Malgré tout le bonheur que j'ai d'être avec vous - et pas seulement en tant qu'élu de Basse-Normandie, monsieur le président Bas - je vous propose d'acter notre désaccord après vous avoir rappelé la genèse de nos travaux.
M. Georges Fenech et moi-même avions naguère déposé une première proposition de loi sur la révision des condamnations pénales, devenue une grande loi de la République, votée par les deux assemblées en dépassant toutes considérations partisanes, qui reposait sur un principe essentiel : « mieux vaut cent coupables en liberté qu'un seul innocent en prison ».
Après ce texte important, nous avons décidé d'unir nos forces pour modifier les règles en matière de prescription pénale. Beaucoup s'y attelèrent, parmi lesquels l'éminent sénateur Jean-Jacques Hyest, aujourd'hui membre du Conseil constitutionnel, l'éminent député Pierre Mazeaud, puis certains autres, en vain : toutes ces tentatives échouèrent. La situation, invraisemblable, pouvait être qualifiée de chaos démocratique : depuis 1935, la chambre criminelle de la Cour de cassation n'appliquait plus les dispositions du code de procédure pénale relatives au point de départ du délai de prescription. Par ailleurs, la durée de ce délai fut augmentée petit à petit par de nouvelles lois. En conséquence, on pouvait se demander si la notion de prescription avait encore un sens.
Après plusieurs mois de travaux, dans le cadre d'une mission d'information créée par la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Georges Fenech et moi-même avons fait une double proposition : d'une part, que la prescription ne soit jamais un moyen général d'impunité, car c'est un moyen d'exception ; d'autre part, par égard pour les victimes, que les durées de prescription en matière criminelle et délictuelle soient doublées. Nous avons fait converger la durée de prescription de l'action publique et des peines afin d'assurer une certaine sécurité juridique. Nous avons donné une définition des infractions dissimulées et occultes, en nous appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation.
Nous avons fait le choix, contre la conception napoléonienne héritée de 1808, d'inscrire la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation dans la loi. Puis nous nous sommes rapprochés, avec M. Buffet, juriste comme moi, sous l'amicale présidence du garde des Sceaux, pour harmoniser nos positions. Nous avons trouvé une solution globale. Qu'elle que soit la date de révélation des faits, nous avons décidé que le point de départ du délai de prescription de l'action publique d'une infraction occulte ou dissimulée ne pourrait être reporté au-delà de douze ans en matière délictuelle et trente ans en matière criminelle à compter du jour de la commission de l'infraction. Nous avons écouté la voix du Sénat - celle de la sagesse - sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre. Le Conseil d'État nous a entendus longuement, M. Georges Fenech et moi-même - nous avons été les premiers auteurs d'une proposition de loi renvoyée à la commission des lois à l'être, sous cette législature, et il nous a donné raison, dans un avis extrêmement positif, en reconnaissant que nos propositions respectaient la sécurité juridique à laquelle il veille particulièrement.
Reste la prescription des infractions de presse, dont le numérique a bouleversé l'environnement. La loi du 29 juillet 1881 prévoit un délai de prescription de trois mois à partir de la publication du contenu. Or la presse en ligne, contrairement aux journaux, ne fait plus disparaître le support de base. Sensibles à l'argument du rapporteur Buffet, nous avons, avec l'accord du garde des Sceaux, accepté de distinguer une prescription de droit commun de trois mois lorsque le délit est commis uniquement par voie de presse écrite ou à la fois par cette voie et en ligne, d'une prescription d'un an pour les infractions commises en ligne uniquement. J'ai finalement été mis en minorité, sous la pression de certains lobbies, plus ou moins spécialisés dans le droit de la presse, bien qu'ayant défendu autant que je le pouvais l'accord que nous avions passé, appelant même à la rébellion le garde des Sceaux, lequel m'a fait savoir qu'il était membre d'un collectif gouvernemental et n'était pas un « trublion libre »... Le Gouvernement ne le veut pas. J'en prends acte. Pouvait-on trouver un compromis ? J'en doute.
Le droit de la presse, très compliqué, droit de la liberté par excellence, est à manier avec la plus grande précaution. Mais il faut se demander : est-il normal, en 2017, de continuer comme en 1881 de prévoir des sanctions pénales pour une injure ou une diffamation, quelle qu'elle soit ? Le droit civil n'est-il pas mieux indiqué pour connaître de ces comportements ? C'est aussi la position de mon ami Georges Fenech. Nos successeurs devront répondre à ces questions, avec beaucoup d'attention, en tenant compte des bouleversements apportés par l'édition en ligne, celle-ci ne faisant plus disparaître ce qui a été publié, qui ne cesse de demeurer à l'écran. Puissent-ils le faire avec la plus grande prudence. Voilà pourquoi il nous faut constater que cette commission mixte paritaire ne pourra être conclusive.