Intervention de Pierre-Yves Collombat

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 9 février 2017 : 1ère réunion
Avenir et risques du système financier et bancaire : présentation du rapport d'information

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat, rapporteur :

J'ai volontairement souhaité aborder ce sujet technique de manière large, en le replaçant dans une perspective historique ou sociologique. Je voulais montrer que le système, car il s'agit bien d'un système, ne s'était pas installé par hasard. Toutes les pièces sont imbriquées, on ne peut bouger un élément sans impacter les autres. Du coup, il est très difficile de faire des réformes. Sans soubresaut majeur, il ne se passera strictement rien. On se focalise sur l'aspect technique mais il ne faut pas oublier l'aspect idéologique, sur lequel j'aurais souhaité insister encore davantage, ni le fait que cette organisation profite à certains intérêts. C'est pourquoi Donald Trump n'est pas au bout de ses peines. Il a envie de donner satisfaction à tout le monde, mais ce système, par nature, produit des inégalités, sociales et territoriales, et les renforce.

Selon l'idéologie dominante, le système s'autorégule, il faut laisser faire et ne pas intervenir. On a oublié que Keynes nous avait montré que l'intervention publique était parfois nécessaire, même si l'on peut discuter de ses modalités. Ronald Reagan expliquait, en arrivant au pouvoir, que l'État n'était pas la solution mais le problème. C'est pourtant lui qui l'a remis sur le devant de la scène peu après. Mais passons, nous n'en sommes pas à une contradiction près... Dans ce cadre de pensée, une crise systémique n'est pas pensable. D'où les questions, faussement naïves, d'Élisabeth II d'Angleterre rappelées précédemment. Il y a seulement des accidents passagers. Fondamentalement, cela pose la question de l'éducation, de la compréhension des mécanismes, des débats d'idées. Le paradoxe est que nous sommes beaucoup plus sclérosés en Europe qu'aux États-Unis. Il y a beaucoup plus de débats là-bas. Un Galbraith en France n'est pas envisageable. D'où aussi l'aspect didactique de mon rapport, que certains pourront trouver quelque peu pesant. J'ai voulu rendre lisible un langage faussement ésotérique, voire fumeux. Certains raisonnements sont contre-intuitifs : il m'a ainsi fallu du temps pour comprendre comment on pouvait spéculer à la baisse !

Il est facile de mettre en cause les responsables politiques. Mais n'oublions pas qu'ils sont élus ! En revanche, gare à la paresse intellectuelle, à la pensée unique, aggravée par l'éteignoir médiatique. On nous fait prendre pour argent comptant certaines idées. Non, la mondialisation n'est pas naturelle. Il y a eu des périodes dans l'histoire où elle s'est développée, d'autres où elle a régressé. C'est aussi un phénomène politique. Dire cela n'est pas être hostile à la mondialisation, mais c'est rappeler que l'on ne pourra modifier les choses que si les responsables politiques ouvrent les yeux et proposent des solutions. Toutefois, comme tout est lié, c'est très difficile.

Si j'étais président ? J'essaierais de construire un système de financement différent, permettant de soutenir nos entreprises. Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences en sciences économiques, nous l'a dit : aujourd'hui, 5 % seulement de l'activité bancaire servent au financement des entreprises. Je cite aussi dans le rapport un milliardaire américain selon lequel Wall Street ne finance qu'un infime pourcentage de l'économie américaine. On a créé la BPI, la Banque publique d'investissement. Il faut mobiliser l'épargne au service des PME-TPE. C'est une proposition modeste mais bien plus intéressante que les programmes électoraux actuels qui ne font que décliner à l'envi les mêmes sornettes, à savoir des versions de l'économie de l'offre. Or, il ne suffit pas de produire pour que les gens achètent ! En 2008, les Européens ont commencé à injecter des milliards dans l'économie alors que les Américains l'avaient fait depuis longtemps.

Je suis pessimiste en raison et optimiste en volonté. L'Europe devra évoluer si elle veut s'en sortir. On a eu du mal à soutenir la Grèce qui ne représente pourtant que 3 % du PIB européen. Comment ferons-nous si l'Italie, dont le PIB avoisine les 2 000 milliards d'euros, rencontre à son tour de graves problèmes ? Les rustines ne suffiront pas... Mais l'immobilisme profite à l'Allemagne qui bénéficie du niveau de l'euro, alors qu'il est surévalué pour nous. Il appartient au gouvernement français de poser la question de l'ajustement des parités. Tant qu'on ne trouvera pas un moyen de recycler les excédents des uns pour compenser les déficits des autres, on n'en sortira pas ! Le système est autobloquant. Les peuples étaient pro-européens ; l'Union européenne était une utopie réaliste, elle est pourtant devenue un épouvantail. Il n'y aurait pas de crise ? Mais la situation économique, même en Allemagne ou en Espagne, n'est pas glorieuse et reste très fragile, même s'il ne faut pas non plus verser dans le catastrophisme.

J'ai voulu donner des éléments de compréhension. Par exemple, les inquiétudes autour de Bâle III - soit dit en passant, c'est une vraie escroquerie - sont exagérées. Les banques ne pourront plus prêter à l'économie ? Aujourd'hui, l'essentiel de l'actif bancaire ne vise pas à financer l'économie mais à faire du cash. Les journaux annonçaient hier que BNP Paribas enregistrait plus de 7 milliards d'euros de bénéfice en 2016. Tant mieux, mais il faudrait surtout qu'ils servent à financer l'économie.

Il convient aussi de trouver des débouchés. On dit qu'il nous faut conquérir des marchés à l'étranger. Mais comme les autres font pareil, on n'en sort pas ! Il est temps de mener ensemble une politique d'offre et de demande. Il est rassurant que le FMI, la Banque des règlements internationaux, même la Commission européenne, commencent à plaider pour des investissements publics. Si j'étais président, enfin, je n'aurais pas ponctionné les finances des collectivités territoriales...

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