Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme plusieurs orateurs l’ont dit avant moi, ce texte est très important pour le droit des victimes. En travaillant, nous avons d’abord pensé à elles, en considérant que l’allongement des délais de prescription permettrait de mieux prendre en compte le respect qui leur est dû.
Je tiens à le souligner, ce texte est le fruit d’une proposition de loi, déposée par nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech, et il démontre que l’initiative parlementaire peut être très bénéfique §et qu’elle peut s’attacher à des considérations essentielles et porter sur des pans du droit très significatifs. Démonstration est faite, également, qu’il est possible, sur certains sujets, de dépasser les clivages habituels pour trouver d’utiles points de convergence.
Chacun connaît le contenu de ce texte, je ne vais pas y revenir. Nous soutenons totalement le passage de dix ans à vingt ans du délai de prescription de l’action publique pour les crimes, de trois à six ans le délai concernant les délits, le maintien du délai pour les contraventions à un an, le maintien à trente ans du délai de prescription des crimes de guerre connexes à un crime contre l’humanité ainsi que – c’est important ! – le maintien du report du point de départ à la majorité pour les mineurs victimes de crimes et délits mentionnés à l’article 706–47 du code de procédure pénale.
J’en viens maintenant au seul point de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, même si, monsieur le président Philippe Bas, je tiens à saluer ceux qui se sont employés à trouver un compromis, sans y parvenir.
Nous avons beaucoup discuté de ce sujet, y compris au sein du groupe socialiste et républicain. Par souci de clarté et de respect du pluralisme des opinions, je tiens à dire que mes collègues Thani Mohamed Soilihi – auteur avec M. François Pillet d’un rapport approfondi sur ces questions –, Jacques Bigot, Alain Richard et René Vandierendonck partagent, sur la question des délits de presse et des délits sur internet, la position de la majorité du Sénat et de la commission des lois.
Notre groupe, dans sa grande majorité, c’est-à-dire tous ses autres membres, a choisi, après réflexion, de soutenir la position de l’Assemblée nationale et du Gouvernement, pour des raisons assez simples et que je vais redire ici.
Sur le plan juridique, vous le savez, le principe de la neutralité de support prévaut depuis très longtemps pour la réglementation et la régulation dans l’ensemble du secteur des communications audiovisuelles, télécoms et nouveaux médias. Ainsi, ce que l’on prend en compte, ce n’est pas le support, mais la nature de l’infraction. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à plusieurs reprises en ce sens.
Au titre de cette neutralité technologique, la fiscalité de la presse en ligne a d’ailleurs été alignée sur celle de la presse papier, au taux de 2, 1 %. La loi sur la presse a déjà été modifiée afin d’allonger la prescription pour certaines infractions, mais sans faire de différence entre les supports. La distinction effectuée par la majorité de la commission des lois et du Sénat lui-même entre le régime applicable, d’une part, à la presse sur papier et à la presse en ligne reproduisant des articles publiés dans la presse papier et, d’autre part, à la presse en ligne ne prend pas véritablement en compte l’évolution de la profession journalistique.
Les journalistes, que nous avons bien sûr rencontrés, nous disent que la réalité actuelle de leur travail et des rédactions conduit à publier indifféremment, toutes les heures du jour et de la nuit, sur des supports papier et sur des supports numériques, sans qu’un auteur sache, au départ, si son papier sera diffusé sur le support papier ou sur le support numérique.
Il nous semble qu’il pourrait y avoir des inconvénients à créer cette rupture d’égalité entre la prescription sur la presse papier et celle qui concerne la presse numérique ou les messages en ligne.
Ayant dit cela, mes chers collègues, je refuse bien sûr tout simplisme, et je salue à nouveau le travail de nos collègues François Pillet et Thani Mohamed Soilihi. Quelle que soit la diversité de nos votes, il faut assurément prolonger la réflexion.
Nous avons abordé ce sujet avec Mme Axelle Lemaire, lors de la discussion de la loi pour une République numérique. Certains ne cessent de nous dire, en quelque sorte, que le numérique ne peut être qu’un espace de non-droit. Nous l’avons entendu à propos de la lutte contre le terrorisme. Des avocats plaidaient alors l’absence totale de contraintes, de contrôle ou d’intrusion, au nom de la liberté. Il en irait de même concernant le droit d’auteur et le droit à la propriété intellectuelle, tout serait possible sur le numérique, on pourrait trouver facilement tel ou tel ouvrage, reproduit sans qu’il soit question de rémunérer l’auteur, celui qui a travaillé.