Intervention de Jean-François Humbert

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 avril 2011 : 1ère réunion
La situation de la « macédoine » communication de m. jean-françois humbert

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

Le groupe interparlementaire France - Balkans occidentaux s'est rendu la semaine passée à Skopje pour y rencontrer pendant trois jours responsables politiques et acteurs internationaux. Avec nos collègues Marie-Thérèse Bruguière et Jean-Pierre Michel, nous souhaitions connaître la situation du pays, indépendant depuis 1991, mais beaucoup moins médiatisé que la Serbie, le Kosovo ou la Bosnie-Herzégovine. Comme vous pouvez le noter, mon propos liminaire ne cite pas expressément le nom du pays visité. Je reviens, en effet, d'un pays qui, aux yeux de l'Union européenne, n'a pas réellement de nom.

Le constat est abrupt mais l'appellation « République de Macédoine », le nom constitutionnel retenu lors de l'accession à l'indépendance, n'est, en effet, pas admise au sein des institutions communautaires. Le dernier rapport de progrès de l'Union européenne est, à cet égard, un terrible révélateur : même l'adjectif « macédonien » n'est pas une seule fois cité. Le principe de solidarité avec la Grèce, qui récuse à Skopje le droit de conserver le nom initialement retenu, pousse les 26 autres États de l'Union européenne à ne reconnaître qu'une dénomination technocratique : l'ancienne République yougoslave de Macédoine. C'est sous ce nom, considéré à l'époque comme provisoire, que Skopje devient membre des Nations unies, un médiateur étant nommé en 1994 pour résoudre le conflit.

La querelle avec Athènes sur le nom dure désormais depuis vingt ans. Elle se cristallisait au départ sur plusieurs points :

- le nom de Macédoine considéré comme une usurpation du patrimoine hellénique ;

- le risque que le nouvel État ainsi dénommé favorise l'émergence d'un mouvement sécessionniste dans la région grecque de Macédoine, alors même qu'Athènes ne reconnait pas de minorité macédonienne sur son propre territoire ;

- le drapeau choisi par les autorités en 1991 comprenait le soleil dit de Vergina, symbole de la dynastie macédonienne, figurant aussi sur les tombeaux de Philippe II et Alexandre le Grand.

L'opposition grecque s'est traduite en 1994 et 1995 par un blocus de l'économie macédonienne, littéralement asphyxiée, privée de livraisons de pétrole, alors même que Skopje subissait le contrecoup de l'embargo visant alors Belgrade. Un accord signé le 13 septembre 1995 entre la Grèce et l'ARYM a mis fin au blocus en échange d'une modification par Skopje de sa Constitution et de son drapeau.

L'accord précise qu'Athènes ne s'oppose pas à l'adhésion de l'ARYM à d'autres organisations internationales. Skopje signe ainsi dès 2001 un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne et accède au statut de candidat en 2005.

Le sommet de l'OTAN à Bucarest en 2008 va néanmoins troubler cette dynamique. La Grèce, pour partie contrariée par l'ouverture en 2007 d'un aéroport « Alexandre le Grand » à Skopje, s'oppose ainsi à l'adhésion de l'ARYM à l'Organisation atlantique, alors même que l'Albanie et la Croatie l'intègrent. La déclaration finale du Sommet indique que l'adhésion de la « Macédoine » ne sera possible que lorsqu'une solution acceptable sur le nom aura été trouvée. Le Conseil européen du 8 décembre 2009 relie quant à lui l'ouverture effective des négociations d'adhésion au règlement de la question du nom. José Manuel Barroso a rappelé cette position lors de sa venue à Skopje le 9 avril dernier.

Ce blocage appelle plusieurs réflexions.

Alors que les rapports de progrès publiés par la Commission en 2009 et 2010 recommandent l'ouverture de négociations, un problème bilatéral empêche celle-ci, mettant l'Union européenne dans une position inconfortable à l'heure où elle demande à Skopje d'aller plus loin en matière de réformes politiques et économiques.

Si l'on peut concevoir que le principe de solidarité s'impose aux États membres, force est de constater que celui-ci aboutit à une impasse. Et cela alors même que les États-Unis, la Russie ou la Chine, comme 160 autres États ont reconnu le nom constitutionnel de « République de Macédoine ». En dépit de la médiation entreprise par les Nations unies depuis 1994, cette question est donc purement européenne. Il appartient à l'Union d'imposer une voie médiane, distinguant, par exemple, l'ouverture des négociations techniques du règlement politique de la question du nom.

Il convient de préciser que les discussions entre les deux États n'achoppent pas seulement sur le nom du pays mais aussi sur ces déclinaisons : l'adjectif « macédonien » n'est, ainsi, pas admis par Athènes. De la sorte, la Grèce ne reconnaît pas de citoyenneté macédonienne ou de langue macédonienne. A ce sujet, la Grèce souhaite que le nom de la langue en anglais ne soit pas le « macedonian », mais le « makedonski », soit la traduction slave du mot.

La violation manifeste de l'accord de 1995 renforce l'intransigeance du gouvernement nationaliste au pouvoir à Skopje sur la question. La fermeté sur ce problème constitue un réel argument électoral comme l'ont souligné le scrutin de juin 2008 et la campagne qui s'ouvre aujourd'hui, les prochaines élections étant prévues le 5 juin prochain. Il appartient néanmoins aux Macédoniens de progresser sur la voie du compromis, indépendamment du coût électoral d'une telle avancée. La proposition grecque d'assortir le nom de République de Macédoine d'une précision géographique - République de Macédoine du Nord ou République de Macédoine - Skopje par exemple - peut apparaître comme une solution si les Grecs renoncent dans le même temps à leurs revendications concernant les déclinaisons. Cette solution médiane est avancée par l'opposition sociale-démocrate au gouvernement actuel. Elle s'appuie sur l'assouplissement d'Athènes sur la question depuis l'arrivée au pouvoir de M. Papandreou.

La question du nom pourrait apparaître absurde pour ne pas dire ridicule, si elle ne touchait pas directement à la question de l'identité macédonienne, dans un pays ayant connu il y a moins de dix ans des émeutes interethniques de grande ampleur entre la composante macédonienne et l'importante minorité albanaise, soit 25 % de la population. L'accord-cadre d'Ohrid du 13 août 2001 signé entre les parties sous les auspices de la communauté internationale est venu mettre un terme à ces violences. Il débouche sur la modification de la constitution en vue de renforcer la représentation de la minorité albanaise. L'usage de l'albanais est ainsi autorisé pour les documents officiels, seul le gouvernement s'exprimant uniquement en macédonien, sauf dans les zones albanaises expressément désignées par l'accord-cadre. L'albanais devient la seconde langue officielle dans les territoires où la minorité représente au moins 20 % de la population, l'État s'engageant dans ces régions à financer l'enseignement en langue albanaise. Aux mesures en faveur de la décentralisation, s'ajoute la nécessité pour l'État d'assurer une représentation proportionnelle des minorités dans la fonction publique, l'armée et la police. Au plan institutionnel, le système de double majorité, dit « système Badinter », s'applique pour les textes intéressant les minorités. Dans ce cadre, pour être adoptée, une loi doit bénéficier du vote de la majorité des députés ainsi que celui de la majorité des groupes représentant les minorités à l'Assemblée. Par ailleurs, toute formation gouvernementale accueille en son sein des membres de la communauté albanaise.

Si cet accord a mis fin au conflit et tente de mettre en place les fondements d'un état multiethnique, il n'est pas pour autant une garantie comme en témoigne le repli identitaire des deux communautés, paradoxalement renforcé par l'accord d'Ohrid. La communauté albanaise observe à cet égard les avancées de Tirana sur la voie européenne et atlantique, plus rapides désormais que celles enregistrées par Skopje. Il conviendra de suivre l'attitude de cette communauté, sensibilisée pour partie aux arguments du mouvement panalbanais Vetvendosje, implanté au Kosovo, et encore marquée par le conflit de 2001, comme en témoigne l'importance en son sein des mouvements d'anciens combattants. Les échauffourées observées à l'occasion des travaux pharaoniques de réhabilitation du centre de Skopje - le projet Skopje 2014 - sont venus souligner la prégnance de la question identitaire. Des affrontements ont en effet opposé jeunes des communautés albanaise et macédonienne autour d'un projet de musée national et de restauration d'une église. L'opération urbanistique Skopje 2014, en référence à la date d'achèvement prévue des travaux, ne fait pas l'unanimité tant en raison de son coût - 200 millions d'euros - que de son caractère historiciste, pour ne pas dire nationaliste.

Le blocage de l'ouverture des négociations n'est pas, non plus, sans susciter une certaine frustration à l'égard de l'Union européenne. La « Macédoine » est en train de perdre son avance sur les autres anciennes républiques yougoslaves sur la voie de l'adhésion. Néanmoins, si les rapports de progrès recommandent l'ouverture des négociations, un certain nombre de réserves pèsent sur la candidature macédonienne.

La tendance à la politisation de l'appareil d'État constitue, à cet égard, un des principaux motifs d'inquiétude. Des réformes doivent être entreprises ou poursuivies dans les domaines de l'administration et de la justice. Le recrutement dans la fonction publique semble par trop soumis à des considérations politiques, comme les carrières du reste. On relèvera ainsi que 75 % des effectifs du département ministériel consacré aux affaires européennes ont changé en un an, au gré des luttes d'influence. Cette absence de cohérence n'est pas sans incidence sur la mise en oeuvre effective des mesures d'adaptation de la législation macédonienne à l'acquis communautaire.

Par ailleurs, si les dispositions législatives nationales sont conformes aux textes de référence en matière de lutte contre la corruption, on observe des faiblesses en ce qui concerne le financement des partis politiques ou le délit de trafic d'influence. La corruption demeure une forte préoccupation. Certains y voient un indice du poids pris par les formations politiques dans le fonctionnement de l'État. Ces partis rassemblent l'élite locale, au détriment d'ailleurs de l'État. Un permanent du VMRO-DPMNE, le parti majoritaire, perçoit ainsi une rémunération de plus de 1000 euros là où un fonctionnaire gagne autour de 300 euros.

Dans un contexte économique difficile, où le taux de chômage dépasse les 30 %, l'État demeure le premier employeur, rétribuant 35 % de la population active. Une telle situation n'est pas sans conséquence en matière politique, des pressions ayant été observées lors des scrutins de 2008 et 2009 sur les fonctionnaires en vue de voter pour le bon candidat s'ils souhaitaient conserver leur emploi. Les élections de 2008 ont par ailleurs donné lieu à des manifestations de violence au sein des bureaux de vote et à un certain nombre d'opérations nuisant à la sincérité du scrutin. Les listes électorales non actualisées ou incluant des enfants ont ainsi été mises en causes.

Les élections anticipées du 5 juin prochain vont ainsi avoir valeur de test, José Manuel Barroso ayant rappelé lors de sa visite à Skopje que des élections ne respectant pas les standards internationaux contreviendraient aux critères de Copenhague et pourraient ainsi remettre en cause la recommandation positive de la Commission sur l'ouverture des négociations.

Ce scrutin vient mettre un terme au boycott par l'opposition des séances du parlement depuis décembre 2010, en raison de l'ouverture d'une enquête judiciaire contre une chaîne de télévision jugée proche de l'opposition. Le propriétaire de cette chaîne de télévision mais aussi de différents journaux et treize de ses collaborateurs sont emprisonnés ou placés en résidence surveillée pour fraude fiscale.

Au-delà de cette affaire, la Macédoine est caractérisée par une très faible indépendance des médias à l'égard du pouvoir politique. L'autorité de régulation audiovisuelle n'a ainsi pas été en mesure de garantir un égal accès des partis aux médias en 2008 et 2009. De façon générale, les contrats publicitaires passés par l'État constituent la principale manne financière du secteur.

A l'occasion de son déplacement, José Manuel Barroso a annoncé la mise en place d'un dispositif de consultations semestrielles à haut niveau afin d'évaluer l'avancée des réformes. Il conviendra de suivre précisément le résultat de ce dialogue à haut niveau tant il permettra de mesurer, au-delà des effets d'annonce du gouvernement macédonien, la réalité de l'adaptation du pays aux normes mais aussi à l'esprit communautaire. Nous en sommes encore loin.

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