Intervention de Mireille Jouve

Réunion du 15 février 2017 à 14h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Mireille JouveMireille Jouve :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, au-delà du désaccord spécifique qui continue de diviser nos deux chambres après l’échec de la commission mixte paritaire à propos des délits de presse, l’examen de cette proposition de loi a surtout permis de constater que la question de la temporalité de la justice est loin de faire consensus.

En la matière, les aspirations de nos concitoyens sont parfois contradictoires. Les délais de l’instruction et du jugement leur semblent rarement satisfaisants. Lorsque la justice va vite, des voix s’élèvent pour dénoncer son caractère expéditif ; et lorsqu’elle va plus lentement, d’autres, parfois les mêmes, accusent les juges d’indigence.

Il ne s’agit pas d’un sujet nouveau. Dès les années 2000, la bonne administration de notre justice a été mise en cause devant la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, et la France a été condamnée à de nombreuses reprises pour la lenteur de ses procédures judiciaires. Depuis lors, la jurisprudence des « délais raisonnables » s’est largement imposée dans notre droit, à budget constant. N’est-il pas paradoxal, au regard des efforts demandés aux agents chargés de l’instruction pour réduire les délais de jugement dans l’intérêt du justiciable, de permettre à ce dernier de se manifester des années, voire des décennies après la survenance de faits dont il s’estime victime ?

Mes chers collègues, pour la prescription comme pour les délais de jugement, une seule question se pose à nous : à quel moment la justice doit-elle être rendue pour être utile ?

Tzvetan Todorov, disparu la semaine dernière, écrivait : « Le devoir de mémoire ne sera pas moralement justifié si le rappel du passé nourrit avant tout mon désir de vengeance ou de revanche, s’il me permet simplement d’acquérir des privilèges ou de justifier mon inaction dans le présent. » Cette maxime pourrait également s’appliquer au requérant très tardif.

En dehors des cas très particuliers que les juges prennent déjà en compte, à savoir les délits occultes et les omissions traumatiques, nous ne sommes pas favorables à une extension si longue du délai de prescription.

Rappelons qu’il s’agit de doubler les délais de droit commun. Mes collègues Jacques Mézard et Jean-Claude Requier ont déjà évoqué les limites de cette initiative, également reconnues par nombre de magistrats, à commencer par les membres de l’Union syndicale de la magistrature et du Syndicat de la magistrature : le dépérissement des preuves et la rancœur contre le système judiciaire qui pourrait en résulter. Pour les éviter, il faudra peut-être songer à former nos juges aux techniques de l’archéologie…

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