Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 mai 2016 à 8h40
Politique étrangère et de défense — Perspectives de la politique de sécurité et de défense commune psdc : proposition de résolution européenne et avis politique de mme gisèle jourda et de m. yves pozzo di borgo

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Il faut également une impulsion politique des États membres et une cohérence accrue des politiques européennes.

Pour gagner en efficacité, la stratégie devra renforcer la cohérence des politiques de développement de l'Union en les concentrant sur la consolidation des structures étatiques des pays en sortie de crise, dont la stabilité et le redressement conditionnent notre sécurité intérieure.

La nécessité d'une cohérence et d'une impulsion politiques accrues dans le domaine de la sécurité et de la défense à l'échelle de l'Union justifie, à notre avis, d'instituer sur ces questions un dialogue plus fréquent et plus dense au niveau du Conseil européen.

Un « Conseil européen de sécurité » sur les enjeux de sécurité et de défense qui cristallisent une demande forte des citoyens européens devrait être convoqué annuellement. Cela permettrait une meilleure réactivité dans l'analyse et une évaluation conjointe des menaces, qui stimuleraient la recherche de solutions collectives.

Contrairement à nos collègues de la commission des affaires étrangères et de la défense, pour qui le Conseil européen de sécurité et de défense doit être composé de ministres de la défense ou de l'intérieur des États membres, nous faisons référence à un Conseil réunissant les chefs d'État.

En juin 2013, la commission des affaires étrangères et de la défense, dont j'étais alors membre, s'était aperçue que, au sein du Conseil européen consacré, pour une fois, à la défense, les chefs d'État avaient parlé de tout mais très peu de défense et de sécurité. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons qu'un tel Conseil européen se réunisse plus régulièrement.

Quels sont les obstacles aux ambitions de la PSDC ?

Cette politique devra s'affranchir de pesanteurs anciennes. Deux d'entre elles retiennent particulièrement l'attention.

La première, ce sont les contraintes budgétaires nationales qui pèsent depuis plusieurs années tant sur les investissements de défense que sur le fonctionnement des armées. Elles dissuadent nombre d'États membres, à l'exception notable de la France, de la Grande-Bretagne et, plus récemment, de l'Allemagne, de s'engager sur les théâtres de crises de forte intensité. L'objectif de consacrer 2 % du PIB à la défense, dont un cinquième à la recherche, sera hors de portée pour beaucoup.

Des initiatives sont également indispensables pour donner une portée concrète à l'ambition d'instituer une base industrielle et technologique de défense européenne.

Le législateur européen et les États membres ont une responsabilité conjointe pour réduire la fragmentation du marché européen de défense et l'orienter vers des coopérations capacitaires accrues. La Commission a opportunément innové en 2014 en publiant son plan d'action pour la défense européenne.

Les États membres devraient aussi progressivement coordonner leurs programmes et stratégies d'équipements, pour réduire les doublons et combler les lacunes capacitaires de l'Union.

L'Agence européenne de défense a, depuis le traité de Lisbonne, une visibilité et des compétences juridiques claires, mais elle doit avoir aussi les moyens de jouer un rôle accru d'impulsion et d'accompagnement. Sa structure intergouvernementale, dans une Union à vingt-huit, ne favorise pas un fonctionnement dynamique, et certains États membres veillent jalousement à ce que cette situation perdure...

La participation du budget européen au financement de programmes capacitaires de défense est donc une nécessité. Normaliser les équipements, définir en commun les besoins, investir et acquérir ensemble sont des orientations incontournables. Il y va de l'autonomie stratégique de l'Union européenne.

La Commission vient de lancer une « action préparatoire » dans le cadre de l'AED, qui devrait permettre de démultiplier la capacité d'investissement dans la recherche duale et l'innovation de défense, en la finançant sur le budget européen. À terme, elle renforcera les capacités de recherche et d'innovation de l'Union européenne dans le domaine de la défense, condition du maintien et du renforcement de son savoir-faire industriel et de son autonomie stratégique.

Trois options sont envisageables en vue de desserrer l'étau budgétaire qui restreint les dépenses d'équipement militaire.

Une première possibilité serait d'assimiler les investissements capacitaires des États membres aux investissements consentis dans le cadre du plan Juncker : ainsi, ces dépenses ne seraient pas prises en compte au titre du pacte de stabilité et de croissance.

Une deuxième option serait la mise en place d'un « semestre européen sur les capacités de défense ». Celui-ci définirait des objectifs contraignants en matière de coopération et d'acquisitions conjointes, ainsi que pour la recherche-développement.

Ces deux options ont été présentées par notre collègue Fabienne Keller dans son rapport d'information intitulé « Mieux financer la sécurité de l'Union européenne ».

Une troisième voie, très imaginative, tendant à la création d'un fonds européen de défense, est proposée par M. Thierry Breton. Ce fonds prendrait en compte la part des dettes des États liée à leurs dépenses d'équipements de défense. Il émettrait, à la faveur des très faibles taux actuels, des obligations à très long terme permettant de financer ensemble des capacités mutualisables, tout en réduisant le niveau de la dette. Il serait garanti par une ressource publique certaine, provenant des États membres, à hauteur de l'équivalent de deux points de TVA, ce qui est évidemment très lourd. Cette solution est contestée, mais nous avons jugé nécessaire de la rappeler.

Une autre pesanteur continue de freiner l'émergence d'une défense européenne : la « concurrence » avec l'OTAN. En effet, vingt-deux des vingt-huit États membres de l'Union sont aussi parties à l'Alliance atlantique et à son organisation militaire intégrée. Certains États membres, en particulier, mais pas seulement, le Royaume-Uni, ne sont pas favorables à une institutionnalisation et à une visibilité trop fortes de la PSDC. S'il est favorable à un engagement dans certaines opérations militaires de haute intensité, auxquelles d'ailleurs il participe lui-même, le Royaume-Uni ne souhaite pas qu'il s'opère sous le drapeau européen.

Pourtant, les deux organisations, OTAN et Union européenne, ont déjà conclu des partenariats fondés sur leur complémentarité, dans le respect de l'autonomie et de l'intégrité institutionnelle de chacune. De plus, la réorientation stratégique des États-Unis vers l'Asie et le Pacifique donne davantage encore de pertinence à une responsabilisation accrue du pilier européen de défense.

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