Je remercie enfin l’Assemblée nationale, qui a adopté la proposition de loi, à l’unanimité, le 8 décembre dernier.
J’en viens au fond du problème.
Il existe dans notre pays un désordre de la propriété lié à l’absence de titres opposables et à l’existence de bien non délimités dont on ne connaît pas la contenance exacte des droits, qu’il s’agisse des droits de chacun des propriétaires présumés ou de l’existence de comptes cadastraux appartenant à des personnes décédées. Cette situation est marginale à l’échelle nationale, mais elle touche particulièrement certaines régions.
La plus touchée d’entre elles est la Corse, comme M. le ministre l’a rappelé. De fait, 63 800 biens non délimités y ont été dénombrés, soit un taux de 6, 4 %, très supérieur à celui de 0, 4 % constaté au niveau national. Songez, mes chers collègues, que la surface couverte par ces biens représente 15, 7 % de la surface cadastrée de l’île !
La Corse n’est toutefois pas le seul territoire concerné. D’autres départements présentent en effet un taux de biens non délimités de 0, 7 %, légèrement supérieur, donc, à la moyenne nationale : les Ardennes, l’Ariège, l’Aude, la Creuse, la Lozère, le Pas-de-Calais, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte. Ces territoires ont également besoin de mesures législatives encourageant une normalisation de la situation.
Reste que la Corse est le territoire le plus marqué par cette situation de désordre. Les fameux arrêtés Miot, source d’un droit spécifique historique fondé par cet administrateur des départements du Liamone et du Golo, ne reposaient pas initialement sur le principe de l’exonération, mais sur celui d’absence de sanction en cas de non-déclaration d’une succession, compte tenu du double constat d’une indivision généralisée et d’une extrême pauvreté. La suppression, en 1949, de la contribution foncière sur laquelle reposait la liquidation des successions a entraîné une exonération de fait.
Ce désordre foncier est source d’insécurité juridique et provoque des effets économiques néfastes. D’abord, l’absence de titres de propriété empêche les citoyens de recourir aux dispositions de droit civil relatives à la propriété immobilière. Ensuite, la détention de biens par de multiples héritiers censés détenir des droits indivis concurrents dilue les responsabilités et rend plus difficile l’entretien des biens concernés. Autant d’éléments qui participent au délabrement du patrimoine immobilier et alimentent des contentieux abondants dans les familles.
Cette situation est lourde de conséquences également pour les autorités publiques, État et collectivités territoriales. En effet, le recouvrement de l’impôt, foncier, d’habitation et surtout de transmission, relève souvent du parcours du combattant. De plus, les mairies sont en difficulté pour faire appliquer la réglementation environnementale et pour recourir à la législation des biens vacants et sans maître, ou à celle des immeubles menaçant ruine.
Loin d’être un privilège, ce désordre est donc un frein qui nuit à la Corse.
Or toutes les initiatives prises antérieurement par le législateur s’étaient, à tort, concentrées sur l’aspect fiscal, alors que le problème est avant tout civil. Fiscaliser du désordre ne fera qu’accroître la confusion… De là cette proposition de loi, qui combine dispositions civiles et fiscales : civiles pour parvenir à assainir la situation cadastrale de la Corse, fiscales pour inciter à organiser le patrimoine. Le but est d’engager sur la décennie à venir un réel processus dynamique de normalisation de la situation foncière dans tous les territoires concernés.
Il est important de rappeler que ce texte s’inscrit dans la continuité de la volonté exprimée par le législateur à plusieurs reprises sur ce sujet. Ainsi, en 2002, celui-ci a établi des périodes transitoires, le temps que la situation foncière soit normalisée civilement. Le groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, créé par la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, n’a été opérationnel qu’à la fin de 2010 ; il perdurera, heureusement, jusqu’en 2027. Il est logique que, jusqu’à cette date, tous les moyens soient engagés pour venir à bout de la situation que j’ai décrite, après quoi la Corse pourrait éventuellement assumer cette fiscalité, qui, d’ailleurs, peut évoluer au niveau national – on le suppose pour les donations –, ou même au niveau régional, compte tenu des perspectives de transfert de fiscalité.
S’inscrivant dans la continuité des lois de 2002 et 2006, la proposition de loi s’inscrit aussi dans celle de la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, qui a prévu, à la suite d’une initiative de Camille de Rocca Serra, la prorogation de l’exonération à 100 % des droits de succession sur les biens sis en Corse en raison du non-commencement des activités du GIRTEC. La continuité est identique avec la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2013 sanctionnant la prorogation à 100 %, mais sans remettre en cause l’exonération à 50 %.
Il s’agit donc d’un texte global, comportant des dispositions d’ordre général et d’autres spécifiques à la Corse, les unes pérennes, les autres transitoires. En somme, une vraie réponse au désordre de la propriété en cinq articles.
L’article 1er sécurise la procédure de titrement, qui, à ce jour, est une simple pratique notariale. Le décret prévu dans cet article permettra que la procédure soit explicitée. Il s’agit également de réduire le délai de l’action en revendication sur les titres constitués par cette pratique, en le faisant passer de trente à cinq ans. Il est important de mesurer que, actuellement, il faut faire valoir trente années de possession pour pouvoir engager une prescription acquisitive et que, une fois l’acte établi, celui-ci est attaquable pour une nouvelle durée de trente ans. Soit une double peine de soixante ans…
L’article 2 procède à l’abaissement des règles de majorité dans la gestion de l’indivision, afin que soient favorisés les règlements successoraux une fois les actes créés. Cette opportunité est réservée aux cas où l’indivision est constatée simultanément à la création d’un titre, pour que le partage puisse se faire à la majorité qualifiée des deux tiers.