Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 14 février 2017 à 14h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi modifiée

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire.

Cet échec est regrettable, car le texte adopté en première lecture par le Sénat, en commission puis en séance, avait ouvert la voie à un compromis avec l’Assemblée nationale pour garantir le droit à l’information sur l’IVG en modifiant a minima le délit d’entrave tel qu’il existe dans notre droit.

Cet échec est regrettable, car nous avons toutes et tous la conviction que les femmes ont droit au respect de leur libre arbitre, hors de toute manipulation, de toute duplicité et de toute violence, pour décider d’interrompre ou non une grossesse avant la douzième semaine.

De plus, personne ne remet en cause la nécessité du délit d’entrave tel que le législateur l’a défini en 1993, puis étendu aux formes de plus en plus sophistiquées de l’entrave à l’IVG.

Nous partageons ces constats et ces convictions. Pourtant, nous ne sommes parvenus à un accord ni avec l’Assemblée nationale ni au sein de notre commission.

Il semble que l’obstacle au compromis soit notre appréciation divergente de la portée de la proposition de loi en matière de liberté d’expression. Ce point mérite quelques éclaircissements.

Toutes et tous, dans cet hémicycle, avons la conviction que la liberté d’expression est fondamentale, parce qu’elle est la condition d’exercice des autres libertés.

Avec la liberté de conscience, la liberté d’expression est le socle de notre société pluraliste et tolérante, donc de notre démocratie. Fidèles à la philosophie de Voltaire, nous pouvons dire : « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. »

Mes chers collègues, le texte qui nous est proposé ne remet pas cela en cause.

En effet, les problèmes auxquels sont confrontées les femmes qui apportent leur témoignage sur les entraves à l’IVG ne sont pas les propos publics des mouvements anti-IVG, les manifestations et cortèges des pro-life, les prises de position de l’Église… Même si toutes ces opinions peuvent inquiéter ou choquer, elles sont les manifestations de la liberté d’expression et de conscience ; légitimement protégées par le droit constitutionnel et par le droit européen, elles ne sont en rien concernées par la présente proposition de loi.

En revanche, les problèmes, ce sont l’intimidation, la duperie, la violence psychologique, parfois le harcèlement qui s’exerce notamment au travers des mises en relation téléphonique via des sites d’information. À ce stade – les témoignages recueillis sont éloquents –, il ne s’agit plus de la diffusion d’une information ou de l’expression d’une opinion, mais bien de la volonté de contraindre psychologiquement ses interlocuteurs.

Pour les militants qui se cachent derrière ces sites et plateformes d’appels, il n’y a pas de Voltaire qui tienne ! Bien au contraire, leur approche est claire : « Je ne suis pas d’accord avec vous qui pensez à avorter, aussi, je vais me battre jusqu’au bout pour vous empêcher d’être en situation d’agir, car mes convictions doivent triompher de vous. »

Empêcher ces personnes de nuire est une nécessité et n’a rien à voir avec la liberté d’expression, qui n’a jamais inclus le droit d’imposer ses idées à autrui, encore moins par la contrainte ou la violence.

Les tribunaux ont rappelé à plusieurs reprises qu’il ne saurait être question de liberté d’expression ni de liberté de conscience lorsque des militants anti-IVG bloquent les accès aux établissements, intimident le personnel médical ou font irruption dans la salle d’attente du planning familial pour imposer leurs prières.

Dans une affaire jugée en 2015 par la Cour de cassation, un homme, après s’être introduit dans un centre du planning familial, a remis par surprise des chaussons de bébé à une femme venue recevoir des conseils pour une éventuelle IVG. Liberté d’expression ? Liberté de conscience ? Non, répondent la cour d’appel et la Cour de cassation : il s’agit là de pressions psychologiques et même de violences morales.

Aujourd’hui, ces pressions, violences et menaces ne s’exercent plus seulement dans les établissements de santé ou au sein des centres du planning familial.

Aujourd’hui, ces techniques d’entrave ont migré vers internet et les plateformes téléphoniques.

Notre droit doit s’adapter à cette nouvelle modalité du délit d’entrave. C’est pourquoi cette proposition de loi prévoit que l’entrave à l’IVG doit être poursuivie y compris lorsqu’elle est commise à distance, par téléphone, internet ou textos, à la condition que soient réunis les éléments de sa définition, qui, eux, n’ont pas changé.

Il faut rappeler que les éléments constitutifs du délit d’entrave ne sont pas remis en cause : tel qu’il est proposé par l’Assemblée nationale, le nouveau chapeau de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique implique que la « diffusion ou transmission d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences d’une IVG » sera constitutif de délit d’entrave si et seulement si cette diffusion a conduit à la perturbation de l’accès à un établissement ou si elle a atteint l’intensité d’une menace, pression morale ou intimidation.

Ce point est important et suscite beaucoup d’incompréhension, car la rédaction issue de l’Assemblée a fait craindre à certains que le chapeau de cet article ne puisse être mis en application par les juges indépendamment du 1° et du 2° de son texte.

C’est pourquoi, dans un souci de compromis, le groupe socialiste vous proposera d’amender le texte de l’Assemblée, afin de lever ce doute et de permettre l’adoption d’un texte enrichi de nos réflexions croisées.

Nous y sommes presque ! Mme la rapporteur a apporté sa précieuse contribution, et c’est dans cet esprit de compromis, autour de fortes convictions partagées en faveur de l’émancipation des femmes, que le groupe socialiste et républicain votera la nécessaire modernisation du délit d’entrave.

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