Intervention de Philippe Bas

Réunion du 8 février 2017 à 14h30
Assainissement cadastral et résorption du désordre de propriété — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapporteur supplétif que je suis est très heureux de pouvoir ajouter sa pierre à l’édifice de la consolidation de la propriété foncière corse.

La Corse se trouve dans une situation foncière tout à fait spécifique. L’absence de titres de propriété concerne plus de 30 % du total des parcelles de l’île. Aujourd’hui, 33 % des parcelles cadastrées sont enregistrées comme appartenant à des propriétaires décédés. Cette situation particulièrement problématique est le résultat de l’application pendant plus de deux siècles d’un régime d’imposition des successions sur les biens immobiliers dérogatoire au droit commun.

Les fameux « arrêtés Miot » de juin 1801, qui ont écarté toute sanction pour défaut de déclaration de succession, portent une grande responsabilité dans la situation inextricable dans laquelle se trouve la Corse. De nombreuses successions anciennes n’ont jamais été réglées par la transmission de la propriété des biens et des droits qui s’y attachent. De ce fait, les propriétaires ne peuvent jouir pleinement de leurs droits, que ce soit par donation, vente ou établissement de baux, et les pouvoirs publics ne peuvent recouvrer l’impôt de manière satisfaisante, car, dans de nombreux cas, dont j’ai indiqué la proportion, les propriétaires ne sont pas correctement identifiés.

La proposition de loi adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale vise à remédier à cette situation. Je tiens à rendre hommage aux députés qui l’ont signée, au premier rang desquels M. Camille de Rocca Serra. Elle a été élaborée dans des conditions qu’il faut également saluer, avec une collaboration très efficace des notaires de Corse.

Bien que les auteurs du texte aient concentré leur réflexion sur la situation corse, le dispositif civil qui a été proposé à l’Assemblée nationale était applicable à l’ensemble du territoire. La commission des lois du Sénat, comme je m’en expliquerai dans un instant, a souhaité revenir sur cette extension.

L’article 1er fixe le régime des actes de notoriété acquisitive notariés, qui constatent une possession répondant aux conditions de la prescription acquisitive et permettent ainsi l’identification des propriétaires d’un bien.

L’article 2 permet un assouplissement des règles de majorité pour l’aliénation ou l’administration des biens indivis.

Les articles 3 et 6 comportent des dispositions fiscales. En effet, si nous voulons inciter les propriétaires à utiliser les nouvelles procédures, il ne faudrait pas qu’une sorte de matraquage fiscal ne les en dissuade au moment où ces procédures seront mises en place.

Monsieur le ministre, vous avez cru bon de rappeler qu’un amendement au projet de loi visant à ratifier les ordonnances relatives à la Corse avait été déclaré irrecevable par la commission des lois. Or, si elle l’a fait, c’est précisément pour lui éviter le sort qu’a connu l’amendement au projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, que vous avez cité, à savoir une censure constitutionnelle, qui aurait certainement fait prendre à la Corse deux ans de retard pour régler ce problème de mise en ordre de la propriété foncière.

La commission des lois a donc fait son devoir en toute conscience et dans l’intérêt de la Corse. Cela ne retire rien à l’intérêt de l’amendement qui avait été présenté par nos excellents collègues, MM. Mézard et Castelli, dont la rédaction a d’ailleurs inspiré les travaux de la commission sur la proposition de loi dont nous débattons. Leur travail, dont je tiens à les remercier, n’a pas été perdu.

Lors de l’examen de cette proposition de loi, la commission des lois a souhaité, sur proposition de M. André Reichardt, que je vous prie de bien vouloir excuser, limiter à la Corse, comme je l’ai déjà dit, les dispositions relatives aux nouveaux actes de notoriété acquisitive notariés. Nous ne voulons pas créer de problème là où il n’y en a pas.

Le problème qui se pose en Corse peut aussi se poser outre-mer. Nous avons d’ailleurs introduit une disposition pour le traiter dans un projet de loi, dont j’oublie toujours le nom, portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer ; pour des raisons qui m’échappent, il porte un titre plus ronflant… Dans cette disposition, qui a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire, nous réglons le problème de la propriété foncière outre-mer de la même façon que nous allons le faire à l’instant pour la Corse dans un souci de cohérence, cohérence dont la commission des lois est la gardienne.

Par ailleurs, compte tenu du nombre important d’indivisions de fait, résultant des successions anciennes non réglées et comportant une multitude d’indivisaires, la commission a adopté les règles de gestion des biens indivis assouplies proposées par l’Assemblée nationale, précisant seulement leur rédaction. Je ne reviens pas sur les règles de majorité pour les décisions que les indivisaires seront amenés à prendre.

Concernant le volet fiscal du texte, nos travaux ont été menés en collaboration étroite avec la commission des finances, qui a envisagé de modifier le texte adopté par l’Assemblée nationale pour conforter sa conformité à la Constitution. Nous y avons toutefois renoncé, car, malgré le bien-fondé de cet effort méritoire, la rédaction laissait subsister un risque constitutionnel. Nous avons estimé qu’à tout prendre mieux valait maintenir le texte de l’Assemblée nationale, bien que ce dernier ne soit pas exempt du même risque. En espérant que ces questions puissent être tranchées ultérieurement.

Je serai incomplet si je ne mentionnais pas, comme vous-même l’avez fait, monsieur le ministre, l’excellente initiative de notre rapporteur, M. André Reichardt, qui a souhaité compléter la proposition de loi par un article 7 visant à permettre l’utilisation de la prescription acquisitive dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Jusqu’à présent – je l’ignorais –, cette faculté n’était pas ouverte aux propriétaires de ces départements.

Mes chers collègues, je vous propose d’adopter ces dispositions, qui font l’unanimité en Corse et qui permettront une mise en ordre du foncier dans l’île. Elles comportent des incitations fiscales temporaires qui doivent permettre qu’aucun propriétaire corse ne soit dissuadé d’entrer dans le nouveau régime que cette proposition de loi vise à instaurer.

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