Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 5 juillet 2016 à 19h00
Institutions européennes — Audition de M. Harlem Désir secrétaire d'état chargé des affaires européennes sur les conclusions du conseil européen des 28 et 29 juin

Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes :

Merci pour votre invitation. Vous avez souhaité élargir cette audition traditionnelle après les Conseils européens aux membres des autres commissions du Sénat : le choc du référendum le justifie amplement.

Le Conseil européen des 28 et 29 juin derniers avait un caractère inédit puisque pour la première fois, les chefs d'État ou de gouvernement se réunissaient après la tenue d'un référendum qui a décidé la sortie d'un de ses membres. Cet événement est d'une portée exceptionnelle parce que c'est la première fois qu'un pays quitte l'Union européenne et parce qu'il s'agit du Royaume-Uni, l'une des plus grandes économies de l'Europe et un acteur mondial. En outre, malgré les particularités du rapport des Britanniques à l'Europe, il est un puissant révélateur d'une crise européenne plus large.

L'onde de choc de cet événement n'a pas fini de se propager, à l'intérieur du Royaume-Uni mais aussi dans l'Union européenne. Dans l'immédiat, celle-ci doit faire face à deux questions : la sortie du Royaume-Uni et l'avenir du projet européen.

Le déroulement lui-même inédit du Conseil européen, se réunissant d'abord à 28, puis, de façon informelle, à 27 sans le Premier ministre britannique, a été ordonné par l'examen de ces deux questions. La France, l'Allemagne et l'Italie, qui s'étaient réunies la veille à Berlin, ont affirmé qu'il fallait répondre à ces deux questions avec clarté, afin de réduire les incertitudes qui pèsent sur l'Europe en raison du risque financier et économique, mais aussi du risque politique pour la cohésion de l'Union.

Lors du dîner du 28 juin, le Premier ministre britannique David Cameron a attribué son échec au référendum à la libre circulation des personnes et à l'immigration de citoyens européens au Royaume-Uni. Il a considéré que le paquet agréé au Conseil européen de février avait été insuffisant pour emporter un vote favorable. Invité à activer l'article 50 pour engager la négociation sur la sortie, il a confirmé qu'ayant démissionné, il laissait cette initiative à son successeur. Il s'est dit conscient que son pays devrait à présent « changer de maison », tout en exprimant le souhait de conserver des liens aussi étroits que possible avec l'Union. En attendant sa sortie, il a indiqué que son pays continuerait à assumer ses droits et ses obligations d'État membre. Il proposera ainsi au président de la Commission européenne la nomination d'un nouveau commissaire après la démission de Jonathan Hill. Il s'est dit attaché au rôle que pourraient jouer les députés européens du Royaume-Uni jusqu'à l'achèvement de la procédure de sortie de son pays.

Le lendemain, à 27, la session informelle a porté principalement sur les initiatives à prendre pour l'avenir de l'Union européenne : la déclaration adoptée à cette occasion les précise selon une ligne conforme à nos orientations.

Premièrement, l'Europe doit consolider une approche commune ordonnée de la négociation de sortie : elle doit faire en sorte qu'elle se déroule dans la clarté et le respect des traités. Il convient de rappeler que l'article 50 constitue le seul cadre de négociation envisageable et qu'il doit être activé le plus rapidement possible. La négociation doit se dérouler sur une période maximale de deux ans et c'est à la majorité qualifiée que les décisions seront prises. En outre, il ne peut y avoir de négociation d'aucune sorte tant que cette notification n'a pas eu lieu. Le Royaume-Uni ne pourra donc tenter d'engager des pourparlers séparés avec tel ou tel État membre, en dehors de la négociation qui sera conduite sous l'égide de la Commission européenne, contrôlée par le Conseil européen. Il reviendra à ce dernier d'adopter des lignes directrices pour la conduite de la négociation. Les 27 ont également rappelé que le Royaume-Uni allait rester, pendant toute cette période, un membre à part entière de l'Union avec ses droits et ses obligations : il continuera à contribuer au budget européen, à appliquer les directives européennes et à être soumis à la juridiction de la Cour de justice de l'Union européenne.

Nous regrettons le choix des citoyens britanniques et nous n'avons cessé de dire avant le vote que nous souhaitions que le Royaume-Uni reste au sein de l'Union, avant tout pour son propre intérêt. Ce qui s'est passé depuis le confirme, qu'il s'agisse des conséquences économiques ou des risques concernant son intégrité, avec les revendications des autorités de l'Écosse. L'irresponsabilité dont font preuve les tenants du Brexit, démissionnant successivement de leurs fonctions, ne fait qu'ajouter à cette conviction qu'il s'agissait d'une voie dont l'issue n'était pas préparée.

Les relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union devront impérativement être équilibrées : si ce pays souhaite avoir accès au marché unique, il devra obligatoirement accepter chacune des quatre libertés - liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Il était important que les 27 le rappellent. Des pays non membres de l'Union, comme la Norvège ou la Suisse, ont souhaité avoir un accès au marché intérieur européen : en contrepartie, ils ont dû accepter la circulation des personnes, mais aussi leur participation au financement des politiques européennes. Comme le voulait Jacques Delors au moment de l'Acte unique, le marché intérieur va de pair avec des mécanismes de cohésion. Tout cela n'avait pas été dit très clairement par les partisans du Brexit.

La deuxième grande question est celle de l'avenir de l'Union européenne. Comment mieux répondre aux grands défis auxquels l'Europe est confrontée et qui, faute de réponses, mènera au rejet ou à l'abandon du projet européen ? Que voulons-nous faire ensemble ? Au-delà de l'expression des particularités du rapport des Britanniques à l'Europe, je vois dans le résultat de ce vote le reflet d'une crise européenne plus large et de fractures sociales, géographiques et générationnelles. Certains de nos citoyens craignent la mondialisation et l'immigration. Nous devons refuser la réponse des populistes, mais nous ne pouvons nier la réalité de ces questions qui ne se réduisent pas à la crise britannique et qui existaient bien avant le référendum. En outre, du fait de cette échéance, nombre de questions, comme l'Europe de la défense, n'ont pas été abordées, de crainte de gêner le Premier ministre britannique pendant la campagne référendaire.

Après l'échec du référendum, les chefs d'État et de Gouvernement ont d'abord délivré un message de détermination à agir ensemble, sans nier la réalité de la désaffection à l'égard de l'Europe. Les priorités esquissées dans la déclaration des 27 pour répondre à ces attentes correspondent à celles de la France, de l'Allemagne et de l'Italie exprimées à l'issue de leur rencontre du 27 juin à Berlin. La relance européenne doit répondre aux grandes nécessités du moment : sécurité, contrôle des frontières communes, défense, soutien à la croissance, à l'investissement et à l'emploi, convergence sociale et fiscale et initiatives en faveur de la jeunesse. La majorité des jeunes britanniques a d'ailleurs souhaité le maintien dans l'Union. En outre, dans beaucoup d'États membres, la jeunesse est confrontée à un chômage élevé. Si l'on veut préparer l'avenir de l'Union, il faut le faire avec les jeunes générations en leur permettant de s'approprier davantage l'espace européen : nous devrons « fabriquer » de la citoyenneté européenne.

Cette relance doit porter l'idée d'une Europe qui protège et qui se projette dans le monde et dans l'avenir. Elle doit reposer sur des réformes pragmatiques mais aussi et surtout redonner un sens au projet européen, dans cette période troublée.

Une réflexion politique est engagée et une réunion informelle se tiendra en septembre à Bratislava, à l'invitation de la présidence slovaque : des mesures concrètes devront être rapidement prises.

Si la question britannique a dominé, ce Conseil européen a aussi adopté des conclusions sur d'autres points à l'agenda.

Sur les migrations d'abord, les conclusions portent sur les aspects externes concernant la route des Balkans et celle de la Méditerranée centrale, et la poursuite de la mise en oeuvre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. Cet accord fonctionne puisque les flux en mer Égée sont quasiment interrompus, mais le processus de réinstallation des réfugiés en Turquie doit encore s'améliorer, ainsi que la relocalisation de la cinquantaine de milliers de réfugiés bloqués en Grèce, avant l'entrée en vigueur de l'accord avec la Turquie. Ayant accepté d'accueillir 30 000 réfugiés au cours des deux prochaines années, la France est le premier pays de relocalisation.

Les conclusions du Conseil européen ont aussi porté sur le renforcement du partenariat avec les pays africains dans le cadre du plan d'action de La Valette.

Sur les questions économiques, les conclusions ont concerné l'approfondissement du marché unique, notamment dans le domaine du numérique, où nous avons veillé à maintenir l'équilibre entre les enjeux de croissance et de protection des créateurs.

Les conclusions reconnaissent également les résultats concrets très positifs du plan Juncker et l'invitation faite au Parlement européen et au Conseil d'examiner très rapidement les propositions de prolongation que va formuler la Commission européenne. Nous soutenons bien sûr cette démarche, qui bénéficie à notre pays.

Elles ont aussi porté sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, avec les travaux qui se poursuivent sur la base du rapport des cinq présidents. Le Conseil Ecofin a en particulier adopté une feuille de route pour compléter l'Union bancaire.

Il a également été question des enjeux de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, avec en particulier les deux révisions récentes de la directive sur la coopération administrative, pour rendre plus transparentes les pratiques fiscales des multinationales en Europe.

Concernant l'agriculture, la Commission devra présenter des mesures additionnelles pour faire face aux tensions sur les marchés du lait et de la viande de porc.

Enfin, sur les questions internationales, le Conseil européen a accueilli avec satisfaction la présentation par la Haute Représentante de la stratégie globale de sécurité de l'Union européenne, texte qui reprend nos grandes priorités. Nous devons maintenant veiller à sa bonne déclinaison opérationnelle, en particulier sur les enjeux de défense commune de l'Union.

Je me réjouis de la création d'un groupe de suivi au Sénat. Il faudra examiner les milliers de pages de l'accord qui sera conclu avec le Royaume-Uni et qui aura de multiples conséquences dans tous les domaines.

Voici venu le moment de défendre le projet européen, de l'améliorer, de l'armer pour répondre aux nouveaux défis de notre temps, mais aussi de le revendiquer, de rappeler ses acquis de paix, de démocratie, de solidarité. Nous devons dire notre refus de le laisser détruire par les extrémistes, les populistes, les nationalistes. Aujourd'hui, le projet européen doit franchir une nouvelle étape : l'Union est confrontée à des enjeux de sécurité en raison de la multitude de crises et de guerres qui l'environne, depuis l'Ukraine jusqu'à la Libye, en passant par le Moyen-Orient. La quasi-totalité des crises mondiales se situent dans son environnement proche. L'Europe doit prendre en charge sa sécurité pour défendre son modèle de société, sa liberté, ses intérêts et pour projeter plus de stabilité à l'extérieur de ses frontières. Initialement, l'Europe a été bâtie autour de questions économiques : elle doit donc s'adapter pour répondre aux enjeux de sécurité et de protection. C'est d'ailleurs ce que nous avons commencé à faire avec la mise en place des gardes-frontières et des garde-côtes européens : la nouvelle agence des frontières devra être dotée des moyens nécessaires. Notre politique de l'asile et de l'immigration devra être plus harmonisée. Nous devrons également mutualiser notre politique de la défense en finançant les opérations extérieures communes mais aussi la recherche et le développement industriel. En outre, bien qu'existants, les battle-group n'ont pas été utilisés. Les opérations extérieures ont été menées par des États membres, comme la France l'a fait au Mali. Une évolution est donc souhaitable.

Enfin, la cohésion économique et sociale doit être renforcée, en particulier pour la zone euro. Depuis la création de la monnaie unique, les divergences se sont accrues, ce qui explique les turbulences qui ont affecté l'Europe du sud, après la crise financière de 2008. La convergence économique et fiscale est donc indispensable. Alors que la croissance revient, nous devons conforter la reprise pour qu'elle bénéficie à tous les pays de la zone euro. C'est ainsi que nous gagnerons la bataille de l'opinion publique. La jeunesse devra profiter bien plus de l'espace européen : le programme Erasmus est un grand succès. Il concernera quatre millions de jeunes étudiants de 2014 à 2020. Mais il n'y a pas de raison que d'autres jeunes ne puissent en bénéficier : je pense en particulier aux jeunes en apprentissage, en formation professionnelle et en service civique. Tous les jeunes européens doivent connaître une période européenne de formation pour s'inscrire dans cet espace de citoyenneté européenne.

Avec l'Allemagne, nous allons travailler sur ces priorités qui seront au coeur de la rencontre de Bratislava.

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