Depuis la loi Chevènement du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, le dispositif fiscal dérogatoire prévoyait l’application d’un coefficient de pondération au calcul du potentiel fiscal agrégé desdits territoires, afin de prendre en compte leur endettement exceptionnellement important, lié à la nécessité de construire rapidement l’ensemble des infrastructures, des équipements publics et des logements, notamment sociaux, dans des proportions souvent très supérieures, pour ces derniers, aux exigences légales.
Par voie d’amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2016, dans des conditions tout à fait discutables de promptitude de dépôt et d’examen ainsi que d’absence totale de simulation, cette dérogation a été abrogée. L’application ex abrupto d’une telle abrogation aurait un impact non négligeable pour les finances des EPCI concernés. À titre d’exemple, pour la communauté d’agglomération Paris-Vallée de la Marne, la perte serait de près de 4 millions d’euros en 2017 et de 9 millions supplémentaires à l’horizon 2020 ; pour Cergy-Pontoise, ces chiffres sont respectivement de 4, 5 millions et de 9, 2 millions d’euros ; pour Grand-Paris-Sud, de 6 millions et de plus de 14 millions d’euros ; pour Saint-Quentin-en-Yvelines, situation la plus critique, la perte serait dès cette année de plus de 12 millions d’euros.
Or les villes nouvelles sont le fruit et le symbole d’une politique d’aménagement du territoire voulue par l’État. Elles ont largement contribué à urbaniser, à structurer et à développer des territoires, dans le cadre d’une démarche portée par les pouvoirs publics nationaux. Elles constituent désormais de véritables pôles urbains extrêmement utiles en termes de croissance et de dynamiques démographiques et économiques, s’agissant tant d’habitat locatif et d’accession à la propriété, en particulier dans le domaine du logement social, que d’activités structurantes, la logique étant celle, souhaitable, du développement polycentrique de la métropole parisienne et de son environnement périurbain. Il en est de même pour les territoires concernés situés aux portes des métropoles urbaines de province.
Le statut juridique dérogatoire des villes nouvelles a été défini par la loi Boscher du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la création d’agglomérations nouvelles, par la loi Rocard du 13 juillet 1983 portant modification du statut des agglomérations nouvelles, ainsi que par d’autres textes postérieurs, y compris financiers. Ces dérogations étaient indispensables : dans ces territoires, nous partions de rien, ou presque, de quelques bourgs et villages sans ressources, sans infrastructures, sans ingénierie. Il leur a été demandé d’accomplir des efforts considérables : jusqu’à 15 000 mises en chantier de logements par an à certaines périodes. Il a donc fallu élaborer des systèmes de soutien à l’investissement et aux charges nouvelles et accepter des niveaux d’endettement colossaux.
« Oui, mais l’activité économique accueillie fournit des ressources élevées », m’objecterez-vous. Certes ! Les potentiels fiscaux sont en effet élevés, mais cette richesse est trompeuse, puisque le niveau de la dette est exceptionnellement haut.
Le remplacement de la fiscalité économique directe par des dotations d’État normées et stagnantes, sinon en baisse, annule les effets vertueux de la croissance, dont les territoires concernés ne bénéficient plus, ou beaucoup moins qu’auparavant, alors que leurs charges afférentes à l’augmentation continue des populations et des services et équipements liés ne cessent de croître.
Il nous revient donc, à nous, parlementaires, d’assurer à ces territoires, y compris sur le plan budgétaire, une sortie progressive d’un tel état d’exception. À l’heure où les élus recouvrent en partie leurs pleines capacités d’intervention, nous ne pouvons leur faire payer la facture d’un aménagement voulu à l’origine par l’État, lequel en assure aujourd’hui encore la maîtrise, puisqu’il accorde lui-même les permis de construire au titre des règles particulières des opérations dites d’intérêt national, OIN. C’est cette spécificité qui a justifié que nous, législateurs, adoptions des dispositifs particuliers pour ces territoires : urbanisation soutenue imposée, dispositions financières de soutien justifiées.
Nous prenons acte du fait que ce texte prorogera le dispositif de 2013 jusqu’en 2018. Cela implique la nécessité d’engager dès maintenant un travail approfondi afin de définir des modalités plus satisfaisantes et moins brutales de sortie de ce régime fiscal dérogatoire des ex-SAN.
Dans les villes nouvelles, nous avons l’expérience de la mise en œuvre de dispositifs en sifflet : la loi Rocard de 1983 avait prévu un amortissement sur dix ans de l’harmonisation des taux de fiscalité entre les zones d’agglomération nouvelle, ZAN, et les territoires dits « hors ZAN ».
Cette réflexion doit être conduite selon une entière concertation avec les territoires concernés, fondée sur une véritable étude d’impact, dans le cadre de la loi de finances, et non pas au détour d’un amendement de dernière minute à un projet de loi de finances rectificative.
Le groupe socialiste votera en faveur de cette proposition de loi.