Intervention de Gisèle Jourda

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 mai 2016 à 8h40
Politique étrangère et de défense — Perspectives de la politique de sécurité et de défense commune psdc : proposition de résolution européenne et avis politique de mme gisèle jourda et de m. yves pozzo di borgo

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda :

Monsieur le Président, mes chers collègues, entre novembre 2015 et le 26 juin prochain, deux événements ont marqué ou marqueront l'évolution de la politique de sécurité et de défense commune : le premier, c'est le recours par la France à la clause de défense mutuelle du traité de Lisbonne ; le second sera la présentation, lors du prochain Conseil européen de juin, de la nouvelle stratégie globale de politique étrangère et de sécurité, qui définira la feuille de route de l'Union dans ces domaines.

L'activation de la clause de défense mutuelle, le 17 novembre dernier, a été une première. Le recours à la « clause de solidarité » était également concevable, mais cela aurait entraîné une implication des institutions européennes que certains États membres ne souhaitaient pas. Cette clause conditionne par ailleurs l'assistance des partenaires sur le territoire même de l'État victime de l'attaque terroriste à l'impossibilité pour celui-ci d'y faire face seul, ce qui n'était pas le cas de la France en l'espèce.

Le recours à la clause de défense mutuelle a donc été retenu. Lors du conseil « Affaires étrangères », les ministres de la défense des États membres ont exprimé leur soutien unanime et se sont dits prêts à fournir toute l'aide et l'assistance nécessaires.

Chaque pays a ensuite proposé sa contribution, soit pour participer, en Syrie et en Irak, à l'extension et à l'intensification des frappes et du combat contre Daech, soit pour apporter des renforts militaires aux opérations conduites, notamment en Afrique, par la France dans le cadre de missions de l'ONU de maintien de la paix ou des missions civiles ou militaires de la PSDC. Plusieurs États membres ont également souhaité accroître les échanges de renseignements.

Ce recours à une disposition clé du traité de Lisbonne illustre la possibilité de traduire concrètement la solidarité européenne dans le domaine de la défense. Certes, la traduction de cette solidarité s'est faite dans un cadre purement bilatéral - les contributions apportées ne constituent pas des « opérations PSDC » -, mais sa portée symbolique est forte.

Le terrorisme s'ajoute aux autres dangers qui menacent l'Europe et ses citoyens. Il est donc important de prendre appui sur cette dynamique politique pour tenter de refonder le projet d'Europe de la défense ou d'une défense européenne. L'une des premières priorités de l'Union sera de redéfinir son environnement stratégique.

J'en viens au second point : la nécessaire mise à jour de la stratégie européenne.

L'actuelle stratégie européenne de sécurité définit les objectifs diplomatiques et opérationnels de l'Union européenne sur la base d'une évaluation de son environnement qui date de 2003. Ce document reste à ce jour la seule grille de lecture de l'état du monde que l'Union s'est donnée pour fonder ses initiatives diplomatiques et ses réactions aux crises.

Le terrorisme a dramatiquement changé de nature et d'échelle et frappe régulièrement sur les territoires mêmes des États membres. Les voisinages méridional et oriental de l'Union européenne sont en proie ici à des crises ouvertes, là à des tensions très fortes, auxquelles l'Union doit apporter des réponses nouvelles. À propos de ces perspectives nouvelles, quand on voit le temps qu'il a fallu pour mettre en place le Passenger Name Record (PNR), cela donne à réfléchir...

La crise majeure des migrations vers le territoire européen rajoute un facteur de division politique entre les États membres, voire de déstabilisation au sein des plus fragiles d'entre eux.

La crise russo-ukrainienne et ses suites ont accentué l'impératif d'une évolution de la politique de l'Union européenne en matière énergétique par une recherche accrue de diversification des sources d'énergie et des voies de transit.

Les crises syrienne et irakienne ainsi que la lutte contre Daech légitiment un positionnement européen crédible et réactif.

Il s'agit aussi de redéfinir les conditions d'un dialogue structuré avec la Russie, acteur difficile de la crise ukrainienne, mais aussi partenaire incontournable dans la recherche de solutions diplomatiques sur d'autres théâtres de crise, sauf à laisser ce pays dans un tête-à-tête exclusif avec les États-Unis pour gérer des crises internationales dans lesquelles la parole de l'Union, concernée au premier chef, resterait inaudible.

Le Conseil européen a confié à Mme Mogherini le soin d'élaborer, pour sa réunion de juin 2016, une nouvelle stratégie globale de politique étrangère et de défense. Au travers de ce document, l'Union doit s'assigner, conjointement avec les États membres, des objectifs et des priorités. À défaut, il lui faudrait continuer à rechercher, dans l'urgence, des réponses timides aux crises qui menacent ses valeurs et ses intérêts vitaux.

Cette stratégie de politique étrangère et de sécurité devra aussi veiller à mobiliser les autres politiques externes de l'Union. Il faudra ainsi prendre en compte, au-delà des seules menaces « traditionnelles », l'impératif d'autonomie énergétique ou la sécurité des transports, en particulier la protection des infrastructures et approches maritimes, ainsi que la cyberdéfense.

La stratégie devra en outre satisfaire à au moins deux conditions.

En premier lieu, le nouveau document devra être régulièrement actualisé, à la différence de la stratégie de 2003, qui n'a pas fait l'objet de réelle mise à jour durant les treize années suivantes.

En second lieu, si l'élaboration de la nouvelle stratégie sera l'occasion d'une analyse des évolutions de toute nature -migratoires, climatiques, démographiques et économiques - qui pourraient avoir un impact sur les valeurs et les intérêts de l'Union européenne, elle ne devra pas se limiter à cela.

Il faudra aussi élaborer un « document de mise en oeuvre ». Celui-ci devra en décliner, de façon opérationnelle, les conséquences de la stratégie en termes de capacités de défense. Un tel « livre blanc » européen de la défense permettrait d'inciter les États membres à inscrire leurs stratégies nationales de sécurité et de défense dans une démarche collective cohérente.

La stratégie globale et son document de mise en oeuvre devront aussi prendre acte de l'imbrication irréversible des enjeux de sécurité intérieure et des enjeux de défense. Elle devra intégrer le besoin de nouvelles capacités opérationnelles de défense et de nouveaux paramètres de la sécurité intérieure, du contrôle des frontières au partage du renseignement, en passant par des coopérations judiciaires et policières efficaces.

Les procédures européennes et la pratique intergouvernementale devront impérativement jeter entre elles des passerelles. La double fonction de Mme Mogherini, à la fois vice-présidente de la Commission et Haute Représentante de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité, lui donne un rôle central de mise en cohérence des deux démarches.

Le programme européen en matière de sécurité intérieure, présenté par la Commission européenne le 20 avril dernier, va dans le bon sens. Il prévoit notamment de renforcer Europol en améliorant l'échange d'informations et l'interopérabilité des systèmes d'information, de renforcer le Centre européen de lutte contre le terrorisme et de développer la cohérence entre actions extérieures et intérieures en matière de sécurité, par le biais de partenariats avec les pays du bassin méditerranéen.

Quels sont les atouts et les limites de la politique de sécurité et de défense commune ?

La PSDC est par principe cantonnée dans la gestion des crises extérieures au territoire de l'Union européenne. De surcroît, la défense est, et devra rester, un domaine régalien relevant des seuls États membres. Pour autant, l'Union européenne ne peut rester étrangère à sa définition, à son développement et à son financement.

Le bilan des missions civiles et militaires de la PSDC est loin d'être négatif. Six opérations militaires et une dizaine de missions civiles sont en cours. Toutefois ces missions, qui consistent à gérer les crises des autres, tout particulièrement en Afrique, sont confrontées à un certain nombre de limites.

La première limite est financière. Pour les opérations militaires, le mécanisme Athena de financement commun est sous-doté. Avec 70 millions d'euros fournis par les États membres, la marge de manoeuvre est restreinte. Le fonds ne permet de financer, pour l'essentiel, que ce qui est défini comme des coûts communs. Les coûts de soutien les plus lourds relèvent de l'État membre qui fournit les soldats. Ce système ne favorise pas les candidatures aux opérations...

La deuxième limite tient à la disponibilité du renseignement. L'expérience montre la nécessité d'améliorer le partage d'informations, pourtant non classifiées, dont disposent certaines directions générales de la Commission. Mais leur travail « en silo » ne permet pas d'en exploiter pleinement les ressources.

La troisième limite a trait à la cohérence des politiques européennes dans le cadre de l'approche globale. Cette approche est la valeur ajoutée de l'action extérieure de l'Union, en particulier à l'égard de l'OTAN. Elle consiste à intégrer dans une « boîte à outils » variés l'aide au développement et l'assistance humanitaire, l'assistance judiciaire, son action extérieure et de défense, bien sûr, voire sa politique commerciale.

Or, au titre de la politique de développement qu'elle finance, la Commission se refuse, par exemple, à prendre en compte des dépenses liées à la formation des forces de sécurité, prévue dans le cadre de certaines missions, au motif que le traité ne le lui permettrait pas. Ainsi, la formation de militaires centrafricains, qui pourtant n'est pas une activité proprement militaire ou opérationnelle, ne peut pas bénéficier d'un financement européen. Cette interprétation stricte du traité empêche de fournir les équipements basiques nécessaires à une formation et oblige à improviser dans l'urgence des montages comptables.

La France est l'un des nombreux États membres qui, à l'instar d'ailleurs de la Haute Représentante, se battent pour une interprétation juridique de bon sens et pour donner toute sa portée à la mission de construction de capacité en appui à la sécurité et au développement.

Je laisse la parole, pour la présentation de la deuxième partie de ce rapport, à mon collègue Yves Pozzo di Borgo.

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