Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 15 février 2017 à 14h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Jean-Jacques Urvoas :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voici donc une nouvelle étape dans la discussion d’un texte auquel les deux chambres ont montré un commun attachement.

Après tout, c’est sous l’Empire romain que la prescription fut formalisée, et depuis ces temps les plus anciens, elle constitue toujours l’un des principes fondamentaux de notre droit. Il est donc assez logique que sa modification soit réfléchie, au travers d’un cheminement maîtrisé.

Pour autant, à ce stade de nos travaux, il n’est peut-être pas utile de revenir en détail sur les raisons pour lesquelles nous nous retrouvons.

Au nom du Gouvernement, je veux simplement redire notre intérêt pour le travail sur la prescription conduit au Sénat depuis 2007 sous la présidence de Jean-Jacques Hyest, et dont Richard Yung et Hugues Portelli étaient les rapporteurs, et repris en 2015 à l’Assemblée nationale par les députés Alain Tourret et Georges Fenech.

Tous avaient raison de rappeler que, fondé sur des principes simples fixés pour l’essentiel à l’époque de la codification napoléonienne, le droit de la prescription était entré dans une ère d’instabilité marquée par la multiplication chaotique des dispositions particulières et dérogatoires aux règles classiques du droit.

De surcroît, cette évolution, décidée notamment par la chambre criminelle de la Cour de cassation, s’inscrivait dans des perspectives contradictoires selon que l’on envisage le domaine pénal ou civil. En effet, dans le premier cas, les délais tendaient à s’allonger tandis qu’en matière civile, et en dépit de nombreuses nuances, la prescription trentenaire cédait de plus en plus le pas à des délais plus courts.

Il fallait donc rétablir une sécurité juridique et la qualité des propositions émises a eu raison de toutes les fatalités.

Ainsi, le Parlement a réussi à traiter une question complexe et difficile là où bien des gouvernements avaient échoué. J’ai notamment retrouvé, parmi les multiples projets, le dernier qu’avait conduit la Chancellerie et qui constituait un avant-projet de réforme du code de procédure pénale, soumis à concertation par Mme Michèle Alliot-Marie, alors garde des sceaux. Il prévoyait déjà une réécriture, notamment, des dispositions encadrant la prescription pénale mais il n’avait pu prospérer.

Le présent texte a déjà été adopté à deux reprises par votre assemblée, le 13 octobre 2016 et le 7 février dernier. Il tend à répondre à l’inadaptation du cadre juridique actuel afin de mieux protéger les intérêts de la société tout entière.

Évidemment, l’allongement des délais de prescription de l’action publique de droit commun constitue l’apport le plus important de ce texte : passer de trois à six ans pour les délits et de dix à vingt ans pour les crimes est considérable en soi.

Il s’agit de la mesure principale de la proposition de loi, mais non la seule.

Ce texte clarifie en effet, et ce n’est pas rien, les modalités de computation des délais, toujours source de nombreuses difficultés. Le texte harmonise également les délais de prescription de l’action publique et des peines, ce qui est une disposition importante.

Il est sain que le législateur intervienne, car le justiciable, qu’il soit victime ou prévenu, a le droit de savoir selon quelles règles l’action publique sera engagée, et, s’il est condamné, pendant combien de temps la peine pourra être exécutée.

Tous les justiciables ont droit à la sécurité juridique.

Avec ce texte, nous allons conforter l’un des fondements même de notre droit, car la prescription ne concerne pas seulement une ou deux affaires : des dizaines de milliers de cas sont, chaque année, concernés. En l’adoptant, nous allons nous rapprocher des règles en vigueur dans les pays qui ont maintenu la prescription, puisque certains, notamment les pays anglo-saxons, ont choisi de renoncer à ce principe.

Cette évolution intègre aussi le fait que le rapport au temps a changé en France.

Il est difficile d’évoquer aujourd’hui le droit à l’oubli, car cette notion n’est plus acceptée : les victimes ne la comprennent pas. Le rapport au temps a aussi changé pour les auteurs présumés de délits et de crimes, qui pensent pouvoir s’abriter derrière des délais courts de prescription. Le rapport au temps a enfin changé avec les progrès de la science, notamment grâce aux recherches de l’ADN et à toutes celles qui sont susceptibles aujourd’hui d’aider au dévoilement de la vérité judiciaire.

Il fallait donc en finir avec les acrobaties juridiques auxquelles les magistrats du parquet étaient contraints d’avoir recours pour pouvoir engager des poursuites dans certaines affaires criminelles, dans lesquelles il aurait été incompréhensible que les auteurs des faits ne puissent être poursuivis.

Voilà pourquoi le Gouvernement considère que ce texte, dont il n’était pas à l’origine, est utile et précieux. Seule une disposition relative à la loi de 1881 a interdit son adoption par un vote conforme. Il a donc fallu une commission mixte paritaire, qui n’a pu aboutir, ce qui nous vaut le plaisir de nous retrouver aujourd’hui.

Le Gouvernement souhaite maintenant que ce texte termine son cheminement.

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