Intervention de Pierre-Yves Collombat

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 9 février 2017 : 1ère réunion
Avenir et risques du système financier et bancaire : présentation du rapport d'information

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, merci de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer en toute liberté, ce qui est le propre de cette délégation. Je vous avais présenté une première version de ce rapport en décembre, j'en ai remanié la conclusion ; la thèse centrale ne change pas mais je la précise, en tenant compte des remarques que vous m'aviez faites, en particulier sur le manque de propositions.

Nous vivons une situation totalement paradoxale : après dix ans de crise, la probabilité « technique » de réédition d'un krach du système financier d'ampleur équivalente à celui de 2007-2008 n'a pas diminué, bien au contraire. Les quelques dispositions destinées à rendre le système financier moins instable qui ont pu lui être imposées sous le coup de l'émotion, non seulement ont laissé intact l'essentiel mais ont été largement compensées par les effets négatifs du traitement utilisé contre la crise. Tous les ingrédients d'un nouveau krach sont donc réunis.

Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce n'est pas le scénario que je privilégierais. Plus exactement, si un nouveau krach devait se produire, il serait moins le déclencheur d'une nouvelle crise économique, comme ce fut le cas en 2007-2008, que la conséquence d'événements politiques engendrés par la crise économique actuelle. Le vrai danger, en effet, c'est l'incapacité structurelle du système à se réformer et le désaveu populaire qui en résulte ; lequel s'exprime dans toute l'Europe et maintenant aux États-Unis au travers de ce que j'ai appelé des « émeutes électorales », qui, à chaque fois, surprennent ceux qui ont l'habitude d'être surpris.

Deux raisons m'ont poussé à revoir ma conclusion.

En premier lieu, j'ai voulu tenir compte des remarques qui ont suivi ma présentation de décembre. Il m'a alors été reproché, amicalement, de ne pas faire de propositions de réformes ou d'actions susceptibles d'éviter que le risque de krach, toujours potentiel, ne se réalise, ni de présenter des mesures susceptibles d'amorcer une sortie de la crise économique. Crise économique qui s'éternise et qui, en s'éternisant, nourrit une crise politique aux conséquences déstabilisatrices totalement incontrôlables.

Je me suis focalisé sur deux points qui me paraissent essentiels : la réforme ou la sortie de la zone euro et la transformation du système de financement de l'économie. Je le souligne dans le rapport, ledit système est largement parasitaire au sens où il n'est que très partiellement au service du financement de l'économie réelle. C'est d'ailleurs l'un des leviers sur lequel il serait le plus facile d'agir dans le cadre d'une éventuelle réforme. Cela dit, loin de moi l'idée de renoncer à mon scepticisme quant à la lucidité des élites politiques européennes et françaises devant le danger qui menace et quant à leur incapacité à remettre en cause les remèdes utilisés jusque-là contre la crise. Cette position n'a rien de contradictoire. Ce n'est pas parce que la raison nous dit ce qu'il faudrait faire, que c'est ce qui va se passer ! Je pense avoir suffisamment insisté sur les enjeux idéologiques, de pouvoirs et d'intérêts derrière la grande restauration libérale de cette petite cinquantaine d'années, pour que l'on comprenne mon scepticisme.

Pour la plupart des responsables, la crise serait derrière nous ; on parle à n'en plus finir de savoir si la croissance sera de 1,1 % ou 1,2 %, comme si cela avait de l'importance, sans voir le lien entre les récents résultats électoraux en Europe ou aux États-Unis et le purgatoire économique dans lequel la crise nous a plongés. Un mot suffit à tout expliquer : « populisme ». En d'autres termes : « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Le problème, c'est que plus on attendra en se payant de mots, plus la situation deviendra difficile à gérer.

En second lieu, ce qui m'a également amené à revoir ma conclusion, c'est que, depuis décembre dernier, on a pu apprécier les premiers effets de l'élection de Donald Trump à la présidence américaine. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ses premières décisions ont surpris ! Qui, en effet, aurait prévu que ce serait le président du principal pays bénéficiaire du système en place, entouré d'une garde rapprochée issue de Goldman Sachs, qui serait le premier à remettre le système en cause ? Plus exactement, à en contester un certain nombre d'effets tout en laissant la bride sur le cou à Wall Street ! L'un des constats que j'ai pu faire et sur lequel j'ai particulièrement insisté, c'est qu'il y a, y compris en Grande-Bretagne, un accroissement des inégalités tant sociales que territoriales. Tous les territoires ne bénéficient pas ou ne pâtissent pas, au même titre, de ce nouveau système. D'où les tensions perceptibles et à venir. Pas sûr que Donald Trump réalise qu'il rouvre là une sorte de guerre civile à l'issue plus qu'incertaine...

Notre époque prend de plus en plus des airs de déjà-vu, autant dire d'avant-guerre. Et il n'est jamais bon de laisser trop longtemps l'Histoire bégayer.

Mon but premier avec ce rapport - dont les analyses n'engagent que moi -, outre d'essayer de comprendre comment on en est arrivé là, est de montrer qu'il y a urgence à réagir. Et je ne suis pas le seul à faire ce diagnostic. Je citerai Jean-Michel Naulot, qui a été banquier, que nous avons auditionné et qui, dans son dernier livre, Éviter l'effondrement, écrit ceci : « Une génération de responsables politiques nous a conduits à une situation véritablement explosive à force de déréglementation financière et de marche forcée vers le fédéralisme. Plus les dirigeants maintiendront ce cap, plus ils feront monter les populismes. Quelques mesures radicales seraient pourtant de nature à corriger l'hypertrophie de la finance. En Europe, une place plus grande pourrait être faite à la souveraineté nationale. La régulation financière et le droit souverain des peuples à choisir une politique sont les seules voies susceptibles d'éviter un véritable effondrement et de revivifier la démocratie. Mais une course contre la montre est engagée. » Dans Libération du 6 février dernier, le même Jean-Michel Naulot estime que Donald Trump « est une de ces petites aiguilles qui pourraient crever la bulle financière ».

Là est le principal enseignement de ce travail, il est politique, mais je ne crois pas que les responsables veuillent voir cet aspect de la réalité. Merci encore de m'avoir donné la possibilité d'en parler. Ce ne sont pas les sujets de débat qui nous manquent !

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