Intervention de Jean-Michel Baylet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 février 2017 à 15h35
Article 13 de la constitution — Audition de M. Jean-Pierre Bayle candidat proposé par le président de la république pour occuper les fonctions de président de la commission du secret de la défense nationale

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet, candidat proposé par le Président de la République pour occuper les fonctions de Président de la commission du secret de la défense nationale :

Ce n'est pas sans une certaine émotion que je parle devant vous car je retrouve des visages que j'ai connus il y a déjà quelques années.

Tout d'abord, quelques considérations sur le secret défense et sur le rôle de la commission du secret de la défense nationale.

Le régime de protection du secret de la défense nationale est mis en oeuvre par le pouvoir exécutif, seul habilité en la matière à prendre les décisions concernant son périmètre et sa consistance. Ce régime, dérogatoire à certaines de nos traditions juridiques et administratives, se heurte, dans son principe même, à deux exigences qui marquent de plus en plus notre espace public et qui n'ont cessé de s'affirmer au cours des dernières décennies : la transparence et le contrôle. Or par définition, le régime du secret est l'antithèse de la transparence. De fait, avant 1998, si la déclassification d'informations en vue de leur transmission à la justice était théoriquement possible, elle ne se produisait jamais...

Dans les années 1980 et 1990, plusieurs « affaires » avaient montré que le régime du secret de la défense nationale était utilisé à d'autres fins que la protection de la sécurité nationale. On entendait évoquer la raison d'État. À partir de là existait le risque que les excès ou les abus ne finissent par emporter le dispositif même dont on abusait.

Il fallait donc prévenir ce risque.

C'est ce qu'a fait le législateur, sur la proposition du Gouvernement, en imaginant de manière parfaitement consensuelle, une construction subtile et raisonnable, qui a donné lieu à la loi du 8 juillet 1998 créant la commission consultative du secret de la défense nationale. La loi de 1998 a défini une procédure, accessible aux seules juridictions françaises, permettant à celles-ci d'obtenir la communication après déclassification d'informations antérieurement protégées, communication qui interviendrait dans la mesure où ces informations pouvaient être utiles à leurs investigations et où leur déclassification présenterait un inconvénient moindre que celui de laisser la justice dans l'ignorance d'éléments utiles à l'exercice de ses missions.

Mais il ne s'agissait pas pour autant de mettre exactement sur le même plan les exigences du fonctionnement de la justice et celles de la préservation des intérêts fondamentaux de la Nation. Il est clair que si, concrètement, une opposition frontale devait apparaître entre les unes et les autres, la nécessité de la préservation de la sécurité nationale devait l'emporter.

L'innovation a consisté à ne pas laisser le pouvoir exécutif seul face aux demandes des juridictions. Entre les deux a donc été instituée la commission consultative du secret de la défense nationale investie de la responsabilité d'agir comme témoin du fait que, si des informations devaient être protégées et rester protégées, c'était bien en vertu de nécessités vérifiées et objectives de préservation des intérêts nationaux. À cette commission, instituée comme autorité administrative indépendante (AAI), devait être attachée une autorité morale reconnue et respectée, condition essentielle de l'efficacité globale d'un dispositif conçu comme répondant au besoin d'organiser un contrôle externe du maniement par le pouvoir exécutif du régime de protection du secret de la défense nationale. Le statut de la commission, les conditions de sélection et de nomination de ses cinq membres (trois magistrats et deux parlementaires) offraient les garanties nécessaires à cet égard.

L'expérience des 17 années de fonctionnement de la commission a répondu aux attentes que le législateur avait fondées dans sa création : plusieurs preuves en attestent. L'insertion de la commission depuis 2009 dans le cadre de la loi de programmation militaire dans le régime des perquisitions faites dans des lieux où sont conservés les supports et informations protégées n'aurait sinon pas pu intervenir. De même, l'extension en 2015 au Parlement, là aussi dans le cadre de la loi de programmation militaire, de la procédure instituée en 1998 pour les seules juridictions n'aurait pas été concevable sans cela. Pas plus qu'il n'aurait été possible de maintenir la CCSDN, perdant son caractère consultatif, dans l'ensemble des AAI tel qu'arrêté par la loi du 20 janvier dernier.

Il faut enfin rappeler que le Conseil constitutionnel a statué par une décision du 10 novembre 2011, sur la conformité à la Constitution de l'ensemble du régime législatif du secret de la défense nationale, et a conclu à cette conformité en mettant au premier plan l'existence, le statut et la mission de la CCSDN, lesquels permettent d'établir l'indispensable conciliation entre l'objectif constitutionnel de protection des intérêts fondamentaux de la Nation et l'objectif, de même valeur constitutionnelle, d'exercice des missions fondamentales de la justice.

Là où une défiance assez forte existait, une plus grande confiance a pu s'établir. Les critiques adressées au dispositif de protection du secret n'ont pas disparu - et ne disparaîtront vraisemblablement jamais - mais elles sont maintenant fortement atténuées. Cette évolution positive tient en grande partie à l'esprit dans lequel la commission s'est attachée à remplir sa mission, notamment par une application scrupuleuse des critères d'appréciation que la loi a elle-même définis et qui la conduisent à rechercher le meilleur équilibre possible entre les exigences, éventuellement contradictoires, qu'il s'agit de concilier. Cette évolution positive tient aussi au fait que les affaires sont examinées au sein de la commission dans la recherche du consensus et dans l'exclusion de toute considération d'ordre politique. On attend de la commission qu'elle rende des avis objectifs en confrontant au cas par cas et affaire après affaire les préoccupations contradictoires qui peuvent être mises en jeu.

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