Intervention de Roland Ries

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 février 2013 : 1ère réunion
Subsidiarité — Quatrième paquet ferroviaire - communication et proposition de résolution portant avis motivé de m. roland ries

Photo de Roland RiesRoland Ries :

Le quatrième paquet ferroviaire est un sujet sensible. Il concerne l'ensemble du réseau ferroviaire français, mais aussi européen, sa gouvernance, son statut juridique et leurs conséquences sur le personnel. Ne confondons pas les débats : il s'agit maintenant de savoir si la Commission européenne est restée dans son périmètre de compétence. Il me semble qu'elle l'outrepasse sur deux points.

Le 30 janvier dernier, la Commission européenne a suivi le projet de quatrième paquet ferroviaire du commissaire aux transports, M. Siim Kallas. Cette expression désigne trois projets de règlements, trois projets de directives, une communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, trois rapports et neuf études d'impact, pour la plupart consacrées aux transports de passagers.

Le volet technique du quatrième paquet ne pose aucun problème de subsidiarité, ni de proportionnalité. Le principe de subsidiarité peut en revanche être invoqué dans deux cas : les limites à la création de structures intégrées ; les conditions mises à l'offre de services ferroviaires aux passagers hors des frontières nationales.

Traditionnellement, des monopoles nationaux géraient les infrastructures et faisaient rouler des trains. Depuis 1991, la distinction comptable est obligatoire, mais aucune séparation organique n'avait été imposée entre gestionnaire et opérateur. Dix ans plus tard, les fonctions essentielles du gestionnaire de l'infrastructure, c'est-à-dire au minimum l'attribution des sillons et leur tarification, ont dû être organiquement séparées des activités de transport. La France a créé Réseau ferré de France (RFF) dès 1997, surtout afin de reprendre la dette de la SNCF et de la reporter, au moins partiellement, sur les entreprises concurrentes via les redevances d'utilisation.

Selon la Commission, plus de la moitié des vingt-cinq États membres concernés ont institué une séparation institutionnelle totale entre gestionnaire de l'infrastructure et opérateur historique de transports. RFF et la SNCF ont des rôles clairement distincts, mais celle-ci intervient parfois comme maître-d'oeuvre délégué ou comme maître d'ouvrage délégué. L'Allemagne, elle, a constitué à partir de 1994 une société holding avec des filiales spécialisées : dans la nébuleuse chapeautée par la holding Deutsche Bahn, la filiale DB Netz gère les infrastructures, attribue les sillons et recueille les redevances pour usage des voies ferrées, DB Station&Service gère les gares de voyageurs, DB Fernverkehr (ex-DB Reise&Touristik) transporte les voyageurs sur les grandes lignes, DB Regio intervient pour les services voyageurs locaux ou régionaux, et Railon Deutschland (l'ancienne DB Cargo) pour le fret.

Face à l'hétérogénéité des solutions nationales, la Commission européenne a engagé des actions contentieuses auprès de la Cour de justice de l'Union européenne contre les États membres n'ayant pas opté pour une scission totale, les accusant d'avoir maintenu des liens d'intérêt prohibés entre gestionnaires de l'infrastructure et opérateurs historiques de transports. Leur principal résultat est que le ministre belge des entreprises publiques a annoncé le 9 janvier une scission totale entre son gestionnaire de réseau Infrabel et la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB), dénommée en flamand Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen (NMBS). À ce jour, les poursuites engagées par la Commission européenne n'ont pas abouti à des arrêts ; l'avis de l'avocat général tend à valider le modèle allemand.

En revanche, les autorités nationales de la concurrence se sont montrées plus sourcilleuses et sévères que les instances communautaires en matière d'obstacles mis à l'arrivée de nouveaux opérateurs. En matière de fret ferroviaire, l'Autorité française de la concurrence a infligé une amende record de 60,9 millions d'euros à la SNCF, alors que seuls des comportements individuels fautifs avaient été mis en évidence. De même, l'Autorité allemande de la concurrence a incriminé le système de tarification « TPS 1998 » en vigueur outre-Rhin, car la redevance de DB Regio était de 25 % à 40 % plus faible que celle acquittée par ses concurrents. Alors que l'ouverture à la concurrence est facultative pour le transport de passagers, l'Autorité italienne a infligé une amende de 300 000 euros à la holding Ferrovie dello stato dont les filiales Rete ferroviaria italiana et Trenitalia entravaient la venue d'un nouvel opérateur sur la très rentable ligne Milan-Turin.

Cela n'a nullement dissuadé M. Siim Kallas de vouloir imposer aux États membres une séparation organique absolue entre le gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire et tout opérateur de transport. Que la France et l'Allemagne soient énergiquement intervenues pour éviter un système incompatible avec leur organisation nationale est un secret de polichinelle.

Le quatrième paquet tolère tout juste la structure en holding, sous réserve, selon le communiqué de la Commission, que des « murailles de Chine strictes » soient dressées pour « garantir la séparation juridique, financière et opérationnelle. Ces mesures comprennent notamment la mise en place d'organes décisionnels totalement distincts, pour prévenir les pratiques discriminatoires, des flux financiers séparés, des systèmes informatiques distincts pour éviter les fuites d'informations commerciales confidentielles, enfin, de stricts délais pour le transfert des personnels, de manière à éviter les conflits de loyauté ».

La Commission européenne veut en outre interdire toute délégation par le gestionnaire de réseau à un opérateur de transport relevant de la même entreprise intégrée que le gestionnaire. Il y a bien sûr là une allusion transparente à l'activité de maître-d'oeuvre délégué et de maître d'ouvrage délégué pratiquée par la SNCF pour le compte de RFF, que la Commission européenne a toujours eue dans son collimateur. Tous ces interdits et contraintes figurent dans les articles 7 bis à 7 quater que la Commission européenne souhaite ajouter à la directive 2012/34 du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen : tout se passe comme si l'on encadrait strictement une holding dont l'existence n'était concédée que du bout des lèvres.

L'alinéa 5 de la nouvelle mouture de l'article 7 interdit implicitement de créer de nouvelles sociétés holding après l'entrée en vigueur de la nouvelle directive. Seule sa première phrase est critiquable : « Si à la date d'entrée en vigueur de la présente directive, le gestionnaire de l'infrastructure appartient à une entreprise verticalement intégrée, les États membres peuvent décider de ne pas appliquer les paragraphes 2 à 4 du présent article ». En clair, une institution historique comme la SNCF serait sur le même plan que n'importe quel opérateur qui viendrait la concurrencer. Et la Commission européenne a précisé dans sa note du 30 janvier que « la création de nouvelles structures holding dans le secteur ferroviaire ne serait plus possible ». Rien ne justifie l'interdiction définitive de créer une nouvelle structure en holding. Ce serait contraire au principe de subsidiarité, parce qu'elle excède la mesure nécessaire pour atteindre le but fixé.

Les services nationaux de transport ferroviaire de voyageurs représentent actuellement 94 % des voyages par voie ferrée au sein de l'Union européenne. Dans leur quasi-totalité, ces déplacements se déroulent dans un cadre de service public, avec 90 % des déplacements de passagers dans l'Union, mais seulement 47 % des voyageurs-kilomètres en raison de la brièveté des parcours quotidiens.

Dans ce cadre, l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs à l'horizon 2019 pourrait passer par la proposition de services commerciaux concurrents ou par la participation à des appels d'offres. La disposition critiquable est la suivante : « A la demande d'un État membre ou de sa propre initiative, la Commission décide si les gestionnaires de l'infrastructure qui font partie d'une entreprise verticalement intégrée répondent aux exigences des articles 7 bis et 7 ter et si la mise en oeuvre de ces exigences est suffisante pour offrir des conditions de concurrence équitables à toutes les entreprises ferroviaires et garantir l'absence de distorsions de concurrence sur le marché concerné ». L'alinéa premier de l'article 7 quater doit être rapproché de l'alinéa 5 : « L'État membre concerné peut demander à la Commission d'abroger la décision qu'elle a prise au sens du paragraphe 3 conformément à la procédure visée à l'article 62, paragraphe 2, lorsqu'il démontre, à la satisfaction de la Commission, que les motifs de la décision n'existent plus ».

La note de présentation explique : « les entreprises ferroviaires appartenant à une structure verticalement intégrée pourraient se voir interdire d'opérer dans d'autres États membres si elles n'ont pas d'abord convaincu la Commission de la mise en place des garanties appropriées assurant l'indépendance juridique, financières et opérationnelles requises pour assurer effectivement le maintien de conditions égales de concurrence et l'existence d'un accès équitable des autres opérateurs à leur marché national d'origine ». En clair, ces opérateurs de transport devront convaincre la Commission européenne que le gestionnaire de réseau national ne les protège pas. Dans le règlement OSP déjà, les entreprises in house ne peuvent aller sur les marchés extérieurs.

Ainsi, ces opérateurs seraient concurrencés de plein droit sur leur marché national, mais la réciproque ne serait pas assurée, puisque la Commission européenne pourrait leur refuser souverainement le droit d'offrir des services de transport de voyageurs hors de leur pays d'origine. Bien que la Commission ait tout le loisir de saisir la Cour de justice de l'Union européenne avant l'échéance de 2019 si le fonctionnement de la holding ne comporte pas la « muraille de Chine » exigée, l'ouverture à la concurrence des transports internes de passagers dans six ans lui ouvrirait une nouvelle fenêtre de tir, soumise à sa seule appréciation.

L'absence de tout critère d'appréciation me paraît de nature à créer une grande incertitude, tant pour les États membres que pour les opérateurs : la Commission serait investie de prérogatives qui excéderaient manifestement ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi. C'est pourquoi je vous propose d'adopter un avis motivé.

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