En préambule, je remercie Richard Yung pour son travail sur le règlement européen de renforcement de la résilience des banques. Ce règlement d'harmonisation avait reçu une succession d'exemptions au bénéfice des banques anglaises et des succursales des banques américaines ; au point que des douze établissements considérés comme présentant un risque systémique, il n'en restait plus que trois, dont deux français... Assumant pleinement le rôle que nous donne la Constitution, nous avons, en conférence de presse, fait connaître notre mécontentement vis-à-vis de cette réforme, sans exclure un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne. Le président du Sénat s'est dit très satisfait du résultat de notre travail.
Nous examinons le rapport d'information de Jean-Paul Emorine et Didier Marie sur la mise en oeuvre du plan d'investissement pour l'Europe, ainsi qu'une proposition de résolution européenne et un avis politique. Nos rapporteurs ont déjà présenté devant notre commission les enjeux et l'économie de ce plan qui n'a pas manqué de susciter des interrogations. Mais nous vivons une époque où l'argent public se raréfie, alors que l'argent privé abonde ; il faut par conséquent le mobiliser et le faire circuler. C'est l'esprit du plan ; s'il fonctionne, il ouvrira une nouvelle ère dans le financement de l'investissement.
Le jour même de la présentation du plan au Parlement européen, en novembre 2014, nous avons adopté un avis politique, suivi d'un second en février dernier et d'une proposition de résolution européenne. Amendée par le rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, celle-ci a été adoptée le 24 mars, le Sénat soulignant à cette occasion sa vigilance sur la place qu'y auront les collectivités territoriales. Le dispositif étant opérationnel depuis l'automne, il était nécessaire de faire un point sur sa mise en oeuvre, à la veille du Congrès des maires. Il serait souhaitable de communiquer davantage sur notre travail auprès des collectivités territoriales ; alors que la dotation de l'État est en baisse de 10,7 milliards d'euros, ce plan offre aux maires des possibilités d'investir autrement.
Un an après la présentation des grandes lignes du plan, nous avons jugé utile de vous rendre compte de l'état d'avancement de ce projet ambitieux en nous appuyant sur une série d'auditions.
Le plan vise à injecter dans l'économie européenne 315 milliards d'euros par le biais d'un fonds européen pour les investissements stratégiques, le FEIS, géré par la Banque européenne d'investissement (BEI). Les projets financés, qui autrement ne trouveraient pas de soutien sur les marchés, relèvent de sept secteurs prioritaires dont l'énergie, le numérique, la recherche, l'éducation, la formation et la santé. Un troisième volet de nature réglementaire, pour l'instant peu avancé, est destiné à créer un environnement propice aux investissements.
Le mécanisme est détaillé dans le rapport : l'Union européenne apporte une garantie à la BEI pour financer plus de projets qu'elle ne le fait actuellement, voire de financer des projets à risque d'un genre nouveau. L'engagement de la BEI, appuyé sur sa notation AAA, justifiera le sérieux des projets et facilitera la mobilisation des banques nationales de développement et des capitaux privés.
Le règlement instituant le FEIS est entré en vigueur le 4 juillet 2015. Le 22 juillet, un accord a été signé entre la BEI et la Commission européenne sur les méthodes de travail du fonds et une communication sur la contribution des banques nationales de développement a été publiée. Les organes de gouvernance se sont mis en place. Les quatre membres du comité de pilotage qui décide de l'orientation stratégique du Fonds ont été nommés ; trois sont issus de la Commission européenne, et le quatrième est un vice-président de la BEI, Ambroise Fayolle, que nous avons auditionné. Le directeur exécutif du fonds et son adjoint - un ancien vice-chancelier autrichien et une Bulgare passée par la direction de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) - ont été approuvés par le Parlement européen. Enfin, le comité d'investissement chargé d'étudier l'éligibilité des projets au FEIS comprend, en plus du directeur exécutif, huit experts européens en passe d'être nommés - les auditions sont en cours.
Depuis le début juillet, les choses avancent assez vite au regard des habitudes européennes, d'autant que 21 projets, déjà validés en parallèle par la BEI, seront proposés aux comités d'investissement et de pilotage pour l'éligibilité à la garantie du FEIS. Les dossiers non retenus seront assumés par la BEI dans son bilan annuel. C'est important, car l'adoption des premiers projets peut convaincre les hésitants et ouvrira par l'exemple la voie à d'autres projets. Le déploiement des plateformes d'investissement prévues dans le FEIS suscite de fortes attentes. Ce sont des mécanismes de co-investissement structuré, thématiques ou géographiques, destinés à canaliser les investissements vers un ensemble de projets plutôt que vers un seul. Leur objectif est non seulement de réduire les coûts de transaction et d'information, mais aussi de répartir les risques entre les différents investisseurs.
Or il ressort de nos auditions que la mise en place de ces plateformes est plus lente que prévu ; elles sont pourtant un maillon essentiel, en particulier pour les collectivités territoriales en leur permettant de se regrouper autour d'un projet commun et d'atteindre le seuil nécessaire pour demander un financement. C'est pourquoi nous appelons dans la proposition de résolution européenne et dans l'avis politique à leur établissement rapide.
Nos auditions nous ont appris que la BEI, par nature très prudente puisqu'elle soutient des projets de long terme, s'est montrée prête à prendre davantage de risques pour la mise en oeuvre du plan d'investissement - elle en est du reste à l'origine. Omnes Capital, une société de capital-risque qui participe au fonds Capenergie 3 visant des investissements dans les énergies renouvelables, a obtenu une participation de 50 millions d'euros de la BEI ; sans la garantie du FEIS, estiment ses dirigeants, cette participation n'aurait pas dépassé 15 à 20 millions d'euros.
Tout en reconnaissant les progrès et le travail accompli en quelques mois, il convient de rester prudent. D'abord, les projets doivent encore obtenir le label FEIS et le comité de sélection n'est pas encore en place. La BEI, qui a instruit les dossiers, estime qu'ils relèvent de la garantie du plan Juncker, mais la décision n'est pas encore prise. Ensuite, il reste l'inconnue de l'engagement des investisseurs privés sur lequel repose le fameux effet de levier. C'est la part de risque du plan...
Le troisième volet du plan, qui vise à créer un environnement réglementaire favorable aux investissements, est certainement la partie la plus longue à concrétiser et reste assez prospectif. C'est pourquoi, à ce stade, il est encore trop tôt pour se prononcer ; je vous renvoie néanmoins aux travaux de Richard Yung et moi-même sur l'union des marchés de capitaux et à la résolution européenne que nous avons adoptée sur le sujet. Aux États-Unis, les investissements des entreprises sont financés à 70 % sur les marchés de capitaux ; dans l'Union européenne, à 40 %. Il importe par conséquent de renforcer la mobilisation de capitaux, en particulier pour les PME - je rappelle qu'au niveau européen, sont considérées comme telles les entreprises de moins de trois mille salariés.
Concernant les collectivités territoriales, une incompréhension mérite d'être surmontée. Il est vrai - le Comité des régions et notre commission l'ont souligné - qu'elles ne sont pas assez associées à la mise en place du plan d'investissement, mais il n'est pas trop tard pour bien faire : nous demandons que les collectivités territoriales soient consultées sur les lignes directrices d'investissement qui vont venir préciser les critères d'éligibilité des projets.
Nous avons aussi constaté que la communication très optimiste de la Commission européenne sur le plan Juncker avait pu laisser croire aux collectivités territoriales que ce plan leur était destiné. Il leur apparaissait comme un plan de subventions analogue à ceux que la politique régionale a pu proposer. Or tel n'est pas le cas.
Le plan a vocation à financer des projets susceptibles de reconstruire un tissu industriel en Europe. Par conséquent, il ne concerne pas uniquement les collectivités territoriales, mais l'ensemble des acteurs publics et privés susceptibles d'initier et de porter des projets dans les sept secteurs visés. Nos collectivités peuvent porter ces projets au même titre que des entreprises, des fonds de capital-risque ou des banques. À Bruxelles, il nous a été précisé que les collectivités devraient porter les projets par l'intermédiaire d'acteurs extérieurs - par la voie d'une concession ou autre délégation de service public. Le plan d'investissement ne propose pas de subventions, mais une garantie sur des financements de projets qui ne trouvent pas de soutien sur les marchés financiers alors qu'ils seraient rentables sur le long terme. Ce n'est plus la qualité du demandeur qui prime, mais celle du projet.
En raison de l'écart entre les effets d'annonce et la réalité du plan, l'enthousiasme initial des collectivités a laissé la place à la déception, à la désaffection et enfin au désintérêt. C'est très regrettable, car nous pensons que leur inclusion est une garantie de sa réussite. Comment relancer l'investissement dans notre pays sans les collectivités, qui représentent près de 60 % de l'investissement public ?
Pourtant le plan d'investissement pour l'Europe propose de réelles opportunités pour les collectivités territoriales. D'abord, l'interlocuteur privilégié d'investissements de long terme en Europe reste la BEI. Il faut lui présenter des projets, afin qu'elle les propose à la garantie du FEIS. Ensuite, le plan d'investissement donne la possibilité aux régions d'investir des fonds structurels dans les projets éligibles, tel celui de « Troisième révolution industrielle » dans le Nord-Pas-de-Calais.
L'information, le conseil et l'assistance technique seront cruciaux pour la réussite du plan. La plateforme européenne de conseil en investissement devra être au service des collectivités territoriales, pour faciliter le portage de projets.
Un récent accord passé entre la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la BEI revêt une importance particulière pour les plus petites de nos collectivités : il crée un fonds d'investissement de 2 milliards d'euros pour financer des projets d'un montant inférieur à 25 millions d'euros, alors que seuls les projets d'un montant supérieur à ce seuil étaient jusqu'à présent éligibles à une aide de la BEI. Il est trop tôt pour dire si l'accord, signé le 29 octobre, relève du plan d'investissement ; à tout le moins, il contribue pleinement à l'objectif d'associer l'ensemble des acteurs du territoire européen.
En matière d'investissement, l'interlocuteur privilégié des collectivités territoriales en France n'est donc pas la Banque publique d'investissement mais plutôt la Caisse des dépôts et consignations - qui n'a pas beaucoup avancé sur le sujet.
Le projet de la région Nord-Pas-de-Calais, le premier en France, a valeur d'exemple : associant fonds propres, fonds structurels européens, fonds privés et participation de la BEI, sous couvert du FEIS, il incitera d'autres collectivités à s'intéresser davantage au plan Juncker, en période de recul de l'investissement public. Souhaitons que notre rapport d'information contribue à réduire l'éloignement de nos collectivités vis-à-vis de ce plan. Nous avons tous intérêt à sa réussite.
Merci. Ce sujet nous mobilise depuis plusieurs mois. Dans la proposition de résolution européenne, j'insiste sur le point 12 qui demande la gratuité des services de la plateforme de conseil pour les collectivités ; le point 13 qui demande des précisions sur le fonctionnement de la plateforme et son articulation avec les guichets uniques existants ; et le point 21 qui déplore l'insuffisante association des collectivités à la mise en oeuvre du plan.
L'interlocuteur des collectivités est la Caisse des dépôts et consignations ; il conviendra d'améliorer l'articulation avec cette institution et la communication en direction des élus locaux afin de susciter des projets. Cela implique un rassemblement autour de plateformes thématiques ou géographiques pour sensibiliser la Caisse des dépôts.
Le plan Juncker s'étalant sur trois ans, les nouveaux responsables régionaux devront s'engager immédiatement et inciter la CDC, qui est en lien direct avec la BEI, à se rendre dans les régions. Un exemple : l'installation de la fibre optique, contrariée dans les collectivités les plus rurales où elle n'est pas rentable pour les opérateurs, pourrait être financée dans le cadre du plan Juncker.
Merci pour votre analyse. Vous avez mentionné deux types de projets, le premier dans le Nord-Pas-de-Calais, qui s'inscrit dans une stratégie plus large, et le second dans le numérique. Mais les besoins d'investissement sont particulièrement importants dans le domaine des infrastructures, où les projets sont souvent à la limite de la rentabilité. Les autoroutes qui restent à construire, par définition les moins rentables, nécessitent des fonds de concours importants. Il reste aussi beaucoup d'investissements à faire dans les lignes de TGV et les canaux pour compléter le maillage du réseau. Comment mobiliser la garantie Juncker via la BEI sur des opérations de type délégation de service public, avec des opérateurs comme RFF pour le TGV ou son équivalent pour les canaux ? Pouvez-vous nous présenter le dispositif sur le plan pratique ?
Sur les 315 milliards du plan, l'apport initial de la BEI est de 5 milliards d'euros : c'est en réalité plutôt un dépôt de garantie. C'est un bon système qui facilite la recherche de financements privés ou semi-privés. Pouvez-vous nous en dire plus sur ses modalités ? Le plan concerne 28 pays sur une période de trois ans, ce qui incite à relativiser son ampleur. Comment aller plus loin ?
Vous avez évoqué les concessions et délégations de service public ; mais qu'en est-il des partenariats public-privé (PPP), des sociétés d'économie mixte (Sem) et des sociétés d'économie mixte à opération unique (Semop) ?
Le plan Juncker rend sans doute service à l'économie européenne ; mais la Commission et la plupart des partenaires ont tendance à l'enjoliver. Rappelons qu'il s'agit pour l'essentiel de prêts, non de financements définitifs.
Seuls les projets présentant une rentabilité intrinsèque sont éligibles : ils n'échappent pas à l'exigence d'équilibre financier à moyen terme. Il n'y a pas de miracles en technique financière !
L'apport du plan est de faire passer aux projets la barre de la sécurité financière, grâce au mécanisme de garantie - sélectif -qui facilitera le financement par les banques. Ne nous berçons pas d'illusions : la dimension collectivités territoriales est forcément secondaire. Il y a deux ou trois ans, un vent de panique soufflait sur les collectivités qui craignaient de ne plus pouvoir emprunter. Aujourd'hui, vu leur situation financière, la question est celle de l'opportunité de l'emprunt qui crée des charges de fonctionnement supplémentaires pour 25 à 30 ans. Les dispositifs comme le PPP ou la concession apportent une souplesse bienvenue mais ne dispensent pas de l'exigence de retour. C'est le côté illusionniste de M. Juncker...
Je n'aime pas le mot de « financement », qui laisse croire à nos collègues que l'argent va tomber... Mieux vaut parler de prêt, voire d'endettement, puisqu'il faudra rembourser. Il existe un dispositif similaire dans les Balkans, à une échelle plus modeste ; dans le cadre de la mission de diplomatie économique que le gouvernement m'a confiée dans cette région, j'ai pu constater que la sélectivité était décourageante. La première des trois années du plan étant bientôt écoulée, le risque est plutôt que les 315 milliards ne soient pas consommés... L'effet dynamisant sur les secteurs innovants est incontestable, mais parviendrons-nous à susciter assez de projets pour relancer la croissance ?
S'ils sont entièrement utilisés jusqu'en 2017, les 315 milliards représenteront entre le tiers et la moitié du plan Marshall, ce qui est loin d'être négligeable ; mais les risques de dispersion et de report laissent penser que l'effort ne sera pas aussi massif.
Certes, un multiplicateur très élevé a été affiché ; certes, il s'agit de prêts et non de dons ; mais le plan est susceptible d'engendrer une dynamique européenne, nécessaire pour créer des emplois. Tout en restant réalistes, sachons l'utiliser au mieux. Au-delà du grand contournement ouest de Strasbourg, qui me touche particulièrement, pouvez-vous nous en dire plus sur les autres projets susceptibles d'être retenus en France ?
Y a-t-il de la place pour les projets dans le ferroviaire ? C'est un secteur dans lequel des prêts, surtout en période de taux bas, faciliteraient les investissements.
Comment rendre plus opératoire l'association des collectivités territoriales ? S'agissant de projets européens, nous savons que les contrôles seront sévères, et parfois douloureux. Enfin, quelle est l'articulation entre le plan Juncker et le programme national d'Investissements d'avenir (PIA) ou le plan France très haut débit ?
D'après l'annexe du rapport, les premiers projets retenus par la BEI totaliseraient 13 milliards d'euros. Dans le plan initial, 5 milliards sont apportés par la BEI et 16 milliards sous forme de garanties. Quelle est la part de l'Union européenne et de l'investissement privé dans ces 13 milliards ? L'effet levier joue-t-il ?
Je me félicite que la proposition de résolution européenne mette l'accent sur le rôle des collectivités locales. En dépit des garanties et des prêts, les effets du plan, un an après son lancement, ne sont pas à la hauteur des attentes. Est-ce dû à un déficit de demande des entreprises ?
Les projets soumis à la BEI peuvent prendre la forme de concessions, de PPP ou de délégations de service public, mais aussi de SEM. Les collectivités territoriales doivent faire partie des structures formées, d'autant qu'elles apportent un concours financier. Une liaison entre les régions, la Caisse des dépôts et la BEI est indispensable. Pour bénéficier du FEIS, il faut démontrer l'existence d'un risque lié à la rentabilité. Les grands projets intéressent l'Union des marchés de capitaux ; pour les entreprises, la BPI sait détecter rapidement le niveau de risque des projets. Pour les collectivités territoriales, l'analyse est plus difficile ; nous devons leur faire prendre conscience dès 2016 de la nature des projets demandés. Si l'on veut du haut débit dans la ruralité, il faut renforcer les projets locaux existants pour mettre en évidence le niveau de risque lié au retour sur investissement. Le projet de contournement ouest de Strasbourg était risqué à cause d'une espèce protégée de crapaud. ..
Le mécanisme de financement est le suivant : 21 milliards d'euros sont réunis pour lever 315 milliards ; 16 milliards sont prélevés sur le budget de l'Union européenne, dont 8 milliards immédiatement disponibles issus notamment d'Horizon 2020, des fonds structurels et du Mécanisme européen de stabilité (MES). Les 5 milliards restants sont prélevés sur les moyens de la BEI. Avec ces 21 milliards, la BEI lèvera 63 milliards d'euros sur les marchés financiers. Le reste consiste en des garanties de prêts et des participations à des fonds d'investissements, comme Omnes, à un niveau supérieur à ses engagements habituels. L'objectif est d'atteindre les 315 milliards à un horizon de trois ans. Tous les projets doivent être engagés avant 2017, mais peuvent naturellement durer au-delà ; pour être rentables, il leur faut s'étendre sur une durée plus longue que des projets classiques.
La France est le pays qui a réagi le plus vite, et qui a proposé et fait valider par la BEI le plus grand nombre de projets : six au total. Si le FEIS les approuve, ils entreront dans le cadre du plan Juncker ; sinon, la BEI continuera à les financer sur ses fonds propres. Seuls les projets qui ne trouvent pas de financement sur les marchés, ne sont pas éligibles aux financements classiques de la BEI et sont rentables seront examinés. Les fonds apportés par la BEI seront rémunérés.
Trois mécanismes de financement sont possibles. La BEI peut participer au fonds d'investissement mis en place par la collectivité - c'est le cas du projet en Nord-Pas-de-Calais - ou par des partenaires privés comme Omnes Capital. C'est une modalité intéressante mais peu connue. La BEI peut ensuite prêter selon des modalités qui n'auraient pas été possibles sans la garantie de l'Union européenne. Enfin, elle peut apporter sa garantie dans le cadre d'un financement par les marchés privés.
Les six projets français approuvés par le conseil d'administration de la BEI relèvent des domaines souhaités par la Commission et le Parlement. Le premier concerne l'efficacité énergétique dans le logement privé ancien ; il fait intervenir un fonds d'investissement qui sécurisera le financement de ce projet rentable à long terme. Le deuxième, piloté par Omnes, s'intitule Capénergies 3. Un projet transfrontalier dans le secteur des énergies renouvelables est porté par la Banque régionale allemande, montage que la BEI encourage. Le troisième est la « Troisième révolution industrielle » en Nord-Pas-de-Calais.
En octobre, la BEI a validé la possibilité d'accompagner le plan France très haut débit, sous la forme de garanties de prêt ou d'une participation à des sociétés d'investissement.
Six opérations ont été labellisées par le FEIS, mais nos interlocuteurs sont restés volontairement évasifs sur ce sujet.
Nous avons constaté, au cours de nos travaux, que les collectivités n'étaient pas suffisamment informées et ne savaient pas comment appréhender l'utilisation du FEIS. Il convient de communiquer davantage sur le soutien de la BEI qui s'apprête à ouvrir une plateforme européenne - la proposition de résolution européenne demande que les collectivités puissent y accéder gratuitement. Il importe également que les États membres assurent le relais auprès des collectivités territoriales - soit par l'intermédiaire d'une banque publique d'investissement là où elle existe, en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, soit de manière directe.
Certes, la durée du plan est courte, mais sa mise en place a été très rapide. Nous souhaitons qu'il y ait un effet levier.
Le rapport indique que le haut débit en France a été approuvé en conseil d'administration de la BEI en octobre 2015 : ces opérations visent à accroître l'accès au ultra-haut et haut débit dans des zones à faible densité de population. Les collectivités doivent se concentrer sur deux ou trois projets. Pour répondre à Alain Richard, quand la garantie est appelée, le niveau de taux varie.
Le rapport mentionne les secteurs dans lesquels le FEIS peut intervenir : outre le numérique et les transports, ce fonds peut financer la promotion du capital humain, la culture ou la santé. Cela signifie qu'il peut soutenir des projets en matière d'éducation et de formation, d'industrie culturelle et éducative, d'infrastructures sociales, d'économie sociale et solidaire... C'est intéressant pour les collectivités territoriales, si l'effet de levier mobilise aussi des acteurs privés.
Ce dispositif laisse espérer une relance de l'investissement, avec des effets de levier très variables. Pour avoir été directeur financier dans un groupe industriel coté en bourse et avoir piloté pendant 17 ans les finances d'un département, je sais que le terme de rentabilité ne revêt pas le même sens dans les deux secteurs. A-t-on idée du temps de retour acceptable techniquement ? Dans le cas de la fibre optique, ce temps de retour est très long. Par ailleurs, même si l'on se doute que la BEI ne communique pas sur le sujet, prévoit-elle un taux de perte, et dans quelle proportion ? Il a bien dû être calculé...
Quelle est la place de la France en volume de projets ? Est-elle toujours aussi dynamique ? Des projets des filières agricoles ou agro-alimentaires peuvent-il prétendre à la procédure ?
La procédure du plan Juncker risque d'entrer en contradiction avec des contraintes de mise en oeuvre au plan national. À la suite des trois directives de février 2014 sur la commande publique, une ordonnance sur les marchés publics a été présentée et nous en attendons une autre sur les concessions et les partenariats. Le texte rédigé par Bercy aura pour conséquence de tuer les conventions de partenariat, car il précise que les collectivités et les administrations publiques françaises ne pourront passer des contrats supérieurs à 100 millions d'euros que si elles en garantissent au préalable la soutenabilité financière auprès de la DGFiP et d'une autre structure ad hoc. Notre système de droit des partenariats est en repli. On nous incite à éviter tout risque financier. Il ne faudrait pas que votre volonté allante soit fracassée par les contraintes qui sont en train de se mettre en place.
La rédaction d'une ordonnance répond toujours à un impératif de rigueur. À la BEI d'évaluer le niveau de risque acceptable lorsqu'elle s'engage sur des investissements qui ne seraient pas financés sinon. Car, c'est bien l'objectif du plan Juncker que de financer des projets qui présentent un niveau de risque.
Les projets de méthanisation peuvent entrer dans la procédure, car leur niveau de risque autorise un retour sur investissement. Les grandes coopératives disposent des structures administratives et financières compétentes pour évaluer ce qu'elles ont à gagner avec le plan Juncker.
Tous les dossiers seront examinés par les experts du FEIS qui en évalueront la soutenabilité, en veillant à ce qu'ils ne puissent pas être financés par le marché. Ils seront ensuite validés par le conseil d'administration de la BEI. Ceux qui sont d'ores et déjà retenus l'ont été par anticipation. Quant au temps de retour, il est évalué projet par projet, selon le niveau de risque, et peut être court ou long, nos interlocuteurs n'excluant pas de retenir un projet sur vingt ou trente ans, par exemple. Quant au taux de perte, bien évidemment, nous ne disposons d'aucun chiffre.
On imagine que la BEI, soucieuse de conserver sa notation AAA, prend toutes les précautions nécessaires. Toutefois, il se peut que tel projet échoue, étant donné le niveau de risque. Par extrapolation, on pourrait considérer que la BEI est prête à garantir jusqu'à 21 milliards d'euros de pertes. Enfin, les auditions ont montré que nous étions en période expérimentale. Le bilan qui doit être effectué en 2018 laisse ouverte la possibilité d'une prolongation du dispositif, s'il fonctionne bien.
La Chine, qui dispose de beaucoup de liquidités, a proposé un engagement de 1 milliard d'euros, sans recevoir aucune réponse officielle. Même si l'Union européenne ne souhaite pas d'intervention extérieure, rien n'interdit à un pays étranger d'intervenir par l'intermédiaire de fonds d'investissements. Cela donnera sans doute lieu à des négociations au plus haut niveau.
Finalement, seules les grandes collectivités sont concernées par le plan Juncker. Les petites communes n'ont aucune aide à en espérer.
Il faudra de la pédagogie pour faire passer le message. Les départements devront-ils faire un dossier pour bénéficier de prêts pour le haut débit ?
Les 2 milliards d'euros de prêts contractés par la Caisse des dépôts auprès de la BEI doivent être utilisés pour des projets inférieurs à 25 millions d'euros, ce qui laisse penser qu'ils sont destinés aux petites collectivités. On peut envisager de mettre en place des plateformes d'investissement pour accompagner par exemple la mise aux normes énergétiques des bâtiments municipaux.
Sauf que les petites communes n'ont pas le personnel pour monter les dossiers.
Cela peut être fait à l'échelle de l'intercommunalité, du département, voire de la région, au bénéfice des communes.
Ayons l'honnêteté intellectuelle de rappeler que nous ne sommes pas là devant de nouvelles subventions. Comme le rappelait Alain Richard, l'économie de marché impose que le projet soit soutenable. Les projets français qui concernent surtout les énergies renouvelables supposent que l'on fixe un prix pertinent pour la tonne de CO2 : en dessous de 60 euros, la situation sera difficile. À la suite de l'audition du commissaire Phil Hogan, nous lui avons adressé un courrier, avec Jean-Claude Lenoir, pour lui demander clairement si l'agriculture et l'agro-alimentaire, au-delà du tourisme rural, étaient concernés par le dispositif. Enfin, pour ce qui est des collectivités territoriales, nous pouvons nous réjouir de l'injection de 2 milliards d'euros de la Caisse des dépôts.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui sera transmis à la Commission européenne.
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu sa résolution européenne (n° 84) sur le plan d'investissement pour l'Europe du 24 mars 2015,
Vu le règlement (UE) 2015/1017 du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la plateforme européenne de conseil en investissement et le portail européen de projets d'investissement et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013 du 11 décembre 2013,
Vu la communication de la Commission européenne du 22 juillet 2015 intitulée « Travailler ensemble pour l'emploi et la croissance : la contribution des banques nationales de développement au plan d'investissement pour l'Europe » (COM (2015) 361 final),
Salue les efforts déployés au cours de l'année 2015 pour la mise en oeuvre du plan d'investissement pour l'Europe ;
Soutient les différents acteurs dans cette démarche et appelle à une entrée en fonction du comité d'investissement du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) ainsi qu'à la mise en ligne du portail européen de projets d'investissement dans les meilleurs délais ;
- Sur les modalités de financement du plan d'investissement :
Se satisfait de voir précisées et renforcées les relations entre la Banque européenne d'investissement et les banques nationales de développement dans la mise en oeuvre du plan d'investissement ;
Souligne le rôle des plateformes d'investissement dans la réussite du plan, en particulier en ce qui concerne le déploiement de projets d'investissement de taille petite ou moyenne, et appelle à trouver rapidement des solutions permettant leur établissement ;
- Sur la gouvernance du Fonds européen pour les investissements stratégiques :
Se félicite de la mise en place de la plateforme européenne de conseil en investissement et demande la gratuité de ses services pour les collectivités territoriales ;
Demande des informations complémentaires sur le fonctionnement de cette plateforme chargée d'apporter une assistance technique aux autorités compétentes des États membres et aux investisseurs publics et privés, en particulier sur les modalités de sa collaboration avec les guichets uniques existants et sur son possible rôle aux côtés des collectivités territoriales de même que dans l'accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ;
- Sur le volet réglementaire du plan d'investissement :
Rappelle la nécessité de parvenir à un environnement plus favorable aux investissements grâce à un allégement et à une harmonisation des réglementations européennes et nationales ;
Prend acte des premières avancées en ce sens, notamment en ce qui concerne l'union des marchés de capitaux, et invite à approfondir sans attendre cette démarche, tout en rappelant son attachement aux réformes adoptées depuis 2009 qui ont permis de renforcer la stabilité financière ;
Souligne la nécessité de mieux documenter le volet réglementaire du plan d'investissement en fournissant des informations concrètes sur la contribution de l'union de l'énergie et du marché unique du numérique à la réalisation des objectifs du plan ;
Signale l'importance de tenir compte des exigences inhérentes au développement des investissements de long terme, notamment dans le domaine des infrastructures, dans le cadre des évolutions à venir des règles prudentielles européennes en matière bancaire et assurantielle ;
- Sur la place des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre du plan d'investissement :
Rappelle que la cohésion économique, sociale et territoriale reste l'un des objectifs majeurs de l'Union européenne, affirme son attachement à ce que les projets financés à l'aide du Fonds européen pour les investissements stratégiques contribuent aussi à résorber les disparités régionales ;
Exprime sa préoccupation quant à l'insuffisante association par la Commission européenne des collectivités territoriales à la mise en oeuvre du plan d'investissement ;
Souhaite que le comité de pilotage du FEIS se montre ouvert aux consultations des collectivités territoriales et coopère avec le Comité des régions de l'Union européenne dans l'élaboration des lignes directrices d'investissement qui doivent préciser les critères d'éligibilité des projets ;
Estime que dans un contexte de recul sensible de l'investissement local en France, le plan d'investissement doit être vu comme une opportunité et que, dès lors, les collectivités territoriales doivent être mises en capacité de tirer pleinement profit de ce dernier ;
Constate que les moyens offerts par le plan d'investissement ne sont pas suffisamment pris en compte par les collectivités territoriales dans leurs stratégies d'investissement et la gestion des fonds européens dont elles ont la responsabilité ;
Soutient qu'une participation accrue des collectivités territoriales au plan d'investissement est une condition de sa réussite et passe par une meilleure prise en compte des objectifs du plan dans les stratégies d'investissement de ces dernières ;
Considère que les plateformes d'investissement thématiques ou géographiques constituent un dispositif pertinent pour mettre en commun des projets d'investissement de petite taille présentant un profil de risque plus élevé et que, par conséquent, le recours à de tels dispositifs par les collectivités territoriales doit être favorisé, mais s'inquiète du retard pris pour les constituer et y impliquer ces collectivités ;
Demande que les préoccupations et les besoins des collectivités territoriales soient davantage pris en compte dans le cadre de la mise en place de la plateforme européenne de conseil en investissement et du portail européen de projets d'investissement afin qu'elles puissent disposer de l'information la plus complète possible, en particulier pour ce qui est du recensement des projets éligibles au plan d'investissement, de l'assistance technique susceptible d'être apportée lors du développement de projets et de l'accès aux bonnes pratiques en vigueur dans les États membres ;
Vu l'article 12 du traité sur l'Union européenne,
Vu le règlement (UE) 2015/1017 du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la plateforme européenne de conseil en investissement et le portail européen de projets d'investissement et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013 du 11 décembre 2013,
Vu la communication de la Commission européenne du 22 juillet 2015 intitulée « Travailler ensemble pour l'emploi et la croissance : la contribution des banques nationales de développement au plan d'investissement pour l'Europe » (COM (2015) 361 final),
La commission des affaires européennes du Sénat fait les observations suivantes :
Elle salue les efforts déployés au cours de l'année 2015 pour la mise en oeuvre du plan d'investissement pour l'Europe ;
Elle appelle à accentuer ces efforts afin de couvrir l'ensemble des secteurs dans lesquels les projets peuvent être financés et en particulier la promotion du capital humain, de la culture et de la santé ;
Elle appelle à une entrée en fonction du comité d'investissement du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) ainsi qu'à la mise en ligne du portail européen de projets d'investissement dans les meilleurs délais ;
Sur les modalités de financement du plan d'investissement :
Elle se satisfait de voir précisées et renforcées les relations entre la Banque européenne d'investissement et les banques nationales de développement dans la mise en oeuvre du plan d'investissement ;
Elle souligne le rôle des plateformes d'investissement dans la réussite du plan, en particulier en ce qui concerne le déploiement de projets d'investissement de taille petite ou moyenne, et appelle à trouver rapidement des solutions permettant leur établissement ;
Sur la gouvernance du Fonds européen pour les investissements stratégiques :
Elle se félicite de la mise en place de la plateforme européenne de conseil en investissement et demande la gratuité de ses services pour les collectivités territoriales ;
Elle demande des informations complémentaires sur le fonctionnement de cette plateforme chargée d'apporter une assistance technique aux autorités compétentes des États membres et aux investisseurs publics et privés, en particulier sur les modalités de sa collaboration avec les guichets uniques existants et sur son possible rôle aux côtés des collectivités territoriales de même que dans l'accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ;
Sur le volet réglementaire du plan d'investissement :
Elle estime nécessaire de parvenir à un environnement plus favorable aux investissements grâce à un allégement et à une harmonisation des réglementations européennes et nationales ;
Elle prend acte des premières avancées en ce sens, notamment en ce qui concerne l'union des marchés de capitaux, et invite à approfondir sans attendre cette démarche, tout en rappelant son attachement aux réformes adoptées depuis 2009 qui ont permis de renforcer la stabilité financière ;
Elle souligne la nécessité de mieux documenter le volet réglementaire du plan d'investissement en fournissant des informations concrètes sur la contribution de l'union de l'énergie et du marché unique du numérique à la réalisation des objectifs du plan ;
Elle signale l'importance de tenir compte des exigences inhérentes au développement des investissements de long terme, notamment dans le domaine des infrastructures, dans le cadre des évolutions à venir des règles prudentielles européennes en matière bancaire et assurantielle ;
Sur la place des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre du plan d'investissement :
Elle rappelle que la cohésion économique, sociale et territoriale reste l'un des objectifs majeurs de l'Union européenne et affirme son attachement à ce que les projets financés à l'aide du Fonds européen pour les investissements stratégiques contribuent aussi à résorber les disparités régionales ;
Cependant, elle exprime sa préoccupation quant à l'insuffisante association par la Commission européenne des collectivités territoriales à la mise en oeuvre du plan d'investissement ;
Elle souhaite que le comité de pilotage du FEIS se montre ouvert aux consultations des collectivités territoriales et coopère avec le Comité des régions de l'Union européenne dans l'élaboration des lignes directrices d'investissement qui doivent préciser les critères d'éligibilité des projets ;
Elle soutient qu'une participation accrue des collectivités territoriales au plan d'investissement est une condition de sa réussite et que celles-ci doivent être mises en capacité de tirer pleinement profit de ce dernier ;
Elle considère que les plateformes d'investissement thématiques ou géographiques constituent un dispositif pertinent pour mettre en commun des projets d'investissement de petite taille présentant un profil de risque plus élevé et que, par conséquent, le recours à de tels dispositifs par les collectivités territoriales doit être favorisé, mais s'inquiète du retard pris pour les constituer et y impliquer ces collectivités ;
Elle demande que les préoccupations et les besoins des collectivités territoriales soient davantage pris en compte dans le cadre de la mise en place de la plateforme européenne de conseil en investissement et du portail européen de projets d'investissement afin qu'elles puissent disposer de l'information la plus complète possible, en particulier pour ce qui est du recensement des projets éligibles au plan d'investissement, de l'assistance technique susceptible d'être apportée lors du développement de projets et de l'accès aux bonnes pratiques en vigueur dans les États membres ;
Notre groupe de travail sur la propriété intellectuelle qu'anime Richard Yung a organisé, le 8 juillet dernier, une table-ronde sur la propriété des variétés végétales, et plus précisément sur la brevetabilité des procédés d'obtention végétale. Des interrogations sont apparues à la suite des deux décisions, dites « brocoli II » et « tomate ridée II », rendues le 25 mars 2015 par la grande chambre de recours de l'Office européen des brevets (OEB). Il était donc intéressant de faire un point sur cette question très importante, dont les ministres ont débattu lors du Conseil agricole du 22 octobre. À cette occasion, ils ont convenu que l'Union européenne devait éviter d'accorder des brevets à des variétés obtenues par des méthodes de sélection classique. Le point d'étape que Daniel Raoul nous présente est à mettre en lien avec la promulgation du rapport « Agriculture, innovation » rendu sous l'égide du Directeur d'AgroParisTech, M. Pringuet, qui nous projette quelques décennies en avant.
Lors de la table ronde du 8 juillet, nous avons échangé avec des représentants du Groupement national interprofessionnel des semences et plants, de l'Union française des semenciers, de l'Office européen des brevets, de l'Institut national de la propriété industrielle, du réseau Semences paysannes et du Haut Conseil des biotechnologies, dont j'ai eu l'honneur de démissionner.
Les décisions dites « brocoli II » et « tomate ridée II » portent sur l'interprétation à donner à l'exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques d'obtention végétale. Depuis les années 1970, la protection des variétés végétales a été assurée par le certificat d'obtention végétale (COV). Ce dispositif a été institué pour tenir compte de la spécificité du processus d'innovation dans le domaine végétal. Il se distingue du brevet d'invention qui, a contrario, occupait traditionnellement la portion congrue en la matière. La directive du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques exclut de la brevetabilité les variétés végétales, qui sont protégées par le COV, et les procédés essentiellement biologiques pour l'obtention des végétaux, c'est-à-dire des procédés qui consistent en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection. Il consacre aussi la brevetabilité de toute une série d'innovations relevant de la sélection végétale. Le champ du brevet s'est depuis lors très élargi, au détriment du COV.
Dans ce contexte, l'OEB a rendu deux séries de décisions dans des affaires relatives au brocoli et à la tomate ridée, la première en 2010 et la seconde en 2015. Dans le cas du brocoli, le titulaire du brevet, déposé en 2002, avait créé une nouvelle variété anti-carcinogène obtenue à la fois par croisement naturel et par une intervention technique. Dans le cas de la tomate, il s'agissait d'un brevet obtenu en 2003 pour une variété ayant une teneur en eau réduite qui lui permet de sécher naturellement sans pourrir, d'où le terme de tomate ridée.
Saisie d'un contentieux relatif à ces brevets, la grande chambre de recours de l'OEB a jugé en décembre 2010 que ne sont pas brevetables les procédés reposant sur le croisement et la sélection des plantes, même si des interventions techniques sont nécessaires pour réaliser ce croisement ou cette sélection. Pour être brevetable, l'intervention technique humaine doit introduire des modifications artificielles dans le génome de la plante. Ces décisions sont importantes car elles précisent ce qu'est un procédé essentiellement biologique.
Dans une seconde série de décisions du 25 mars dernier portant sur les mêmes variétés végétales, la grande chambre de recours de l'OEB a jugé que l'exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques ne concerne pas les variétés végétales obtenues par ces procédés, même si certaines législations nationales en disposent autrement. Autrement dit, la variété végétale est brevetable, même si le procédé ne l'est pas. Cette décision difficilement interprétable est plutôt une décision d'appel pour que l'Europe lève dans une nouvelle directive l'ambiguïté de celle de 1998.
La mise en oeuvre de ces dernières décisions va susciter des difficultés, car elles sont contraires aux législations, allemande et néerlandaise par exemple, ou aux pratiques nationales, comme celles de l'Institut national de propriété intellectuelle (INPI) qui intègre dans sa pratique l'interprétation résultant des décisions de 2010 : il considère que l'exclusion de la brevetabilité s'étend aussi aux variétés végétales obtenues par des procédés essentiellement biologiques. Les décisions de 2015 compliquent donc la façon dont s'articulent brevet et COV.
Les ministres de l'agriculture des Vingt-huit, à l'occasion d'un déjeuner en marge du Conseil agricole le 22 octobre dernier, ont convenu dans un certain consensus que l'Union européenne doit éviter d'accorder des brevets à des variétés obtenues par des méthodes de sélection classique. Les États membres craignent que cela n'entrave la recherche et l'innovation européenne en affectant l'exemption dont bénéficient les semenciers dans le cadre du COV. En attendant une clarification de la situation, l'OEB continue de délivrer des brevets à des cultures conventionnelles comme, par exemple, un poivron sans pépins développé par l'entreprise Syngenta.
Lors de notre table ronde, les personnes auditionnées ont insisté sur l'obsolescence de certaines dispositions de la directive de 1998. Cette situation est due en particulier à l'évolution technologique dans le domaine génétique, à la concentration observée dans ce secteur industriel et au champ plus large des brevets. Les décisions de l'OEB du 25 mars dernier mettent en évidence d'éventuelles divergences d'application de ce texte. Toutefois, beaucoup ont considéré qu'il paraissait extrêmement difficile de modifier cette directive et ont plutôt évoqué la nécessité d'une clarification jurisprudentielle à l'occasion d'une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne dont la décision devrait alors s'imposer à l'OEB.
Trois critères sont considérés pour délivrer un COV : la plante doit être différente, homogène et stable dans la reproduction (DHS). Le matériel de cette plante peut être utilisé pour reconstruire une autre plante qui n'aura pas les mêmes propriétés DHS et qui pourra servir aux chercheurs sans avoir à payer de redevances.
Oui, à partir du moment où il est reproductible.
Parler de brevetabilité du vivant voudrait dire que le fer ou le silicium sont brevetables dans la nature. Ce n'est pas le cas : seules sont brevetables les techniques de magnétisation de l'oxyde de fer, mais pas le fer en tant que tel. Autrement dit, les processus biotechnologiques sont brevetables, mais pas le vivant à l'origine.
L'OEB fait un peu de provocation pour inciter à une clarification. Les progrès dans l'épigénétique font qu'on peut développer des plantes aux morphologies complétement différentes à partir d'un même génome, en éteignant ou en excitant certaines fonctions de gène.
Les questions des ignorants sont souvent précieuses. M. Raoul souhaite une clarification, c'est-à-dire une actualisation de la directive. Comment se présente le champ politique sur le sujet ? La Commission et les États membres sont-ils prêts à aller dans le sens que vous souhaitez ?
Si je me fie au déjeuner du 22 octobre dernier, il y a unanimité des ministres de l'agriculture sur l'interdiction de breveter une variété obtenue par une technique naturelle.
Si l'on modifie un gène à l'intérieur d'une même espèce, est-ce brevetable ?
C'est là que nous nous opposons aux Anglo-saxons, qui n'ont pas le COV ; du coup, leur conception du brevet est très large. L'enjeu est important, car il s'agit de tout le marché de la semence, où nous occupons la deuxième place mondiale. Je ne sais pas comment la Commission européenne réagira si on lui propose de réviser la directive de 1998. Une deuxième voie serait d'obtenir une clarification à la Cour de justice. Une troisième serait d'introduire ce point dans la Convention sur le brevet européen.
Un ministre de l'agriculture n'est pas seul dans l'État. Heureusement...
Ces questions sont fondamentales. Derrière la brevetabilité du vivant, il s'agit de l'arme alimentaire. La France fait de la sélection depuis des décennies. Certaines de nos entreprises semencières sont parmi les plus réputées au monde, et nous avons acquis une génothèque remarquable que des firmes étrangères veulent acquérir à prix d'or pour développer ensuite la transgénèse, ou identifier le gène d'intérêt par la génomique. N'est brevetable que le triptyque gène-fonction-application, qui constitue l'innovation. Les États-Unis et l'Europe sont des mondes tout à fait différents dans ce domaine. Il y a plus d'une dizaine d'années, j'avais été surpris de l'arrêt Chakrabarty, du nom d'un sénateur américain, selon lequel tout ce qui est sous le soleil est brevetable. Les avocats américains ont fait fortune sur les batailles juridiques auxquelles cet arrêt a donné lieu entre la France et les États-Unis.
Quant au Haut Conseil des biotechnologies (HCB), sa fonction est de garantir aux agriculteurs et aux consommateurs le droit de cultiver ou de consommer avec ou sans OGM. Alors qu'autrefois, un organisme commun présidait à l'autorisation de mise en culture, le HCB a créé deux collèges, l'un scientifique et l'autre économique, social et éthique. Le premier fonctionne bien, mais le comité social et éthique a du mal à se prononcer sur la pertinence de mettre ou non un OGM sur le marché. Sans doute est-ce dû au fait que M. Borloo, ministre à l'époque, y a malicieusement nommé une majorité de personnalités opposées à toute évolution sur les OGM. J'ai siégé avec Daniel Raoul dans ce comité : ce n'étaient que débats sans fin remettant en question les décisions du collège scientifique. Nous avons fini par partir. Je salue la présidente, Mme Christine Noiville, dont le travail n'est pas facile. Les semenciers ont aussi fini par déserter le comité, faute d'arriver à rien. C'est d'autant plus regrettable que de l'autre côté de l'Atlantique, on continue à avancer. En France, le sujet a quitté la sphère scientifique pour devenir sociétal. Quand les passions l'emportent sur la raison, mieux vaut se retirer sur la pointe des pieds. La France avait beaucoup d'avance ; elle a pris un retard considérable. Les biotechnologies font partie des évolutions, qu'on le veuille ou non.
Un règlement serait en préparation sur des nouvelles techniques qui relèveraient de la mutagenèse dirigée, qui permet de modifier un gène pour aller beaucoup plus vite que la sélection classique.
Si la Commission européenne classifiait ces nouvelles techniques de sélection variétale dans le cadre des OGM, elle signerait la mort de toute la sélection variétale du XXIème siècle, européenne et surtout française. Nos amis d'outre-Atlantique ou d'Asie auront la mainmise sur la sélection variétale, qui est stratégique. Ce serait éminemment dangereux.
Avez-vous vu la directive européenne que l'on vient de transposer sur la mise en culture de tel ou tel OGM ? Chaque pays pourra refuser de s'y conformer au nom de motifs qui ne sont pas forcément scientifiques, puisqu'on pourra invoquer le trouble à l'ordre public - et cela, sur proposition de la France. C'est encourager les exactions qui détruisent les essais français !
Les dispositions sur la mise en culture ont été validées, la CMP sur la transposition a lieu la semaine prochaine. Le reste va suivre.
La bataille de société est perdue en France et en Europe. Compte tenu de l'avantage scientifique de la France, il faut trouver un point d'appui pour développer ce savoir-faire dans un pays francophone qui a une base scientifique crédible, en Afrique par exemple. Telle est la voie pour assurer la continuité dans un contexte d'hostilité en Europe.
La deuxième coopérative semencière mondiale, Limagrain, est française. Elle a délocalisé tous ses laboratoires aux États-Unis.
Je me souviens du débat sur les deux collèges du HCB lors de la loi « Grenelle ». Il faut maintenir le collège scientifique. Mais le deuxième collège n'est pas à même de se prononcer en connaissance de cause.
Il nous revient de procéder à la désignation de deux rapporteurs pour la proposition de résolution européenne déposée le 27 octobre 2015 sur les conséquences du traité transatlantique sur l'agriculture et l'aménagement du territoire. Notre collègue Michel Billout avait été à l'initiative de ce texte. Sans vouloir l'écarter, il paraît pertinent de nommer nos deux rapporteurs qui suivent le sujet.
Je le déplore. Il est dommage d'être à l'initiative d'un texte sans en être ensuite au moins co-rapporteur.
La commission désigne Philippe Bonnecarrère et Daniel Raoul en qualité de rapporteurs pour la proposition de résolution européenne sur les conséquences du traité transatlantique sur l'agriculture et l'aménagement du territoire.
Elle désigne Pascal Allizard et Didier Marie en qualité de rapporteurs sur l'organisation et l'exploitation des jeux européens.
Enfin, elle désigne Fabienne Keller et Jean-Yves Leconte en qualité de rapporteurs sur la règlementation européenne relative aux émissions particulaires des véhicules particuliers et utilitaires légers.
La réunion est levée à 10 h 25.