Intervention de Daniel Raoul

Commission des affaires européennes — Réunion du 5 novembre 2015 à 8h35
Agriculture et pêche — Recherche et propriété intellectuelle - brevetabilité des variétés végétales : communication de m. daniel raoul

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

Les décisions dites « brocoli II » et « tomate ridée II » portent sur l'interprétation à donner à l'exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques d'obtention végétale. Depuis les années 1970, la protection des variétés végétales a été assurée par le certificat d'obtention végétale (COV). Ce dispositif a été institué pour tenir compte de la spécificité du processus d'innovation dans le domaine végétal. Il se distingue du brevet d'invention qui, a contrario, occupait traditionnellement la portion congrue en la matière. La directive du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques exclut de la brevetabilité les variétés végétales, qui sont protégées par le COV, et les procédés essentiellement biologiques pour l'obtention des végétaux, c'est-à-dire des procédés qui consistent en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection. Il consacre aussi la brevetabilité de toute une série d'innovations relevant de la sélection végétale. Le champ du brevet s'est depuis lors très élargi, au détriment du COV.

Dans ce contexte, l'OEB a rendu deux séries de décisions dans des affaires relatives au brocoli et à la tomate ridée, la première en 2010 et la seconde en 2015. Dans le cas du brocoli, le titulaire du brevet, déposé en 2002, avait créé une nouvelle variété anti-carcinogène obtenue à la fois par croisement naturel et par une intervention technique. Dans le cas de la tomate, il s'agissait d'un brevet obtenu en 2003 pour une variété ayant une teneur en eau réduite qui lui permet de sécher naturellement sans pourrir, d'où le terme de tomate ridée.

Saisie d'un contentieux relatif à ces brevets, la grande chambre de recours de l'OEB a jugé en décembre 2010 que ne sont pas brevetables les procédés reposant sur le croisement et la sélection des plantes, même si des interventions techniques sont nécessaires pour réaliser ce croisement ou cette sélection. Pour être brevetable, l'intervention technique humaine doit introduire des modifications artificielles dans le génome de la plante. Ces décisions sont importantes car elles précisent ce qu'est un procédé essentiellement biologique.

Dans une seconde série de décisions du 25 mars dernier portant sur les mêmes variétés végétales, la grande chambre de recours de l'OEB a jugé que l'exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques ne concerne pas les variétés végétales obtenues par ces procédés, même si certaines législations nationales en disposent autrement. Autrement dit, la variété végétale est brevetable, même si le procédé ne l'est pas. Cette décision difficilement interprétable est plutôt une décision d'appel pour que l'Europe lève dans une nouvelle directive l'ambiguïté de celle de 1998.

La mise en oeuvre de ces dernières décisions va susciter des difficultés, car elles sont contraires aux législations, allemande et néerlandaise par exemple, ou aux pratiques nationales, comme celles de l'Institut national de propriété intellectuelle (INPI) qui intègre dans sa pratique l'interprétation résultant des décisions de 2010 : il considère que l'exclusion de la brevetabilité s'étend aussi aux variétés végétales obtenues par des procédés essentiellement biologiques. Les décisions de 2015 compliquent donc la façon dont s'articulent brevet et COV.

Les ministres de l'agriculture des Vingt-huit, à l'occasion d'un déjeuner en marge du Conseil agricole le 22 octobre dernier, ont convenu dans un certain consensus que l'Union européenne doit éviter d'accorder des brevets à des variétés obtenues par des méthodes de sélection classique. Les États membres craignent que cela n'entrave la recherche et l'innovation européenne en affectant l'exemption dont bénéficient les semenciers dans le cadre du COV. En attendant une clarification de la situation, l'OEB continue de délivrer des brevets à des cultures conventionnelles comme, par exemple, un poivron sans pépins développé par l'entreprise Syngenta.

Lors de notre table ronde, les personnes auditionnées ont insisté sur l'obsolescence de certaines dispositions de la directive de 1998. Cette situation est due en particulier à l'évolution technologique dans le domaine génétique, à la concentration observée dans ce secteur industriel et au champ plus large des brevets. Les décisions de l'OEB du 25 mars dernier mettent en évidence d'éventuelles divergences d'application de ce texte. Toutefois, beaucoup ont considéré qu'il paraissait extrêmement difficile de modifier cette directive et ont plutôt évoqué la nécessité d'une clarification jurisprudentielle à l'occasion d'une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne dont la décision devrait alors s'imposer à l'OEB.

Trois critères sont considérés pour délivrer un COV : la plante doit être différente, homogène et stable dans la reproduction (DHS). Le matériel de cette plante peut être utilisé pour reconstruire une autre plante qui n'aura pas les mêmes propriétés DHS et qui pourra servir aux chercheurs sans avoir à payer de redevances.

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