Intervention de Christian Eckert

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 février 2017 à 16h20
Expérimentation de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation — Audition de M. Christian Eckert secrétaire d'état chargé du budget

Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics :

Vous venez de rappeler la complexité, mais aussi l'importance, de ce dossier. Le rapport que vous avez mentionné avait été proposé par le Gouvernement lors des débats sur le projet de loi de finances rectificative pour 2013, afin de reprendre par amendement la proposition de loi de votre collègue François Marc.

L'article 74 de la loi de finances rectificative pour 2013, qui résulte de ces débats, est très précis sur le champ et la méthode de l'expérimentation. Le rapport qui vous est remis en reprend toutes les prescriptions, ni plus, ni moins. J'insiste sur ce point : ce travail est une expérimentation ; c'est une étude exploratoire et en aucune manière un projet de réforme clef en main du Gouvernement. Toute généralisation supposera une nouvelle décision du Parlement et interviendra lors de la prochaine législature.

Avant d'en venir aux valeurs locatives proprement dites et aux résultats de l'expérimentation, je voudrais rappeler brièvement les modalités de liquidation de la taxe foncière qui existent aujourd'hui, et notamment le calcul de sa base d'imposition. L'article 1388 du code général des impôts prévoit que la taxe foncière sur les propriétés bâties est établie d'après la valeur locative cadastrale des propriétés, déterminée conformément aux principes définis par les articles 1494 à 1508 et 1516 à 1518 B et sous déduction de 50 % de son montant en considération des frais de gestion, d'assurances, d'amortissement, d'entretien et de réparation. Pour le calcul de la taxe foncière des locaux d'habitation, c'est l'article 1496 qui nous intéresse. Il faut distinguer six étapes.

Tout d'abord, la valeur locative est déterminée par comparaison avec celle de locaux de référence choisis, dans la commune, pour chaque nature et catégorie de locaux.

Ensuite, la valeur locative de ces locaux de référence est elle-même déterminée d'après un tarif fixé, par commune ou secteur de commune, pour chaque nature et catégorie de locaux, en fonction du loyer des locaux loués.

Troisièmement, le tarif est appliqué à la surface pondérée du local de référence.

Quatrièmement, la surface pondérée du local à évaluer est déterminée avec différents coefficients de pondération destinés à tenir compte de la situation du local, de son entretien et de l'importance de ses pièces, puis en ajoutant à cette surface des « équivalences superficielles ».

Cinquièmement, le tarif associé au local de référence est appliqué à la surface du local à évaluer.

Enfin, le taux voté par la collectivité est appliqué à l'assiette ainsi déterminée.

Pourquoi faut-il réexaminer ce système ? Chacun sait que les valeurs locatives utilisées dans les évaluations pour le calcul de la taxe foncière datent de 1970. Elles ont été régulièrement revalorisées chaque année par un coefficient forfaitaire, éventuellement adaptées ou modifiées au gré de la volonté des commissions communales des impôts. Comme je le disais lors des débats de 2013, chacun connaît les différences assez injustes qui peuvent exister en la matière, suivant l'évolution des quartiers ou les années de construction. Ma commune, où j'ai été maire pendant longtemps - trop au goût de certains - en est un bon exemple, car la juxtaposition d'anciennes cités minières et de constructions plus récentes est à l'origine de disparités que plus personne ne comprend et qui conduisent à des transferts assez préjudiciables à l'égalité des citoyens devant l'impôt, en l'occurrence local. Chacun pourra trouver d'autres exemples, notamment dans l'agglomération parisienne.

La révision des valeurs locatives est donc avant tout une question de justice fiscale, qui conditionne bien évidemment le consentement à l'impôt, clef de voûte de notre pacte républicain.

Quels sont les grands principes retenus pour la méthode ? D'abord, il s'agit d'une expérimentation « à blanc », donc sans impact sur l'impôt réellement payé par les contribuables, mais permettant de mener le processus de révision pratiquement de A à Z, de la collecte des informations à l'évaluation individuelle de chaque local d'habitation dans cinq départements. Ces cinq départements sont, d'une certaine manière, représentatifs de la diversité de nos territoires : ainsi, la Charente-Maritime, département qui combine ruralité et caractéristiques touristiques ; le Nord, département mixte, à la fois urbain et rural ; l'Orne, département fortement rural ; Paris, présentant une très forte densité de locaux, essentiellement des appartements ; enfin, le Val-de-Marne, département périurbain.

Ensuite, la méthode d'évaluation s'inspire très largement de ce qui a été fait pour les locaux professionnels et qui est désormais pleinement en vigueur depuis le 1er janvier 2017 : ainsi, les territoires sont découpés en secteurs d'évaluation représentant un marché locatif homogène. Ensuite, un tarif au mètre carré est fixé pour chaque catégorie de locaux (maison, appartement, etc.), à partir des loyers constatés dans chaque secteur d'évaluation, par tranche de surface totale du logement.

Si les grands principes de détermination des valeurs locatives sont donc globalement similaires à ceux retenus pour les locaux professionnels, il existe des particularités liées aux locaux d'habitation : d'abord, une volumétrie très importante (46 millions de locaux) au regard de celles des locaux professionnels, qui nécessite d'adapter la méthode de collecte des informations auprès des propriétaires. Ensuite, une occupation qui est majoritairement le fait des propriétaires, ce qui rend plus complexe encore la collecte des éléments de loyer (nombre ou représentativité insuffisants). Par définition, les propriétaires ne payent pas de loyers, sauf à suivre les élucubrations de quelques économistes qui reviennent comme des marronniers. Je me suis déjà longuement exprimé sur le sujet et il n'est pas dans l'intention du Gouvernement de mettre en oeuvre de telles propositions. Enfin, une spécificité des logements sociaux, dont les loyers ne reflètent pas la réalité du marché locatif.

Avant de décrire plus en détail les résultats, je voudrais tout de suite attirer votre attention sur un point important : les résultats présentés dans le rapport correspondent à une application purement mathématique de la méthodologie prévue par la loi. Il paraît évident que certaines corrections seraient opportunes, sur lesquelles je reviendrai en conclusion, mais que je peux déjà commencer à dessiner. D'une part, il faudrait apporter une souplesse suffisante pour prendre en compte la réalité du tissu local, le cas échéant dans le cadre d'une comitologie à mettre en oeuvre. D'autre part, il faudrait prévoir les modalités de la transition pour éviter les ressauts d'imposition. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait pour les locaux professionnels.

Je n'aurai bien sûr pas le temps de vous présenter l'intégralité du travail statistique qui a été réalisé par mes services, que je veux ici remercier, puisque le rapport qui vous a été transmis compte plus de 400 pages. Je crois cependant que ce travail, toujours perfectible, permet de dégager un certain nombre d'enseignements qui permettront de poursuivre cette démarche jusqu'à sa généralisation.

Le premier enseignement de cette expérimentation est que la méthode permet d'évaluer efficacement tous les locaux d'habitation, quand bien même une large fraction d'entre eux ne donne pas lieu au versement d'un loyer. En effet, l'expérimentation prouve que la collecte des loyers s'avère suffisante quantitativement et qualitativement pour ne pas fragiliser la méthodologie déjà utilisée lors de la généralisation de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, moyennant quelques adaptations, notamment pour les logements sociaux. Dans un pays où 58 % des ménages sont propriétaires de leur résidence principale et où 10 % du parc est constitué de résidences secondaires, il n'était pas évident qu'on arrive à ce résultat. Certains préconisent de recourir à la valeur vénale plutôt qu'à la valeur locative, ce qui pose d'autres questions, notamment lorsque les prix sont affectés par des comportements spéculatifs. Nous savons aujourd'hui que la révision des valeurs locatives est techniquement possible à partir des loyers de marché.

Le second enseignement est que la direction générale des finances publiques (DGFiP) a une bonne connaissance du parc de logements, tant de la nature des locaux (appartement, maison, dépendance, local exceptionnel) que de leur consistance (surfaces), bien meilleure d'ailleurs que celle qui avait été observée pour les locaux professionnels dans le cadre de la révision de leur valeur locative : près de 80 % des informations relatives aux surfaces des maisons et des appartements sont exactes ou marginalement différentes de plus ou moins 10 %, tandis que la nature de ces locaux est fiable pour 95 % d'entre eux. Cet enseignement est particulièrement important pour affiner les modalités pratiques de collecte de l'information qui pourraient être envisagées dans le cadre d'une généralisation ; j'y reviendrai.

Troisième enseignement, les valeurs locatives des locaux d'habitation appartenant au parc privé augmenteraient de 151,5 %, avant rebasage des taux - en effet, les taux seraient diminués pour assurer aux collectivités un produit fiscal constant. À titre de comparaison, dans le cadre de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, les valeurs locatives des locaux professionnels au sein de ces cinq départements augmentent de 165,5 %, c'est-à-dire un ordre de grandeur comparable en pourcentage, ce qui pourrait faciliter la mise en oeuvre d'un mécanisme de rebasage des taux, et donc la sortie du dispositif de neutralisation des bases applicables aux locaux professionnels prévu dans le cadre de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels. Ce chiffre de 151,5 % masque toutefois une forte hétérogénéité entre les départements, de + 131,2 % à Paris à + 239,8 % dans le Nord.

Quatrième enseignement, qui n'est pas une découverte, mais qu'on peut aujourd'hui quantifier, la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation engendrerait des transferts de charge entre différents contribuables, transferts qui ne sont que le reflet de l'injustice fiscale qui s'est progressivement installée au fil des ans. Ces transferts dépendront in fine des paramètres précis qui seront retenus par le législateur, et en particulier des modalités de transition. Par exemple, on observe assez systématiquement qu'au sein des sous-groupes « maisons » et « appartements » les tarifs des locaux de petites surfaces sont plus élevés que ceux des locaux de grandes surfaces. C'est déjà le cas aujourd'hui, mais cet effet tend à être renforcé pour les appartements tandis qu'il serait atténué pour les maisons.

Cinquième enseignement, la question du logement social devra faire l'objet d'une attention particulière. Conformément à ce que prévoit la loi, deux scénarii ont été systématiquement simulés. Un scénario où les loyers des bailleurs sociaux sont exclus de la détermination des valeurs par secteurs et tarifs. Dans ce scénario, la valeur locative des logements sociaux est établie à partir des logements comparables du parc privé. Un deuxième scénario où ceux-ci participent à l'élaboration d'une sectorisation et d'une grille tarifaire spécifiques, différentes de celles établies sur la base des informations collectées auprès des seuls propriétaires. Le deuxième scénario est bien plus favorable pour les logements sociaux, puisque les valeurs locatives sont établies sur la base des loyers constatés pour cette seule typologie de locaux. Les valeurs locatives des logements sociaux augmenteraient ainsi beaucoup moins que celles des logements du parc privé, puisqu'elles augmenteraient à hauteur de 18,7 % au lieu de 128,5 % en scénario 1. Toutefois, il apparaît que cette deuxième méthode pose davantage de problèmes opérationnels - les grilles sont « trouées » du fait de l'absence de logements sociaux dans certains secteurs - et pose plus généralement la question de la juste contribution foncière pour les propriétaires du parc social, qui devra s'articuler avec la préservation des équilibres économiques du logement social. Il s'agira d'une décision politique importante.

J'en viens maintenant aux résultats de l'expérimentation, s'agissant des recettes fiscales des collectivités locales. Je peux vous rassurer immédiatement : la réforme peut être sans impact sur les ressources des collectivités. Ce résultat est bien entendu la conséquence directe de la manière dont l'expérimentation a été conçue : nous en avons déjà parlé, celle-ci n'avait pas pour objet de préparer une refonte des ressources des collectivités locales, mais bien d'améliorer l'équité fiscale au regard de la situation réelle des différents contribuables. L'article 74 de la loi de finances rectificative pour 2013 a donc prévu la neutralité de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation sur le produit fiscal des collectivités locales. Cette neutralité doit être assurée en combinant deux leviers : d'une part, il est nécessaire d'ajuster les taux d'imposition, sur le périmètre de chaque collectivité, afin de ne pas renchérir le montant global des cotisations. À titre informatif, en l'absence de révision des taux d'imposition, les ressources de l'ensemble des collectivités des cinq départements expérimentateurs (départements, communes, établissements publics de coopération intercommunale) augmenteraient de 154 %, soit 4,6 milliards d'euros. D'autre part, il faudrait neutraliser l'effet sur les ressources des collectivités de cet ajustement des taux d'imposition pour les locaux non concernés par la révision des valeurs locatives (locaux industriels ou soumis au barème). Ceux-ci pourraient bénéficier du rebasage des taux sans que leur assiette ne soit révisée.

Il s'agit là d'ajustements pragmatiques, qui s'inscrivent dans l'esprit de la réforme envisagée, et qui permettent d'assurer que les différentes options en vue de la généralisation de la réforme ne seront examinées qu'au regard de leur bien-fondé, compte tenu de la situation de chaque contribuable.

Ainsi, la prise en compte de mesures d'atténuation que j'ai rapidement évoquées tout à l'heure, telles que les modalités spécifiques de révision des valeurs locatives pour les logements sociaux, ou la minoration des tarifs en fonction de la localisation de certains quartiers ou de la réalité particulière du tissu local, n'aurait pas d'impact sur les ressources de chaque collectivité.

La vraie conséquence pour les collectivités, c'est celle de la méthode. Afin d'envisager une généralisation, une appropriation des objectifs de la réforme par les élus locaux est nécessaire. Celle-ci nécessitera, avant d'être mise en place, une réflexion sur l'ensemble du territoire portant sur le calendrier, les modalités, les mécanismes d'atténuation, ou encore l'information des particuliers.

Enfin, je voudrais dessiner les perspectives pour l'avenir, avec comme objectif la généralisation de la révision des valeurs locatives, dont j'ai rappelé tout à l'heure les enjeux et que je considère impérative à moyen terme.

Cette expérimentation permet de montrer que les valeurs locatives des locaux professionnels et des locaux d'habitation augmentent dans des proportions comparables, ce qui rend plus aisés l'entrée en vigueur de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation et le « rebasage » des taux d'imposition à cette échéance. Bien évidemment, au-delà de cette approche macroscopique, l'examen des variations au niveau individuel laisse apparaître de fortes évolutions, et notamment de fortes augmentations de cotisations. II sera donc nécessaire de prévoir des mécanismes atténuateurs pour étaler dans le temps les transferts de charge et de rendre ainsi la réforme soutenable pour les locaux d'habitation et professionnels qui enregistrent les plus fortes révisions de valeurs locatives.

Se posera en particulier la question du maintien ou de la sortie progressive du mécanisme de « planchonnement » pour les locaux professionnels et de la mise en place d'autres mécanismes complémentaires, qui pourraient prendre la forme d'un dispositif de lissage des variations (hausses et baisses) de cotisation dont les modalités et la durée resteraient à définir et d'un système de minoration ou majoration des tarifs catégoriels par des coefficients de localisation, afin de tenir compte de la situation générale de certains quartiers d'habitation comme l'éloignement des transports en commun, la nuisance ponctuelle liée à de grands travaux, le développement particulièrement attractif de certaines infrastructures ou de moyens de transport, etc.

Enfin, cette expérimentation permet de dessiner les contours des modalités pratiques de mise en oeuvre de la généralisation de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation. Compte tenu des résultats des simulations et de l'expérience acquise dans le cadre de la généralisation de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels, la révision des locaux d'habitation pourrait s'articuler autour de quatre grands axes.

D'abord, des modalités simplifiées de collecte des informations nécessaires au calcul des valeurs locatives révisées car il apparaît qu'on peut largement s'affranchir, dans un grand nombre de cas, des données individuelles sur les catégories et les surfaces. En revanche, une collecte des loyers resterait nécessaire, qui pourrait, en ce qui concerne les propriétaires personnes physiques, privilégier au maximum les solutions permettant de collecter les loyers à moindre coût à travers le support d'une déclaration existante, à savoir la déclaration des revenus et ses annexes, et s'agissant des personnes morales, de créer une déclaration spécifique sur la base des échanges de fichiers déjà testés dans le cadre de l'expérimentation conduite dans les cinq départements.

Le deuxième axe verrait la participation des élus et des représentants des propriétaires des locaux d'habitation dans le cadre d'une comitologie « allégée » pour prendre en compte les spécificités du tissu local.

Le troisième axe prévoirait la mise en place d'un dispositif de mise à jour permanente, qui mobiliserait les particuliers, tant occupants que propriétaires.

Le dernier axe aurait trait à la gestion des annexes aux appartements et aux maisons et des dépendances isolées qui, bien que peu nombreuses, ont fait apparaître des difficultés particulières.

Ce rapport contient de nombreux enseignements. Le travail doit à présent se poursuivre avec les parlementaires, afin que des réponses soient apportées à l'ensemble des questions qui demeurent encore en suspens aujourd'hui.

Voilà les éléments précis que je pouvais vous apporter sur un sujet complexe et important.

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