de planifier les travaux en fonction de l’activité économique de l’EPIC, ce qui n’entraînera pas des dépenses d’un montant aussi élevé que celui qui a été parfois évoqué et qui a été établi selon une méthodologie contestable. Surtout, il est maintenant impératif d’opérer la rationalisation des implantations immobilières de l’Agence, afin que celles-ci correspondent aux besoins de formation dans les territoires.

L’ordonnance met également en place un mécanisme qui m’est apparu très intéressant : la mutualisation des plateaux techniques de l’EPIC au profit des acteurs du service public régional de la formation professionnelle. C’est un premier pas dans une démarche qui devra être poursuivie à l’avenir, afin de mettre un terme à la sous-utilisation chronique des outils de formation financés par l’argent public.

En revanche, l’ordonnance ne règle ni la question de la dette sociale et fiscale de l’AFPA ni celle du contentieux qui l’opposait à France Domaine. Les 80 millions d’euros dus aux URSSAF et au fisc, ainsi que les 140 millions d’euros réclamés au titre de l’occupation sans titre du domaine public depuis 2010 hypothèquent ses capacités de développement et seront autant d’épées de Damoclès à l’avenir.

En conclusion, comme je l’ai souligné devant la commission, le changement de statut de l’AFPA constitue une condition nécessaire, mais non suffisante pour assurer la pérennité de l’activité de formation de l’Agence.

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