Mes chers collègues, nous allons entendre Pierre-Yves Collombat nous présenter le rapport sur l'avenir et les risques du système financier et bancaire, un sujet ô combien important sur lequel il n'a pas ménagé ses efforts ; je le remercie vivement pour l'ampleur de son investissement. Ce rapport fera date ; il est polémique, juste ce qu'il faut. J'espère qu'il fera réagir, qu'il provoquera le débat.
Monsieur le président, mes chers collègues, merci de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer en toute liberté, ce qui est le propre de cette délégation. Je vous avais présenté une première version de ce rapport en décembre, j'en ai remanié la conclusion ; la thèse centrale ne change pas mais je la précise, en tenant compte des remarques que vous m'aviez faites, en particulier sur le manque de propositions.
Nous vivons une situation totalement paradoxale : après dix ans de crise, la probabilité « technique » de réédition d'un krach du système financier d'ampleur équivalente à celui de 2007-2008 n'a pas diminué, bien au contraire. Les quelques dispositions destinées à rendre le système financier moins instable qui ont pu lui être imposées sous le coup de l'émotion, non seulement ont laissé intact l'essentiel mais ont été largement compensées par les effets négatifs du traitement utilisé contre la crise. Tous les ingrédients d'un nouveau krach sont donc réunis.
Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce n'est pas le scénario que je privilégierais. Plus exactement, si un nouveau krach devait se produire, il serait moins le déclencheur d'une nouvelle crise économique, comme ce fut le cas en 2007-2008, que la conséquence d'événements politiques engendrés par la crise économique actuelle. Le vrai danger, en effet, c'est l'incapacité structurelle du système à se réformer et le désaveu populaire qui en résulte ; lequel s'exprime dans toute l'Europe et maintenant aux États-Unis au travers de ce que j'ai appelé des « émeutes électorales », qui, à chaque fois, surprennent ceux qui ont l'habitude d'être surpris.
Deux raisons m'ont poussé à revoir ma conclusion.
En premier lieu, j'ai voulu tenir compte des remarques qui ont suivi ma présentation de décembre. Il m'a alors été reproché, amicalement, de ne pas faire de propositions de réformes ou d'actions susceptibles d'éviter que le risque de krach, toujours potentiel, ne se réalise, ni de présenter des mesures susceptibles d'amorcer une sortie de la crise économique. Crise économique qui s'éternise et qui, en s'éternisant, nourrit une crise politique aux conséquences déstabilisatrices totalement incontrôlables.
Je me suis focalisé sur deux points qui me paraissent essentiels : la réforme ou la sortie de la zone euro et la transformation du système de financement de l'économie. Je le souligne dans le rapport, ledit système est largement parasitaire au sens où il n'est que très partiellement au service du financement de l'économie réelle. C'est d'ailleurs l'un des leviers sur lequel il serait le plus facile d'agir dans le cadre d'une éventuelle réforme. Cela dit, loin de moi l'idée de renoncer à mon scepticisme quant à la lucidité des élites politiques européennes et françaises devant le danger qui menace et quant à leur incapacité à remettre en cause les remèdes utilisés jusque-là contre la crise. Cette position n'a rien de contradictoire. Ce n'est pas parce que la raison nous dit ce qu'il faudrait faire, que c'est ce qui va se passer ! Je pense avoir suffisamment insisté sur les enjeux idéologiques, de pouvoirs et d'intérêts derrière la grande restauration libérale de cette petite cinquantaine d'années, pour que l'on comprenne mon scepticisme.
Pour la plupart des responsables, la crise serait derrière nous ; on parle à n'en plus finir de savoir si la croissance sera de 1,1 % ou 1,2 %, comme si cela avait de l'importance, sans voir le lien entre les récents résultats électoraux en Europe ou aux États-Unis et le purgatoire économique dans lequel la crise nous a plongés. Un mot suffit à tout expliquer : « populisme ». En d'autres termes : « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Le problème, c'est que plus on attendra en se payant de mots, plus la situation deviendra difficile à gérer.
En second lieu, ce qui m'a également amené à revoir ma conclusion, c'est que, depuis décembre dernier, on a pu apprécier les premiers effets de l'élection de Donald Trump à la présidence américaine. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ses premières décisions ont surpris ! Qui, en effet, aurait prévu que ce serait le président du principal pays bénéficiaire du système en place, entouré d'une garde rapprochée issue de Goldman Sachs, qui serait le premier à remettre le système en cause ? Plus exactement, à en contester un certain nombre d'effets tout en laissant la bride sur le cou à Wall Street ! L'un des constats que j'ai pu faire et sur lequel j'ai particulièrement insisté, c'est qu'il y a, y compris en Grande-Bretagne, un accroissement des inégalités tant sociales que territoriales. Tous les territoires ne bénéficient pas ou ne pâtissent pas, au même titre, de ce nouveau système. D'où les tensions perceptibles et à venir. Pas sûr que Donald Trump réalise qu'il rouvre là une sorte de guerre civile à l'issue plus qu'incertaine...
Notre époque prend de plus en plus des airs de déjà-vu, autant dire d'avant-guerre. Et il n'est jamais bon de laisser trop longtemps l'Histoire bégayer.
Mon but premier avec ce rapport - dont les analyses n'engagent que moi -, outre d'essayer de comprendre comment on en est arrivé là, est de montrer qu'il y a urgence à réagir. Et je ne suis pas le seul à faire ce diagnostic. Je citerai Jean-Michel Naulot, qui a été banquier, que nous avons auditionné et qui, dans son dernier livre, Éviter l'effondrement, écrit ceci : « Une génération de responsables politiques nous a conduits à une situation véritablement explosive à force de déréglementation financière et de marche forcée vers le fédéralisme. Plus les dirigeants maintiendront ce cap, plus ils feront monter les populismes. Quelques mesures radicales seraient pourtant de nature à corriger l'hypertrophie de la finance. En Europe, une place plus grande pourrait être faite à la souveraineté nationale. La régulation financière et le droit souverain des peuples à choisir une politique sont les seules voies susceptibles d'éviter un véritable effondrement et de revivifier la démocratie. Mais une course contre la montre est engagée. » Dans Libération du 6 février dernier, le même Jean-Michel Naulot estime que Donald Trump « est une de ces petites aiguilles qui pourraient crever la bulle financière ».
Là est le principal enseignement de ce travail, il est politique, mais je ne crois pas que les responsables veuillent voir cet aspect de la réalité. Merci encore de m'avoir donné la possibilité d'en parler. Ce ne sont pas les sujets de débat qui nous manquent !
Quoique je ne partage pas toutes vos idées - souvent révolutionnaires -, j'avoue que je souscris à vos analyses. J'ai rencontré bien des responsables financiers, nombre d'entre eux m'ont semblé marcher au bord du précipice avec le sentiment que les choses se régleraient d'elles-mêmes et que le système se réformerait de l'intérieur. Je suis sidéré par ce comportement de la classe dirigeante financière - plus que par celui du monde politique, parce que les politiques, pour beaucoup, doivent le plus souvent se cantonner à écouter les experts -, qui leur sert un langage bien trop technique. Aussi, je partage votre conclusion qu'un tel système ne peut pas perdurer. Il risque d'exploser avec des dégâts considérables. Et je partage aussi l'étonnement de voir les financiers aussi sereins au bord du volcan...
N'étant pas spécialiste de la finance, j'apprécie que ce rapport me fasse aborder et comprendre un sujet et des données complexes. À l'évidence, on se voile bien trop la face : si on laisse faire, c'est parce qu'il y a des gagnants, des intérêts en présence, ceux des financiers ; et il y a aussi de plus en plus de perdants. C'est pourquoi il faut rétablir plus d'égalité dans la financiarisation, et admettre que le système financier participe de moins en moins à l'économie réelle, alors que nous vivons dans le réel, pas dans les bulles spéculatives.
Aussi ce rapport est-il un outil à mettre entre toutes les mains. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Nombreux sont ceux qui savent, ils le manifestent même dans la rue, mais ne sont pas entendus. Et ceux qui sont en position de changer le système ne le font pas, préférant regarder ailleurs. Cela fait longtemps, au sein du groupe CRC, que nous déplorons cet état de fait. Nous appelons à changer l'Europe, qui était une belle innovation mais qui s'est grippée en chemin, au point de se retourner contre les Européens eux-mêmes.
Puisse ce rapport faire évoluer les choses et je me réjouis que l'impulsion vienne cette fois d'une autre groupe politique que du CRC car, trop souvent, on ne nous écoute pas, du seul fait que nous sommes communistes !
J'ai assisté avec plaisir à plusieurs auditions préparatoires à l'établissement de ce rapport, tout en y apprenant beaucoup et en voyant nos idées confortées. L'Histoire, parfois, bégaie, vous l'avez dit. La crise d'aujourd'hui montre que nous pouvons être à l'aube d'une confrontation internationale majeure, le repli sur soi économique est susceptible d'entraîner une nouvelle guerre mondiale. Notre rôle de politiques, tout particulièrement au sein de notre délégation à la prospective, c'est de donner l'alerte, j'espère que ce rapport y contribuera. Nous savons qu'un risque majeur est devant nous, il faut en tenir compte ; qu'ensuite les responsables ne veuillent pas l'entendre, c'est leur affaire, nous aurons assumé notre mission.
La crise de 2007 a été réglée non par les organisations financières mais par la puissance publique, par le politique. Dès lors, ne faut-il pas anticiper, pour que les politiques se saisissent des risques actuels ? La période électorale est propice ; avec ce rapport qui lance une véritable alerte, nous aurons joué notre rôle d'empêcheurs de tourner en rond.
Je vais vous raconter une anecdote qui n'est pas anecdotique. En 2008, j'ai assisté à une réunion tout à fait surréaliste où des responsables financiers - ceux de la Banque de France, de la Banque centrale européenne - nous expliquaient qu'il ne fallait rien faire : la crise était là mais nous devions rester les bras croisés parce qu'elle allait se résorber d'elle-même, le marché allait tout régler. Le président de la République n'a pas accepté ce diagnostic ; il a convoqué l'ensemble des présidents des groupes politiques du Parlement pour leur demander s'ils étaient d'accord avec ce laisser-faire : pas un ne l'a été, et tous ont accepté de voter, en quelques jours, hors délais constitutionnels, une loi de régulation importante. C'est parce que le pouvoir politique a repris la main qu'on a enrayé la crise. Mais les financiers, eux, continuaient d'être persuadés que le système allait s'autoréguler, sans aucun égard pour les conséquences sociales qui en résulteraient pour la population.
La thèse défendue par Pierre-Yves Collombat a fait l'objet de millions de pages depuis vingt ans, l'antithèse probablement un peu moins ; mais, en réalité, de quoi parlons-nous ? De quelle crise parlons-nous ? De la crise française, européenne, mondiale ? Un Allemand parlera de crise, parce que le thème est à la mode, mais les Allemands ont quasiment tous du travail ; et si la crise est de n'avoir plus, comme avant, une croissance élevée, il faut le dire.
L'Histoire bégaierait ? Peut-être, mais je ne suis pas sûr que l'après-guerre soit comparable à aujourd'hui ; parce qu'alors il fallait reconstruire, il y avait du travail partout ; et l'équilibre a été retrouvé par le travail.
La crise, c'est d'abord la faillite du politique, elle tient à ce que les politiques ne font pas bien leur travail : la finance n'est qu'un outil. Si la crise de 2007-2008 a été réglée, c'est parce que des dirigeants ont agi, en particulier le président Obama, en muselant ses acteurs financiers, et le président Sarkozy, en tapant du poing sur la table. Je ne pense pas qu'on ait besoin d'une révolution ni d'idées révolutionnaires pour régler le problème. Regardons plutôt ce que font les Espagnols : sans bruit, ils sont parvenus à faire baisser l'inflation, le chômage, et la production repart. Certes, c'est là une thèse libérale, mais je l'assume parfaitement. Quand les problèmes sont compliqués, il faut une solution simple : produire à pas cher, pour distribuer, et faire que les politiques assument leur rôle. En France, on aime à donner des leçons au monde, comme si ça marchait bien chez nous ; on traite Trump d'imbécile mais, quand il demande aux industriels américains de fermer leurs usines à l'étranger pour rapatrier les emplois aux États-Unis, il est tout à fait dans son rôle, il défend l'emploi américain !
L'avenir ne me semble donc pas aussi sombre que vous le dites, à condition d'être courageux et de ne pas laisser croire qu'on rase gratis - et que chacun travaille avec l'envie d'y aller. Je ne suis pas inquiet. Sommes-nous à la veille d'une nouvelle guerre mondiale ? La crise de 1929 était d'abord économique et le nazisme a bien d'autres causes...
Je remercie le rapporteur pour ce document consistant, de référence, qui nous invite à trouver des pistes pour être plus vigilants et plus fermes. La crise est là et, comme le dit Jean-François Mayet, elle marque une faillite du monde politique. Roger Karoutchi vient de nous donner un exemple édifiant, de l'intérieur, où l'on voit combien il faut réagir vite et fort. J'ai trouvé dans le rapport ces deux citations de la Reine d'Angleterre, s'exprimant devant la London School of Economics, temple de la formation des élites économiques outre-Manche, que je me plais à citer : « Comment a-t-on pu laisser s'installer un système financier aussi dangereux ? » « Comment se fait-il que personne n'ait prévu [la crise] ? » Au-delà de la crise politique, le sujet est celui de la formation des décideurs. Devant notre délégation, l'économiste James K. Galbraith posait la question : comment les citoyens peuvent-ils participer à la gouvernance de la cité sans être des experts ? Il y a un lien entre la faillite du politique et la formation des élites. Les formations dispensées dans les grandes universités américaines, comme dans nos écoles, ne sont pas adaptées au monde moderne. Le rapport illustre la nécessité de former autrement les élites.
Les pays européens sont endettés à des degrés très divers. Quelles en seront les conséquences ? Qui est fautif ? Le traité européen n'est pas adapté pour régler cette question. Que faire ?
Cher collègue Collombat, j'ai deux petites questions à vous adresser : si, demain, un banquier vous téléphone, après la parution de votre rapport, pour vous reprocher de « l'allumer », que lui répondrez-vous ? Enfin, si vous étiez président, puisque c'est le titre d'une émission de radio, que feriez-vous ?
Rien ne sert de jouer les Cassandre, mais il faut avoir une vision objective de la situation, qui a changé par rapport à celle de l'entre-deux guerres. La crise de 1929 a été suivie de l'essor de la mondialisation. Les frontières sont devenues des lignes imaginaires pour le monde de la finance. La financiarisation s'est développée : 10 % seulement des échanges boursiers sont liés à l'économie réelle. La spéculation s'est développée. Nous devons en tenir compte, y réfléchir collectivement. En tant que responsables politiques, il nous appartient d'anticiper, pour éviter de nous retrouver contraints de répondre dans l'urgence lorsque la crise arrive. Enfin, il me semble essentiel que, dans le cadre de la formation de nos élites économiques et financières, comme celle de tous nos concitoyens, l'accent soit mis sur le développement de l'esprit critique.
L'Europe est une belle aventure mais il faut la réformer. Comment faire pour que la BCE se mette au service de l'économie réelle ? Que pensez-vous de la proposition des frères Bocquet d'organiser une Cop fiscale, qui réunirait tous les dirigeants pour débattre de la financiarisation et de la fiscalité ? Pareille initiative témoignerait de la volonté des dirigeants politiques d'agir.
Que se passerait-il ensuite ? Croyez-vous que chacun rentrera dans son pays pour rebâtir son système financier ? La mondialisation est un fait. Que les politiques prennent leurs responsabilités car chacun ne pourra pas régler les problèmes dans son coin.
Je n'ai pas dit cela ! Bien au contraire, c'est une question que nous devons traiter ensemble et au niveau mondial. Arrêtons avec les préjugés et les stéréotypes : ce n'est pas parce que je suis une femme communiste que je ne dis que des bêtises !
Si M. Collombat arrive à convaincre tout le monde, je propose qu'il soit le seul candidat à l'élection présidentielle !
Chacun sait que je suis un libéral, classique, de droite. Voilà quelques années, j'ai représenté la France à l'OCDE et participé à deux réunions du G20. J'ai vu comment la technocratie financière y a pris le pouvoir. Le G7, qui est devenu ensuite le G8 puis le G20 par élargissement, avait précisément été créé pour permettre au pouvoir politique de reprendre la main. Les premiers G20 étaient très politiques, ils réunissaient les chefs d'État ou de gouvernement. Or, progressivement, ce sont les ministres des finances qui y ont été délégués. Ainsi, cette instance, qui devait être un instrument de contrôle politique international, est devenue un lieu de rencontre de financiers partageant la même formation, la même vision du monde. Les dirigeants politiques nationaux ont cédé la place à une technostructure.
Il est vrai, comme Jean-François Mayet l'a rappelé, que nos gouvernements peuvent en faire plus pour l'emploi, la croissance, la formation. Toutefois on a laissé prospérer au niveau international un système qui fait fi des États, croit pouvoir s'autoréguler, fait croire aux dirigeants élus qu'ils n'ont pas la compétence technique pour intervenir. Ces experts nous disent qu'il faut laisser faire, laisser passer, et ne surtout pas intervenir, pour ne pas faire de bêtises ! J'ai assisté hier matin à une réunion de la commission des finances sur la compétitivité de la place de Paris. Je suis parti ! Ces financiers ont tout raté mais ils sont très fiers et nous expliquent, en employant un vocabulaire horriblement technique, qu'après tout mieux vaut laisser faire...
J'ai volontairement souhaité aborder ce sujet technique de manière large, en le replaçant dans une perspective historique ou sociologique. Je voulais montrer que le système, car il s'agit bien d'un système, ne s'était pas installé par hasard. Toutes les pièces sont imbriquées, on ne peut bouger un élément sans impacter les autres. Du coup, il est très difficile de faire des réformes. Sans soubresaut majeur, il ne se passera strictement rien. On se focalise sur l'aspect technique mais il ne faut pas oublier l'aspect idéologique, sur lequel j'aurais souhaité insister encore davantage, ni le fait que cette organisation profite à certains intérêts. C'est pourquoi Donald Trump n'est pas au bout de ses peines. Il a envie de donner satisfaction à tout le monde, mais ce système, par nature, produit des inégalités, sociales et territoriales, et les renforce.
Selon l'idéologie dominante, le système s'autorégule, il faut laisser faire et ne pas intervenir. On a oublié que Keynes nous avait montré que l'intervention publique était parfois nécessaire, même si l'on peut discuter de ses modalités. Ronald Reagan expliquait, en arrivant au pouvoir, que l'État n'était pas la solution mais le problème. C'est pourtant lui qui l'a remis sur le devant de la scène peu après. Mais passons, nous n'en sommes pas à une contradiction près... Dans ce cadre de pensée, une crise systémique n'est pas pensable. D'où les questions, faussement naïves, d'Élisabeth II d'Angleterre rappelées précédemment. Il y a seulement des accidents passagers. Fondamentalement, cela pose la question de l'éducation, de la compréhension des mécanismes, des débats d'idées. Le paradoxe est que nous sommes beaucoup plus sclérosés en Europe qu'aux États-Unis. Il y a beaucoup plus de débats là-bas. Un Galbraith en France n'est pas envisageable. D'où aussi l'aspect didactique de mon rapport, que certains pourront trouver quelque peu pesant. J'ai voulu rendre lisible un langage faussement ésotérique, voire fumeux. Certains raisonnements sont contre-intuitifs : il m'a ainsi fallu du temps pour comprendre comment on pouvait spéculer à la baisse !
Il est facile de mettre en cause les responsables politiques. Mais n'oublions pas qu'ils sont élus ! En revanche, gare à la paresse intellectuelle, à la pensée unique, aggravée par l'éteignoir médiatique. On nous fait prendre pour argent comptant certaines idées. Non, la mondialisation n'est pas naturelle. Il y a eu des périodes dans l'histoire où elle s'est développée, d'autres où elle a régressé. C'est aussi un phénomène politique. Dire cela n'est pas être hostile à la mondialisation, mais c'est rappeler que l'on ne pourra modifier les choses que si les responsables politiques ouvrent les yeux et proposent des solutions. Toutefois, comme tout est lié, c'est très difficile.
Si j'étais président ? J'essaierais de construire un système de financement différent, permettant de soutenir nos entreprises. Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en sciences économiques, nous l'a dit : aujourd'hui, 5 % seulement de l'activité bancaire servent au financement des entreprises. Je cite aussi dans le rapport un milliardaire américain selon lequel Wall Street ne finance qu'un infime pourcentage de l'économie américaine. On a créé la BPI, la Banque publique d'investissement. Il faut mobiliser l'épargne au service des PME-TPE. C'est une proposition modeste mais bien plus intéressante que les programmes électoraux actuels qui ne font que décliner à l'envi les mêmes sornettes, à savoir des versions de l'économie de l'offre. Or, il ne suffit pas de produire pour que les gens achètent ! En 2008, les Européens ont commencé à injecter des milliards dans l'économie alors que les Américains l'avaient fait depuis longtemps.
Je suis pessimiste en raison et optimiste en volonté. L'Europe devra évoluer si elle veut s'en sortir. On a eu du mal à soutenir la Grèce qui ne représente pourtant que 3 % du PIB européen. Comment ferons-nous si l'Italie, dont le PIB avoisine les 2 000 milliards d'euros, rencontre à son tour de graves problèmes ? Les rustines ne suffiront pas... Mais l'immobilisme profite à l'Allemagne qui bénéficie du niveau de l'euro, alors qu'il est surévalué pour nous. Il appartient au gouvernement français de poser la question de l'ajustement des parités. Tant qu'on ne trouvera pas un moyen de recycler les excédents des uns pour compenser les déficits des autres, on n'en sortira pas ! Le système est autobloquant. Les peuples étaient pro-européens ; l'Union européenne était une utopie réaliste, elle est pourtant devenue un épouvantail. Il n'y aurait pas de crise ? Mais la situation économique, même en Allemagne ou en Espagne, n'est pas glorieuse et reste très fragile, même s'il ne faut pas non plus verser dans le catastrophisme.
J'ai voulu donner des éléments de compréhension. Par exemple, les inquiétudes autour de Bâle III - soit dit en passant, c'est une vraie escroquerie - sont exagérées. Les banques ne pourront plus prêter à l'économie ? Aujourd'hui, l'essentiel de l'actif bancaire ne vise pas à financer l'économie mais à faire du cash. Les journaux annonçaient hier que BNP Paribas enregistrait plus de 7 milliards d'euros de bénéfice en 2016. Tant mieux, mais il faudrait surtout qu'ils servent à financer l'économie.
Il convient aussi de trouver des débouchés. On dit qu'il nous faut conquérir des marchés à l'étranger. Mais comme les autres font pareil, on n'en sort pas ! Il est temps de mener ensemble une politique d'offre et de demande. Il est rassurant que le FMI, la Banque des règlements internationaux, même la Commission européenne, commencent à plaider pour des investissements publics. Si j'étais président, enfin, je n'aurais pas ponctionné les finances des collectivités territoriales...
Elles réalisent en effet 70 % de l'investissement public, avec un effet de levier élevé.
Merci. Votre rapport nous alerte sur le risque d'explosion d'un système financier virtuel, qui survit au bord du précipice. Le retour du politique ne serait pas superflu.
Mes chers collègues, il me reste maintenant à vous demander formellement l'autorisation de publier, sous la forme d'un rapport d'information, le travail de notre rapporteur.
La délégation autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information sous le titre « Une crise en quête de fin - Quand l'Histoire bégaie ».