Intervention de Jean Arthuis

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 juin 2012 : 1ère réunion
Economie finances et fiscalité — Audition de M. Jean Arthuis sur la gouvernance de la zone euro

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis :

J'étais impatient de pouvoir échanger avec vous ! Je ne suis pas déçu en écoutant vos questions.

Sur la Grèce, évoquée par M. Yung, la gouvernance européenne a été calamiteuse. Quand les Grecs, membres de l'espace Schengen, n'étaient pas contents, ils ouvraient la frontière ! Que la gouvernance de Schengen n'ait pas permis de prendre des mesures coercitives à l'égard du gouvernement grec est proprement scandaleux ! La Grèce compte onze millions d'habitants et deux millions de clandestins. Si l'on veut y voir fleurir davantage un mouvement néo-nazi, continuons ainsi ! Pas moins de 80 % des clandestins présents dans l'espace Schengen sont passés par la Grèce ! Cette complaisance risque de faire exploser l'Europe et l'idée européenne, car on fait naître des ressentiments qui peuvent devenir dangereux pour la démocratie.

La croissance ? Le terme a été adjoint à celui de « pacte de stabilité », qui sonnait sans doute trop germanique. « Pacte de stabilité et de croissance », c'est beau comme l'antique, mais il faut admettre que la stabilité est facteur de croissance ! Je n'ai que tendresse pour la croissance, je peux vous rédiger un additif au traité sur le sujet, mais ce ne sera que gesticulation pure et simple. Il y a deux chemins pour faire de la croissance : d'abord, injecter des fonds publics dans la machine, en perçant des tunnels, en faisant des deux fois deux voies dans tous les départements, du très haut débit dans tous les cantons ruraux... Mais sans arbitrage pour maintenir l'équilibre des comptes publics, on ne s'en sortira pas. Les dépenses doivent être gagées par des économies. On ne peut refaire le coup du grand emprunt tous les matins : cela reste de la dépense publique, donc de la dette publique en plus !

La croissance, c'est aussi s'interroger sur la compétitivité. Pouvons-nous continuer à financer la protection sociale sur des cotisations assises sur les salaires ? Je n'ouvrirai pas le débat sur la TVA sociale, mais il faudra l'avoir un jour... On peut arrêter d'édicter des normes environnementalistes, de créer des contraintes supplémentaires qui désavantagent les entreprises européennes, de flatter les consommateurs par des importations massives venant de pays qui ne sont pas soumis à ces contraintes. Seulement il n'est pas possible de réguler un peu mieux les droits aux frontières sans un minimum de pouvoir politique ! Tout est bon pour flatter le consommateur, pour faire baisser les prix, jusqu'au jour où les entreprises européennes n'arrivent plus à vivre. À ce jeu, on finit par étrangler les producteurs et on détruit les emplois du privé !

C'est avec de la croissance que l'on pourra recréer des emplois et améliorer le pouvoir d'achat - le vrai, pas les primes de rentrée scolaire qui créent plus d'emplois en Chine qu'en France ! L'ajustement entre les pays qui ont des fonds souverains et ceux qui ont de la dette souveraine sera redoutable... Je tiens comme vous à la croissance, mais il faut un débat sur les voies et moyens !

Sur le fédéralisme, nous sommes d'accord. On a tort d'en faire un tabou, comme de l'Europe, accusée d'être à l'origine de toutes nos difficultés. Mais c'est l'absence de gouvernement qui tue l'image européenne et crée les conditions du chaos. Il faut leur sens au mot, et mettre fin aux tabous. Sinon, on va dans le mur. Le Sénat devrait être un lieu privilégié pour faire vivre un tel débat.

Monsieur Bailly, dans mon esprit, la commission parlementaire que je préconise comprendrait des parlementaires européens. Mais ce sont les parlements nationaux qui subissent les conséquences de la mauvaise gouvernance de la zone euro, et qui doivent voter, dans les lois de finances nationales, des milliards pour les Grecs. Les dettes latentes des Etats membres de la zone euro impactent directement la situation des pays. La gouvernance doit donc se faire aussi sous le contrôle des parlements nationaux. Il est symptomatique que le Parlement européen n'ait pas voulu reconnaître une commission de l'euro ; pour lui, il n'y a que les 27 ! On ne peut continuer ainsi. Les indicateurs de performance des commissaires, c'est le nombre de directives et de règlements qu'ils produisent. Bref, soit de la dépense publique supplémentaire, soit des freins à la compétitivité et à l'emploi !

Selon la Constitution, le parlement vote les lois, contrôle l'action du gouvernement et des administrations publiques et évalue les politiques publiques. À mes yeux, il est presque plus important de contrôler que de légiférer ! Cette commission consultative aurait vocation à exercer un contrôle, à rendre publiques ses observations, à commencer à faire vivre une opinion publique européenne. Je rêve...

Madame Tasca, la BCE est d'essence fédérale - d'où un déséquilibre avec la gouvernance qui, elle, ne l'est pas. Allons jusqu'au bout. La BCE devrait pouvoir exercer un contrôle prudentiel. Il y a eu des progrès depuis la crise de 2008, à la suite de la mission de Larosière : création d'un comité de contrôle du risque systémique et de trois commissions contrôlant respectivement les marchés, les banques, et les assureurs et instituts de prévoyance. Si un Etat édicte des mesures prudentielles plus strictes que ses voisins, il risque de provoquer des délocalisations.

La reconnaissance de la zone euro passe par un traité. Preuve du malaise qui règne aujourd'hui, les chefs d'Etat et de gouvernement des dix-sept se réunissent quand il y a une réunion des vingt-sept... Les vingt-sept Etats ont pourtant tous vocation à intégrer la zone euro à terme : on ne va pas se laisser durablement bloquer par les quelques partenaires, à la stratégie purement insulaire, qui n'en veulent pas ! La crise est un bon levier pour poser de telles orientations en d'autres termes devant l'opinion publique.

La technocratie européenne est un vrai sujet. L'Europe ressemble à une communauté de communes où chacun aurait gardé ses prérogatives municipales, où l'on créerait des impôts et des postes au niveau intercommunal sans en supprimer au niveau communal. Le Trésor européen tel que je l'imagine emploierait des fonctionnaires qui quitteraient Bercy pour Bruxelles.

Monsieur Alfonsi, si nous n'avions pas eu l'euro, je pense que nous aurions fini par avoir le deutschemark ! L'euro était une bonne manière de préserver l'honneur national, mais il faut reconnaître que l'on a partagé une souveraineté. Allons donc jusqu'au bout de la démarche, en améliorant la gouvernance !

S'agissant des règles prudentielles des banques, il faut aller plus loin : que le contrôle soit exercé par une autorité européenne, selon les mêmes méthodes dans l'ensemble des pays de la zone euro. Ce serait une belle avancée vers le fédéralisme bancaire et financier.

Monsieur Humbert, je comprends votre allusion, le mot « fédéralisme » était encore tabou à quelques semaines des élections présidentielles, mais pour ma part, je suis prêt à l'assumer !

Monsieur Gattolin, je n'ai pas d'idée claire sur le mode d'élection du futur président, mais les chefs d'Etat devraient avoir l'humilité de choisir des dirigeants européens suffisamment charismatiques pour permettre à l'Europe d'exister et de faire naître une opinion publique européenne.

Je salue à mon tour la réélection de M. Bertrand : ses compétences pourraient être fort utiles en Grèce ! Je ne remets nullement en cause la PAC. C'est un autre débat...

Émettre des eurobonds, c'est mutualiser la dette. Comme si une intercommunalité allait emprunter pour fournir de l'argent à une commune impécunieuse : sans gouvernance intercommunale, on n'y arrivera pas ! D'autant que la mutualisation a déjà commencé, avec le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et bientôt le mécanisme européen de stabilité (MES). Ce seront bien les dettes des Etat membres qui seront caution ! Ne nous laissons pas abuser par ces montages financiers qui dissimulent la réalité. Il y a trop de liquidités : pour les réduire, il faut que certains passent leurs pertes.

Madame Morin-Desailly, je me suis déplacé dans plusieurs capitales européennes, j'ai envoyé un résumé de mon rapport à mes interlocuteurs. Dans l'ensemble, mes propositions ne sont pas trop mal perçues, mais n'atteignent pas les chefs d'Etat et de gouvernement, qui sont prisonniers dans l'immédiateté de l'action. C'est dire le privilège qui est le mien de pouvoir en débattre devant vous aujourd'hui !

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